L’entité auvergnate Leopoldine vient tout juste de sortir un EP « Adieu Canopée ». Au détour d’un emploi du temps digne d’une ministre, partagée entre les exigences de la promotion et les réalités de sa vie personnelle et professionnelle, Pauline, la voix et l’âme musicienne de Leopoldine a accepté notre invitation. En tant que média indépendant et passionné, la volonté d’indiemusic, au-delà de sentir les tendances et de dénicher le talent, est de raconter les histoires de ces musiciens et chanteurs de l’ombre, dont la musique colore nos vies, parfois bien trop monochromes. Pauline s’est livré en toute sincérité et nous a raconté avec beaucoup d’humour et de recul ses premiers pas dans la musique.
- Bonjour Pauline, pour commencer nous voudrions savoir comment tu te sens ? Ton nouveau disque vient juste de sortir ? Tu viens de sortir de résidence, des concerts se profilent à l’horizon.
Je me sens assez bien, je n’ai pas de challenge, de concours comme j’ai pu avoir avant, qui sont plus déstabilisants. Du coup, ce n’est que du plaisir, c’est l’aboutissement de toute une année de travail, j’ai essayé beaucoup de pistes pour cet enregistrement. Je suis vraiment contente du résultat, ça a été long pour aller là où je voulais. C’est un accomplissement. Et puis cela va enfin nous donner un support pour démarcher, pour faire écouter notre musique.
- Parlons justement de ce disque sur lequel tu as fait le choix de la langue française. À titre personnel, je trouve que cette orientation te correspond beaucoup plus, et te permet de mieux incarner ta musique, notamment sur scène. Qu’est-ce qui a guidé ce choix, ce changement ?
J’écoute peu de chanson française. Musicalement, ce n’est pas ce que j’écoutais plus jeune. Après j’adore Bashung, Dominique A. La scène française se transforme, elle va dans des endroits où elle n’allait pas avant. Je ne suis pas du tout chanson française traditionnelle. Depuis quelque temps, il y a de plus en plus de possibles, le français sonne sous plein de formes nouvelles. J’aime les mélanges. Mais ce n’est pas évident le français chanté, je ne veux surtout pas tomber dans Lara Fabian ou Céline Dion. Je me balade beaucoup quand je chante, et cela peut vite devenir « gnangnan ». Je ne veux pas devenir une chanteuse à voix. Du coup, avec le français, j’avais peur d’aller là-dedans. C’est pour ça que je travaille beaucoup les arrangements pour ne pas tomber là-dedans justement…
Depuis le début, j’aurais bien aimé écrire en français. Spontanément quand j’ai commencé à composer, ce n’était pas dans le cadre d’un projet. Quand je composais toute seule, des morceaux, en anglais cela sonnait plus facilement avec ma voix, beaucoup mieux qu’en français. Les langues chantent différemment. Mais surtout, c’était pudique, cela me permettait de jouer devant des gens, sans être comprise. Et puis j’ai commencé à faire quelques concerts, j’ai finalement été frustrée de ne pas vraiment être comprise. J’ai essayé de composer en français. Quand je compose, je fais toujours du charabia, qui sonne très anglais. En fait, je ne commence jamais par le texte. Et puis un jour, j’ai réussi à faire sonner un morceau en français. C’était « Sous l’armure », qui est le premier morceau de l’EP. (« Music box EP (For Satine) », sorti en 2013). Alors que je l’avais commencé en anglais. Le radio-crochet de France Inter était passé par là, et a conforté la possibilité d’aller dans cette voie. Après j’aime bien les deux langues. Mais c’était vraiment mon choix, mes envies du moment. Est-ce que ce sera toujours le cas, plus tard ?
Maintenant que j’ai commencé à écrire en français, j’adore ce travail. Mais des fois, j’ai envie de chanter des choses plus directes et l’anglais permet ça. En français, il faut prendre des détours. Peut-être que cela vient du fait que je ne commence jamais par le texte. Ma manière de composer, c’est le chant, la sonorité qui comptent d’abord et j’adapte ensuite la musicalité des mots. Mais à force de chanter en français, j’apprends de plus en plus : c’était très difficile au début. On a du mal à articuler, les mélodies sont très dures à chanter en français.
- Effectivement sur le disque, certaines paroles, certains mots sont quasi-chuchotés, ils sont presque comme des fantômes et puis à d’autres moments, ton chant a beaucoup plus d’ampleur, de présence… tu joues avec ces alternances.
