[Focus] The Seattle Report – Épisode 3 : Aberdeen et Hoquiam

Le 10 avril dernier, Nirvana faisait son entrée au Rock’n’roll Hall of Fame. Pour l’occasion, Dave Grohl, Krist Novoselic et Pat Smear se sont retrouvés à New York pour réinterpréter certains morceaux du groupe avec des invités de choix (dont Kim Gordon des Sonic Youth), lors d’une cérémonie haute en couleur. Le même jour, à l’autre bout du pays, la petite ville d’Hoquiam, près d’Aberdeen (la ville où a grandit Kurt Cobain), célébrait à sa façon le groupe en décrétant le premier « Nirvana Day ». L’occasion pour nos envoyés spéciaux dans l’État de Washington de se lancer sur les traces de la jeunesse du chanteur.


Aberdeen

maison de Kurt Cobain à Aberdeen
maison de Kurt Cobain à Aberdeen

Malgré le beau temps qui nous a accompagné (presque) toute la semaine, rien n’y fait, Aberdeen est une ville glauque. Près de 40% de sa population vivant sous le seuil de pauvreté (quand l’État de Washington en compte 16%), un alcoolisme galopant, des magasins qui désertent le centre ville, des avenues vides où se succèdent les maisons abandonnées. Voilà pour le tableau. C’est ici qu’a grandit Kurt Cobain, dans une petite maison en bois d’un quartier bordant la Wishkah River.

Devant le 1210 East First Street, rien ne vient rappeler les habitants qui l’ont occupée, si ce n’est un bouquet de fleurs plantée dans la boîte aux lettres, et d’étranges touristes qui se relaient sur le trottoir pour prendre en photo la façade jaunie. Amateurs, sachez que la maison est à vendre… pour un prix près de 10 fois supérieur à son estimation, soit 700 000 dollars. Des fans seraient déjà en train de collecter des fonds afin de faire de la bicoque un musée.

Pont d'Aberdeen
le pont d’Aberdeen

Pour le touriste de passage à Aberdeen, la visite continue forcément par le pont situé à quelques dizaines de mètres de la maison. C’est sous ce pont, qui enjambe les berges de la Wishka River, que Kurt Cobain se réfugiait lorsqu’il était jeune. C’est également ici qu’il dormait pendant ses périodes de vache maigre, et qu’il a composé certains de ses plus beaux morceaux (voir notamment « Something In The Way » qui relate ses nuits passées sous le pont).

L’endroit est devenu un lieu de pèlerinage, la ville d’Aberdeen ayant installé différentes plaques commémoratives aux alentours du pont. Pour autant, le lieu est loin d’être aseptisé : si vous le visitez, vous serez davantage marqués par les locaux qui s’amusent de la présence d’étrangers ou par le clochard posé sur son banc qui harangue une foule imaginaire en sirotant une bouteille de pisse. Ambiance.

Sous le pont, nous retrouvons Mary, une jeune fan du Grand Canyon que nous avions croisée devant la maison de East First Street. Venue avec sa bombe de peinture, elle ne compte pas quitter les lieux sans laisser un tag qui viendra s’ajouter aux nombreux hommages qui recouvrent l’armature du pont. Fan « pure et dure », elle compte passer quelques jours à Aberdeen pour s’imprégner des lieux avant de partir pour un road trip en Californie.

Pont d'Aberdeen
le pont d’Aberdeen

Malgré quelques plaques un peu cheap, force est de constater qu’il n’existe pas réellement de business de la mémoire de Cobain à Aberdeen. Et c’est surement mieux ainsi. Pas de guides, pas de promenades dédiées, pas d’attractions kitsch. Intrigués par un couple qui tient une carte photocopiée dans les mains, et cherchant à savoir où ils se l’étaient procurés, nous atterrissons au magasin Sucher & Sons de l’avenue principale d’Aberdeen. Plutôt que de magasin, il conviendrait davantage de parler d’un lieu de culte dédié… à Star Wars.
Dans un bric-à-brac difficilement descriptible, Don, le vieux monsieur qui tient la boutique, a amassé des milliers d’objets dérivés du film.

