[Live] La Route du Rock 2018

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21 000 spectateurs cette année contre 24 000 l’an passé : en dépit d’une légère baisse de fréquentation, la 28e collection été de la Route du Rock, du 17 au 19 août dernier, a encore défriché avec talent le spectre des musiques « indé ». De la grande prêtresse Patti Smith au dandy pop Étienne Daho en passant par les rétro-surdoués Lemon Twigs, le post-punk de Protomartyr ou l’électro pop de Phoenix, retour sur « trois jours de paix et de musique » (et de galettes-saucisses, pour ne pas trop sonner « Woodstock »…)

Phoenix – crédit : Nicolas Joubard

Vendredi 17 août 2018

Installations de tentes à la dernière minute, embouteillages en direction du site ou festivaliers en mode barbotage prolongé sur la plage de Bon-Secours : comme à chaque nouvelle édition de cette Route du Rock, les premiers artistes à s’illustrer dans l’enceinte du Fort Saint-Père n’ont droit qu’à une assistance réduite. Dommage pour les retardataires car la prestation du Villejuif Underground, sur la scène des Remparts, tient toutes ses promesses. Le combo du Val de Marne, sorte de Fat White Family à la française, joue la carte d’un groove décadent sur lequel Nathan Roche, grand échalas d’origine australienne, vient jouer les Iggy Pop hip-hop. La ressemblance avec le phrasé et la voix de l’Iguane est troublante, et le premier morceau du set pourrait même passer pour un inédit de « The Idiot ». Incursions dans la foule, déhanchements épileptiques, amplis renversés et commentaires délicieusement débiles (« Vive le galette saucisse ! ») : Roche offre à son groupe une crédibilité 100% « Punks not dead ».

Le Villejuif Underground – crédit : Nicolas Joubard

Pas le temps de souffler pour l’arrivée sur la scène du Fort des Limiñanas. En plein soleil, le groupe catalan compense l’absence de light show par une attaque sonique en règle dès le second morceau. Très proches les uns des autres malgré l’immensité de la scène, les sept musiciens surfent sur les styles (garage punk, psyché, pop néo 60’s) avec une aisance déconcertante, réussissant le tour de force de faire planer à la fois les vieux fans de Gainsbourg et ceux de Thee Oh Sees. Sans que cela constitue une vraie surprise, Anton « Brian Johnston Massacre » Newcombe, producteur de leur dernier album et programmé en fin de soirée avec son groupe, vient donner de la voix sur « Istanbul Is Sleepy » avant une fin de set illuminée par la reprise du célèbre « Gloria » des Them.

The Limiñanas – crédit : Nicolas Joubard

Enchaînement délicat pour Grizzly Bear, flingué d’entrée par un son plus que limite et dont la pop ciselée a bien du mal à retenir l’attention du public. Sans doute génial dans son salon, sous une lumière tamisée, un Martini-vodka à la main, mais ultra pénible en festival. On reste franchement dubitatif face aux mélodies et arrangement (trop ?) alambiquées du groupe de Brooklyn, noyés sous les infrabasses, servies par un Edward Droste en polo jaune (hommage aux cirés des marins bretons ?) et au charisme proche du néant.

Grizzly Bear – crédit : Nicolas Joubard

Programmé sur la scène des Remparts, Shame offre un réveil ô combien salutaire. La nouvelle sensation punk venue d’outre-Manche vient offrir aux festivaliers une dose d’adrénaline comparable à celle offerte l’an passé par ses compatriotes d’Idles. On pourrait même d’ailleurs, toutes proportions gardées, envisager dans un futur proche une compétition façon « Blur-Oasis » au vu du magnétisme et de l’énergie phénoménale dégagés par les « frontman » des deux groupes. Sur scène, le gang de Brixton se révèle nettement plus radical que sur album. Le son est massif. Pogo garanti pour les premiers rangs. On pense à The Clash ou aux Pistols pour la tension et l’urgence émanant de chaque morceau, mais aussi au meilleur des grands groupes pop anglais au vu de l’efficacité des refrains repris par un public conquis d’avance.

Shame – crédit : Nicolas Joubard

Grosse ambiance fan-club également pour l’arrivée sur scène d’Étienne Daho. Si l’annonce de sa venue au festival a pu faire grincer des dents quelques « esthètes » indie, l’enfant du pays offre ce soir une prestation d’une classe absolue. « Boss » incontesté de la pop française, l’homme enchaîne les tubes sans jamais tomber dans le piège du revival, offrant pour chacun d’entre eux un relifting propre à contenter autant les mères au foyer quarantenaires que les plus jeunes lecteurs des Inrocks. « Le Grand sommeil », « Week end à Rome », « Tombé pour la France », « Épaule Tattoo » (superbe version électro-disco), « Bleu comme toi » : comment rater un concert, de toute manière, avec de pareilles chansons ? « Vous ne pouvez pas savoir à quel point c’est bon d’être ici» lâche le héros de la soirée, offrant en fin de set une version survitaminée de « You’re Like the Summertime » d’Ultra Orange.

Étienne Daho – crédit : Nicolas Joubard

Pas de prolongations sur le mode électro, ce soir, pour le dancefloor pop inauguré par Daho : sur la scène des Remparts, les Black Angels entament une fin de soirée 100% psyché. Magnifié par des projections sur grand écran d’inspiration hautement cosmique, le chant haut perché d’Alex Maas tutoie toujours les étoiles et l’enchaînement «Half Believing » – « I’d kill for her », tous deux extraits du dernier album en date, ressort gagnant à l’applaudimètre. Lionel Limiñana, lui, a déjà quitté les backstage pour ne rien manquer du concert du Brian Jonestone Massacre. Comme à leur habitude, Newcombe et ses potes jouent avec une nonchalance et une désinvolture qui divise : longs flottements entre les morceaux, communication avec le public proche du néant… Reste heureusement la musique, sorte de long trip US imaginaire au volant d’un van chargé d’acides. Trip prolongé d’ailleurs par les Chiliens de Föllakzoid, adeptes des morceaux marathons et chargés de clore une soirée ayant déjà échappé depuis plusieurs heures aux lois de la gravitation…

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Sébastien Michaud

Journaliste radio sur Angers depuis une quinzaine d'années, auteur de biographies rock aux éditions du Camion Blanc et animateur de l'émission Rocking Angers sur Angers Télé