En fait, je chantais déjà comme ça avant en anglais. C’est ma manière de chanter, je ne sais pas vraiment d’où elle vient exactement. Je n’ai pas eu envie de changer. Alors qu’on m’a souvent dit, on ne t’entend pas bien, on ne comprend pas bien ce que tu dis. Mais je perdrais tout le charme et l’intensité du truc si je ne chantais pas comme ça.
- Comment sont nés les morceaux du disque ?
Généralement la composition arrive, alors que je suis toute seule, avec mon piano et ma voix. Sauf pour « Happyness’s Keys », où c’est mon compagnon et guitariste, David, qui a apporté l’ébauche. Et puis après, les morceaux grandissent avec le piano, le chant et la guitare. On pourrait s’en tenir là d’ailleurs, et même pour certains morceaux, on choisit de s’en tenir là. J’ai toujours aimé bidouiller sur mon ordinateur, avec mon clavier maître, superposer les pistes, superposer les voix, amener de la boîte à rythmes… Cette base-là, je peux la retravailler ensuite avec Cyril, mon arrangeur, comme sur mon premier EP. Sur ce nouveau disque, j’ai eu la chance de rencontrer des musiciens talentueux, qui pouvaient m’aider à aller dans le sens où je voulais, mais que techniquement, je ne savais pas réaliser. Par exemple, je voulais des choses beaucoup plus brutes que ce que j’avais pu faire sur le premier EP.
- Qu’est-ce que tu entends par « des choses beaucoup plus brutes » ?
J’ai essayé plusieurs pistes. Ces morceaux se sont construits un peu dans l’urgence au moment du radio-crochet (en 2014). À l’époque, je travaillais notamment avec un batteur, qui apportait plein de choses, mais ce n’était pas ce que je voulais… J’aime vraiment beaucoup les boîtes à rythmes. Sur le premier disque justement, on avait travaillé avec des fausses batteries entre guillemets ; on n’avait pas de batteurs. J’ai préféré du coup, travailler sur des sons de boîtes à rythmes, simples et efficaces, épurés, bruts.
- C’est marrant, un blogueur qui a chroniqué ton nouveau disque en inventant tout un tas de fausses citations a fait référence à ces fameuses boîtes à rythmes.
Ah, oui, cela m’a fait beaucoup rire aussi : « l’utilisation du contretemps du preset de base Roland ».
- Tu peux, du coup, nous présenter plus en détail les musiciens qui t’entourent ? Tu as déjà commencé avec ton compagnon David, guitariste, qui t’accompagne et compose avec toi depuis les débuts… Cyril, peut-être ?
Oui, Cyril Dufay, qui est mon arrangeur, qui travaille avec moi aussi depuis le début. En fait, j’avais joué sur un de ses albums, il y a des années. Je l’ai recontacté. Il participe vraiment à l’identité sonore du projet. Cyril, il a vraiment de la personnalité, alors il faut vraiment équilibrer le tout, pour pas que cela prenne le dessus justement. J’ai essayé d’enregistrer sans lui, et ça ne fonctionne pas. Cyril est très important.
Il y a également Benjamin Teissier (de Kissinmas) aux synthés et aux arrangements. Par exemple, sur « Demain dès l’aube », c’est un clavier Rhodes, et comme j’ai une formation très classique, c’est Benjamin, qui a joué cette partie. Il amène d’autres atmosphères.
Et pour les boîtes à rythmes, c’est Thomas Dupré (de Bruxelles) qui s’en charge. Il y a aussi Guillaume Bongiraud au violoncelle, et Yannick à la batterie. Au début, nous avions enregistré tous les morceaux en batterie, mais je n’aimais pas tout, même si j’ai gardé quelques parties comme sur le final de « Sous l’armure ».
- Sur scène, nous avions le sentiment que tu étais à la baguette, mais qu’il y avait un vrai groupe sur scène. (Pour son concert de sortie de résidence, au Tremplin à Beaumont, à côté de Clermont-Ferrand).
