[Live] Levitation France 2016, jour 2

La quatrième édition du désormais incontournable Levitation France prenait cette année place dans un nouveau lieu d’Angers, l’imposant théâtre et centre de danse contemporaine du Quai. Le temps de deux soirées, le petit frère français de l’Austin Psych Fest déroulait une programmation impressionnante et sans fautes de goûts ou accidents de parcours pour une édition particulièrement mémorable. La soirée du samedi 17 septembre opérait un changement notable dans le style des groupes programmés, avec des sonorités plus sombres et contemporaines et une forte influence du post-punk et de la new wave pour un psychédélisme sans doute moins évident que la veille, avec une belle mise en valeur de la scène française.

La Femme © Fred Lombard

Article écrit par Maxime Antoine et Yann Puron

Comme la veille, c’est par un groupe français, en la présence de Bantam Lyons, que s’ouvre la seconde journée de Levitation France, cru 2016, mais cette fois-ci sur la grande scène du Forum. Énergique et ravageur, le quatuor rock à l’appartenance brestoise revendiquée jusque sur le biceps de son chanteur s’impose immédiatement sur scène à travers des titres incarnés qui jamais ne partent à la dérive. La musique très marquée par un shoegaze à la Slowdive porte une belle nostalgie non dénuée de détermination. Le son massif et l’attitude des musiciens sont du plus bel effet et portent avec une intention totale un premier album, « Melatonin Spree » sorti quelques mois plus tôt sur lequel retentit l’immense et immédiat « Away From The Bar ». Remarquable.

Nous enchaînons immédiatement en T400 avec Rats on Rafts, sans doute un des choix de programmation les plus étonnants dans un festival dédié à la musique psyché, puisque le combo néerlandais basé à Rotterdam officie dans un registre clairement post-punk et new wave. Peu importe le flacon, nous avons eu l’ivresse avec un set très intense et dark, porté par des rythmes lents et une basse obsédante et traversée de saillies punk furieuses. Chose assez rare en live, le groupe se plaît à reproduire un effet de sourdine à la fin de plusieurs de ses morceaux, jouissant ainsi d’un beau contraste lorsqu’ils enchaînent de plus belle avec les suivants. Le meilleur moment du concert reste néanmoins une époustouflante reprise de « Some Velvet Morning » de Lee Hazlewood et Nancy Sinatra qui devient un monstre de bizarrerie cold wave avec les parties de Nancy hurlées par un guitariste extatique. Étonnant.

Yeti Lane, formation française, prend la suite des hostilités au Forum et nous fait sévèrement planer avec son rock psyché sombre et lent particulièrement efficace qui invoque des atmosphères new wave, des accents de stoner ou les débuts de Tame Impala. Pas mal pour un duo, et un des trips les plus fascinants de la soirée.

C’est ensuite Guillaume Marietta et son groupe qui prennent la relève avec un concert en deux parties bien distinctes (marque de fabrique de la soirée également suivie par les Limiñanas et La Femme). Tout d’abord, c’est une pop psyché insolente et très sixties, assez sage et pendant laquelle on admire le sosie moustachu de Ringo Starr qui joue de la batterie, puis au bout d’un quart d’heure le ton se durcit nettement, les guitaristes envoient un gros mur de son sur des arabesques de batterie intéressantes mais un peu farfelues. Le batteur en perd même sa baguette et en saisit une autre ni vu ni connu. Après un morceau nerveux et court, le groupe balance une grosse décharge psyché avec une basse tentaculaire sur des murs de saturation, puis embraye sur un style plus shoegaze ou Madchester, avec une basse dominante, des guitares toujours aussi massives et des chœurs perchés tout là-haut. Le concert s’achève sur une jam épique qui concilie motorik et punk avec des emprunts-hommages à « Straight to Hell » des Clash, aux Cure, à « Pretty Vacant » des Sex Pistols et un joyeux bordel qui semble improvisé et dure jusqu’à ce que le staff du festival fasse comprendre au groupe que son temps est largement dépassé. Dommage, il se passait vraiment quelque chose de sensationnel.

De retour au Forum, le trio Sunflower Bean a pris les commandes avec un des sets les plus variés du festival, passant d’une jangle pop new wave vaguement psychédélique et lumineuse (jolies projections, là encore) à des envolées nettement plus stoner et musclées. Julia Cumming est une chanteuse et bassiste charismatique qui nous fait prendre conscience qu’il y a beaucoup plus de femmes sur scène pour cette deuxième soirée que la veille, et la fin du concert est pensée comme un impressionnant crescendo très psychédélique et irrésistible qui fait se tourner toutes les têtes, mêmes les plus distraites, vers la scène, et cesser les conversations au coin fumeur. Bel exploit.

Vient alors le tour d’un des groupes les plus singuliers de cette édition, et d’une des plus belles découvertes pour qui aime quand psychédélisme rime avec tribal ou traditionnel. TAU est un duo composé de Shaun Nunutzi des Dead Skeletons et d’un musicien multi-instrumentiste vénézuélien Gerald Pasqualin qui s’inspire des expériences psychotropes vécues par Nunutzi dans le désert mexicain de Wirikuta. Au programme, une musique profondément psychédélique et dépaysante, qui rappelle Om ou Föllakzoid et nous embarque dans un puissant trip de space rock incantatoire aux accents tribaux grâce à certains instruments traditionnels, en particulier des percussions. On en redemanderait volontiers.

