Depuis ses débuts captivants en 2017, le groupe Jim Ballon a affirmé un chemin artistique marqué par la digression, non pas de manière brutale, mais avec cette souplesse, cette finesse, qui rendent sa musique aussi attachante qu’envoûtante. Chaque nouveau morceau a finalement toujours été une manière de repousser les limites de son propre territoire de jeu, avec plus ou moins d’amplitude. Alors que les Tourangeaux assument aujourd’hui des choix musicaux et textuels très forts, déjà dévoilés en 2023 sur un EP de toute beauté, « Loin + Les ondes », pour lesquels ils ont choisi de continuer sous le nom Jim Ballon, se présente un clip enivrant à l’esprit DIY débridé, propulsant loin et très haut le merveilleux et onirique single « Ça m’éclate les yeux », à découvrir en avant-première sur indiemusic.
Attention, il y a toujours eu quelque chose de très subtil, pour ne pas dire d’intime, chez ce collectif tourangeau qui reste foncièrement un groupe qui n’expérimente jamais pour le simple fait d’expérimenter. Il y a nécessairement du sens, dans cette manière de faire des pas de côté, dans cette manière d’étirer l’espace-temps, les possibles de l’instrumentation et les effets de la langue. Et si un morceau symbolise parfaitement cette soif de créer dans la liberté, en se moquant des éventuels formats et autres standards normés, c’est bien « Ça m’éclate les yeux ». À bien y penser, d’ailleurs, la mécanique narrative du morceau comme celle du clip, qui se complètent à merveille, sont d’une redoutable efficacité. Il ne faut pas bien longtemps pour se laisser happer dans ce vortex sonore tourbillonnant, alchimie essentielle et décisive entre la métronomie du beat et les effluves de distorsions. Plus loin, ce qui pourrait se transformer en une épreuve physique de résistance (le rock fonctionnant aussi sur ce rapport sadomasochiste au son !) se révèle contre toute attente, comme une expérience, apportant quiétude et zénitude. De quoi se laisser submerger par la symbolique émotionnelle des paroles teintées de philosophie, de détermination et de sagesse à mi-chemin du morceau.
« Là
Je veux bien ici et là
Guide-moi, guide-moi,
Je sens que je peux le faire
Seul, je me sens bien tout seul
Mais pour ça c’est la vie,
On a besoin de se lier. »
Assurément, Jim Ballon s’impose ici à travers cet élan instrumental et poétique magistral, parmi les groupes français actuels (SLIFT, Stuffed Foxes, Temps Calme…) qui osent s’aventurer hors des sentiers battus, dans des voix explorées récemment par des groupes et artistes aussi différents et phénoménaux que Tame Impala, King Gizzard, Khruangbin, Mogwai et Flavien Berger… et bien avant eux, par les Floyd, Sweet Smoke, Black Sabbath, le Velvet, Neu!, Can, les Thugs… Le combo tourangeau y trouve suffisamment d’espace pour assouvir ses propres envies musicales, sans complexe, sans calcul, conservant ce soupçon d’instinct décisif. Nous devrions d’ailleurs plus largement parler de dimension artistique, tant à l’image de ce nouveau clip, le geste créatif ne passe pas par un seul média, mais forme un tout vibrant et alchimique. Jim Ballon se permet même un final en apothéose façon Primal Scream, sans verser dans la sortie de routes, ni tomber dans l’exercice de style scolaire, permettant à son récit fantasmagorique animé par ses digressions électro-psychédéliques d’être captivant d’un bout à l’autre de ces dix minutes intenses et imposantes.
L’album « Sensations » de Jim Ballon sortira le 24 mai 2024 chez Figures Libres et Another Records, en partenariat avec Capsul Records et Reverse Tapes.