C’est ce que je défends depuis longtemps. Depuis le début, on me dit : « Mais pourquoi tu ne joues pas toute seule avec ton piano ? », mais ça ne m’amuse pas de jouer dans une configuration solo. C’est un projet qui va au-delà du piano-chant. Je suis contente que tu l’aies ressenti comme ça. J’ai beaucoup de mal à défendre le fait que c’est un projet collectif. Et que si on enlève les accompagnements, on enlève la moitié de l’identité du groupe. Oui, il y a une jolie voix et un piano, mais pas que ça. Même si je peux jouer parfois en piano-voix comme je l’ai déjà fait à la Coopé. (La Coopérative de Mai, SMAC de Clermont-Ferrand). Je joue des fois en duo avec David. Là, demain, nous jouerons à trois avec Benjamin, sans rythmique, mais avec toutes les nappes, les synthés. Nous pouvons faire plein de formules différentes. Mais lorsqu’il s’agit de montrer le projet, je trouve vraiment dommage de ne pas avoir toute l’identité sonore du groupe. On perd vraiment une partie de Leopoldine. Il y a même certains morceaux qui n’ont plus de sens, qui font vides quand tout le monde n’est pas là. En plus, dans ma manière de composer, j’ai l’habitude de composer des boucles très simples. Sur « La conquête » par exemple, c’est une boucle de piano, qui fait des vagues, mais c’est un peu toujours la même chose, et je n’aurais pas envie de l’écouter juste comme ça… Même si je sais, qu’il serait beaucoup plus facile de tourner en version piano-chant. (rires).
- Il y a quelque chose de très féminin dans ton disque, à la fois dans tes paroles, dans la musicalité du groupe : quelles sont les femmes qui peuvent t’inspirer, qu’elles soient musiciennes ou non ?
(Un peu embêtée) Moi, je ne suis pas féministe… Les femmes musiciennes, qui m’inspirent… ? Ah, si cette année, j’adore l’album de Robi : « La Cavale ». Après j’aime Cat Power, PJ Harvey, Elysian Fields et Jennifer Charles. D’ailleurs, je reprends l’un de ses morceaux. J’ai du mal avec les références, en fait… Ma mère (rires).
Quelques heures, plus tard, je reçois un texto.
J’ai oublié de dire quelque chose qui me semble important. J’étais focalisée sur les musiciennes, quand tu m’as demandé quelles femmes m’inspiraient ? Or j’ai écrit « Demain dès l’aube » après la mort de Camille Lepage, jeune photojournaliste française, abattue en République Centrafricaine pendant qu’elle couvrait un conflit dont tout le monde se fout. Ça m’a donné envie d’écrire ce morceau sur le courage.
- Ce côté féminin est très présent, sur la reprise de Bashung, un morceau écrit par un homme, avec toute la fragilité et la sensibilité qui pouvaient être les siennes, notamment sur ce morceau.
Je n’ai pas vraiment cherché à faire quelque chose. À titre personnel, j’aime bien ce morceau. Dans l’urgence pour le radio-crochet, il fallait faire une reprise, j’ai essayé n’importe quoi d’autre, parce que je n’osais pas reprendre Bashung, c’était presque déplacé, mais je n’avais rien de mieux.
- Pourquoi utilises-tu le mot déplacé, en parlant de reprendre Bashung ?
Ce n’est pas vraiment déplacé, mais c’est parce que je ne suis personne. En plus, ce titre-là, il parle d’amour, mais aussi de sodomie. Est-ce que dans la bouche d’une fille, ça se fait ? Mais en fait, ce que j’aime chez Bashung, c’est aussi ce truc universel, les métaphores, tous les détours qu’il prend pour dire des choses simples. Voilà, je l’ai reprise comme ça avec mon piano et mon chant. Je n’ai pas cherché à aller dans une direction en particulier. J’aime bien reprendre les chansons des hommes, mais je n’aime pas le karaoké. Je me sens légitime de la faire écouter, si elle est suffisamment différente de l’original. Et ici, c’était une lecture différente du morceau, alors il était intéressant de la faire écouter… Je n’aurais pas mis cette reprise sur le disque, si elle n’avait pas autant plu dans le cadre du radio-crochet. Je ne me serais pas senti légitime, si entre guillemets, je n’avais pas eu l’aval du public.
- Il y a presque un goût de trop peu dans ces six titres ? Est qu’un album est dans les tiroirs ?
Oui, je suis sur la composition de nouveaux morceaux, mais je veux prendre le temps, ne pas me précipiter. Mais j’aimerais bien sortir quelque chose fin de l’année prochaine ou début 2017. J’avais de quoi faire plus, mais la qualité que je voulais n’était pas là : empiler des morceaux pour empiler des morceaux, ça me plaisait pas. Beaucoup trop n’étaient pas prêts à sortir. J’ai préféré me concentrer sur les morceaux aboutis, même si un morceau n’est jamais vraiment fini. De la matière, j’en ai, des morceaux, des nouveaux, des anciens, j’en ai pleins, mais où il manque les paroles ; c’est surtout du temps que je n’ai pas. L’écriture en français me prend beaucoup de temps, beaucoup plus qu’en anglais. Le travail autour des arrangements : j’essaie plein de choses avec plein de musiciens. J’épure après, je prends un truc d’untel, un autre truc. Et tout cela prend beaucoup de temps. Mais ceux qui ont écouté les premières versions te le confirmeront, ça valait le coup d’attendre (rires). Là, je vais très vite me reconcentrer sur l’écriture, même si nous allons faire un peu de scène, notamment en février. Mais à cause de mon travail, je ne peux pas accepter toutes les dates, je n’ai pas de tourneur. Je n’ai pas les moyens de libérer beaucoup de temps pour tout ça, ce n’est clairement pas mon métier. L’an dernier, nous avons beaucoup tourné ; enfin pour moi c’était beaucoup. Du coup, je n’ai pas pu vraiment composer et ça me gêne, car c’est ce que je préfère, justement, composer… Je pense que d’ici 2 ans, j’aurais perdu mon travail et je pourrais en faire beaucoup plus (rires).
- Tu sembles avoir beaucoup progressé par rapport à une certaine appréhension de la scène ? Est-ce que la scène devient un plaisir pour toi ?
C’était même maladif, je me suis soigné. Ça devient de plus en plus un plaisir, et ça le sera de plus en plus si j’arrive à me sentir légitime. En fait, j’ai tout précipité, j’ai tout fait à l’envers. La première scène, c’était à la Grande Coopé (jauge de 1500 personnes). Je n’avais jamais joué devant autant de monde. J’ai fait le Conservatoire, j’étais traumatisée, j’avais arrêté au bout de 5 ans parce que je ne supportais plus les auditions. J’ai joué uniquement pour moi pendant des années. À la fac, j’ai vécu en coloc, et mes colocataires m’ont demandé d’écouter ma musique. C’est comme ça que ça a commencé. J’ai envoyé une maquette et j’ai été sélectionné pour le Tremplin DeLaZic.com, il fallait jouer une demi-heure… Je n’avais pas de musicien. Je n’ai juste pas dormi pendant un mois et demi. Mais je me suis dit, tu es grande maintenant, tu y vas. C’est pour ça qu’au début, il y a un tel engouement du côté de mon entourage : « Allez, on va voter pour elle, on va la faire monter sur scène, coincée comme elle est, ça va être drôle ! » (rires).
- Tu emploies souvent le mot légitimité. Qu’est-ce qui fonde finalement la légitimité d’une musicienne ?
Eh bien, c’est à force de voir plein de trucs pas terribles que je me sens plus légitime (rires). J’exagère, je vois plein de trucs géniaux, qui me font me rendre toute petite… Je ne me sentais pas légitime parce que les gens étaient là pour me juger. D’ailleurs, après ce tremplin, je n’ai pas fait grand-chose…
Ah, si j’ai fait ma fille, ça m’a occupé quelque temps, et puis elle était encore toute petite quand ma manageuse m’a inscrite au radio-crochet de France Inter. J’ai été prise, je ne pensais pas que cela durerait aussi longtemps. On a eu de la chance, on a gravi pas mal d’échelons. On a joué pendant presque 6 mois, dans un truc assez intense, un truc de jugement, pas hyper confortable. J’ai quand même commencé par des trucs difficiles. Mais à chaque fois, il y avait du public et c’est le public qui m’a donné envie de continuer. Les gens qu’on aime et qui trouve ça bien, cela nous fait plaisir, mais ça reste ta mère et ta copine, ils ne sont pas objectifs (rires).
Rencontrer des gens que l’on ne connaît pas, qui sont touchés, que le tout est sincère. Là tu te sens légitime. En fait, c’est ça la légitimité. C’est le public qui la donne, pas les professionnels, ils ne sont jamais d’accord (rires).
Le micro est ensuite éteint. La conversation se poursuit. J’en viens à regretter de ne pas avoir tout enregistré tant les échanges sont riches et passionnés.
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