Un peu à l’écart, dans une pièce au fond du magasin, le propriétaire a installé un Info Center dédié à Kurt Cobain. On y trouve des cartes qu’il distribue gratuitement, indiquant les lieux de la ville liée à la vie du chanteur (du genre : le magasin où il a acheté sa première guitare), mais aussi des livres, des DVD, des photocopies de sa lettre de suicide qu’il vend pour 1$.

le Kurt Cobain Info Center d'Aberdeen
le Kurt Cobain Info Center d’Aberdeen

Derrière ce business un brin médiocre, ce qui marque, c’est surtout le fait qu’il n’existe rien d’autre. Et Don nous le confirme : s’il a créé son Info Center, c’est parce que rien n’existait pour accueillir les fans qui venaient en pèlerinage à Aberdeen. Fatigué de voir des gens frapper à sa porte pour obtenir des informations, il a décidé de prendre les devants. Selon ses dires, la semaine a été exceptionnelle : avec les 20 ans de la mort de Kurt Cobain, ce sont une cinquantaine de personnes qui ont visité sa boutique (seulement, serions-nous tentés d’ajouter), venant de nombreux pays différents. Avant que nous sortions de son magasin, le vieux monsieur insiste pour que nous signions son livre d’or.


Hoquiam

Hoquiam

Prochaine étape : Hoquiam, à quelques kilomètres d’Aberdeen, qui a décrété en ce jeudi 10 avril le premier Nirvana Day. En termes d’ambiance glauque, Hoquiam n’a rien à envier à sa grande sœur. La ville est déserte, seuls quelques fans un peu perdus errent dans les rues, l’appareil photo à la main, tels des zombies dans un mauvais film de genre. Rien ne semble prévu pour les accueillir le soir même, ni cérémonie, ni concert.

De notre côté, nous préférerons rentrer à Capitol Hill, où nous commençons à prendre nos habitudes, entre le Linda’s, La Cantina, la Comet Tavern et le Montana. Dans chacun de ces bars, la bande-son est irréprochable, l’ambiance excellente, les gens ouverts et affables, la bière bon marché. Notre seule incartade aura été un concert au Crocodile mercredi soir, où jouaient les jeunes et excellents And And And.

Le célèbre club, qui a vu passé tous les grands noms de la scène de Seattle, propose des concerts tous les soirs. Une bonne adresse pour un aperçu de la nouvelle scène alternative de la ville. A noter, mercredi également, une cérémonie en l’honneur de Sub Pop, qui a vu ses deux fondateurs poser leurs empreintes sur le béton de Pine Street. Une sorte de Hall of Fame local.

Sub Pop Hall Of Fame sur Pine Street à Seattle
Sub Pop, Walk of Fame, Pine Street à Seattle

De cette virée à Aberdeen et Hoquiam, nous retiendrons surtout ce désarroi d’une certaine Amérique profonde, où l’ennui et l’absence d’opportunités poussent les jeunes à migrer vers les grandes villes du coin. C’est exactement ce qui est arrivé à Kurt Cobain et Krist Novoselic, qui détestaient leur ville de naissance et se sont empressés de la quitter dès qu’ils en ont eu l’occasion.

Des témoignages que nous aurons récoltés, nous retiendrons également la théorie qui, pour de nombreux locaux, explique la vivacité de la scène musicale de Seattle : le temps. Seattle est une ville où il pleut la moitié de l’année, ce qui pousse les jeunes à s’enfermer dans des garages et des caves avec des instruments plutôt que de trainer dehors. Dans tous les cas, la ville de Seattle, le quartier de Capitol Hill, nous aurons marqué au point que certains en partiront avec un souvenir inscrit dans la peau.

Tatoo

Après cette dernière virée sur les bords du Pacifique Nord, le temps est venu pour nous de rentrer au bercail, nous sans une dernière visite chez un des disquaires du coin, et un cadeau à ce cher Kurt Cobain qui nous aura poussé à entreprendre ce voyage : une belle guitare d’occasion trouvée dans un music store de Capitol Hill, qui nous a accompagnée tout au long de notre voyage, et que nous laisserons sur le banc du square, devant son ancienne maison.


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The Seattle Report

En direct des 20 ans de la disparition de Kurt Cobain, Matthieu, Romain et Xavier couvrent en exclusivité pour indiemusic l’évènement à Seattle.