The Underground Youth, groupe anglais auteur d’un excellent album « Mademoiselle », offre au Forum une des plus belles et des plus sombres prestations de tout le festival. Son savant mélange de new wave, de Joy Division et de Velvet Underground (un de leur morceau ressemble furieusement à « Heroin ») fait mouche et marque les esprits grâce à une exécution glaciale et martiale portée par le couple formé par Craig et Olya Dyer, respectivement bassiste-chanteur et batteuse du groupe, originellement un one-man-band de Craig. La force de cette musique réside aussi dans sa simplicité et sa sécheresse, où chaque note claque, à l’image du jeu minimaliste de Olya, debout derrière deux toms et engoncée dans des vêtements noirs et moulants qui lui donnent une allure de déesse sévère. L’atmosphère se fait pesante, oppressante même, les paysages musicaux sont désolés, les projections colorées derrière font se détacher les silhouettes noires et magistrales des musiciens qui envoient un concert particulièrement envoûtant et spectral. « I Need You » est incroyable, tandis que le dernier morceau, très épuré, associe chant désincarné, nappes instrumentales et batterie monotone. Un concert marquant, au lightshow fascinant.

Viennent ensuite la douce mélancolie et le baume du folk d’Alex Maas, chanteur des Black Angels venu nous réconforter en solo avec un set essentiellement acoustique et intimiste simplement accompagné de sa guitare et d’un batteur. L’ambiance est au recueillement pour écouter cette tête de proue de la scène néo-psychédélique américaine qui offre un très joli moment de douceur aux accents country. C’est peut-être légèrement en décalage avec le reste de la soirée, mais ce concert offre quelques moments de grâce comme sur un titre orientalisant joué avec un instrument traditionnel de type sitar ou bouzouki, et Alex Maas a une vraiment très jolie voix. Nous partons avant la fin pour assister au concert des Limiñanas.

« Athen I.A » aux airs d’Ennio Morricone retentit dans le Forum du Quai. The Limiñanas et toute sa bande font escale sur la scène qu’ils vous foudroyer une heure durant. Entre les riffs déflagrateurs de Lionel, le chant élégant de Nika et le jeu de batterie très habité de Marie, le spectacle est un délice tant pour les yeux que les oreilles. Alternant les morceaux anglophones et francophones (« The Darkside », « El Beach », « Prisunic », « Zippo »), les Perpignanais débordent d’une énergie communicative et d’une expérience scénique évidente. Nous regretterons l’absence de morceaux marquants de leur discographie comme « Kostas » ou encore le culte « Je ne suis pas très drogue » ainsi que l’absence de la voix de Lionel, pourtant si précieuse dans les morceaux du groupe. Un set absolument électrique et sans temps mort qu’il nous tarde de revoir en version longue.

Pendant ce temps, les aficionados de la scène la plus radicale de l’électro psyché des pionniers assistent à l’hommage rendu à La Monte Young par Peter Kember (Sonic Boom), Étienne Jaumet (Zombie Zombie) et Céline Wadier via une création aux confins du jazz, du drone et de la musique électronique planante. Nous n’y faisons qu’un bref tour, car La Femme s’apprête à prendre place sur la scène du Forum.

C’est d’ailleurs officiel, La Femme n’est plus ce petit groupe rock indé qui monte. Leur réputation en hausse fracassante suite à la sortie de leur deuxième album « Mystère » peut expliquer cette foule bien compacte attendant patiemment le début du concert. Les premières notes d’« Où Va Le Monde » et la comptine « Septembre », très bien interprétés par Marlon et Clémence ont vite fait d’embraser un public chargé à bloc. Entre le fougueux « Tatiana » ou encore un « 2023 » planant à souhait, le groupe n’hésite pas à provoquer gentiment son public comme à son habitude. La version étendue de « La Femme ressort » nous en fait voir de toutes les couleurs avec son rythme intense et complètement hypnotique, et puis il y a eu cette fameuse main, emblème du groupe, saturée d’une magnifique esthétique circulaire à l’écran. Ne résistant pas à la tentation de faire un concert différent à l’occasion du festival, La Femme fait la même erreur que lors de son dernier passage à Levitation et propose un set parfois ennuyeux et trop planant dont certains tubes géniaux (« Sur La Planche », « S.S.D. ») répondent aux abonnés absents. Le morceau de quinze minutes « Vagues » pour clôturer le set en aura découragé plus d’un. Nous l’avions bien vu à La Route du Rock en août dernier, le groupe biarrot-parisien a pourtant toutes les cartes en main pour réussir pleinement des concerts épiques, il lui suffit juste de calibrer son attitude, de se concentrer sur sa musique et de construire plus intelligemment ses setlists.

Dernier concert du festival après la relative déception de La Femme, la légendaire formation de blues psychédélique et de hard psych américaine Dead Meadow déboule en T400, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont clos cette édition 2016 en beauté. Pas de répit ni de temps mort pour ce concert complètement virevoltant où tout le répertoire du groupe est regonflé à la sauce stoner pour une tempête apocalyptique et étourdissante de riffs qui semble ne jamais s’arrêter. Beaucoup plus musclée sur scène que sur album, sa musique est un véritable tourbillon qui semble apporter la dernière pièce à l’édifice que le festival construisait depuis deux jours. La tête enfumée, les yeux fermés, les cervicales et les lombaires épuisées, nous nous abandonnons enfin complètement dans un océan sonore tumultueux dominé par la guitare omniprésente de Jason Simon et la batterie herculéenne de Mark Laughlin et dont il est difficile d’émerger une fois que l’assaut prend fin.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique