[Interview] Nadine Khouri

Auteure du sublime « The Salted Air » sorti le 3 février dernier, merveille de musiques inspirées à l’humanité poignante et obsessionnelle, la chanteuse libanaise Nadine Khouri a signé ce que l’on peut sans conteste considérer comme l’un des opus les plus fascinants de 2017. Toujours soucieuse d’apporter à ses créations un supplément d’âme et une richesse instrumentale parfaitement adaptés à son timbre habité et troublant, elle ne cesse de remettre en question ses propres acquis musicaux afin d’en explorer toutes les contrées sauvages et vivifiantes. Le moment était donc venu de discuter avec elle de ce nouvel album, mais également de cette insatiable soif de découvertes culturelles qui forment l’essence même de ses compositions et de l’œuvre qu’elle continue à sculpter, au fil des ans.

crédit : Steve Gullick
  • Bonjour et merci de bien vouloir répondre à nos questions ? Venons-en immédiatement au sublime « The Salted Air ». Tout d’abord, pourquoi ce titre, qui fait irrémédiablement penser aux embruns et à la mer ?

Tout d’abord, c’est la première chanson que j’ai écrite pour l’album. Je voulais faire communiquer un sentiment de suspension – de se sentir dans le moment présent, et un peu ailleurs, en même temps -, un ressentiment plus qu’autre chose. D’une certaine manière, c’est rendre aussi hommage à mes affinités méditerranéennes (et, indirectement, a une sorte de « Saudade », comme disent les Portugais !).

  • On sent sur ce disque le mélange magique de tes origines libanaises et d’une vision plus occidentale de la composition et de l’arrangement, si tu me permets de m’exprimer ainsi. Comment parviens-tu à concilier les deux ? Quelle importance peuvent avoir les premières sur la seconde, ou inversement ?

Honnêtement, j’ai passé ma vie entourée de musique assez « occidentale ». Mon père, qui vivait au Liban pendant les années 1960, écoutait principalement les Beatles, Jimi Hendrix et les Rolling Stones. Parfois, les images qui me hantent proviennent de mon enfance, ou bien du temps passé a Beyrouth. D’une manière ou d’une autre, les deux mondes font partie de moi ; si cela transparaît quelque part a travers la musique, tant mieux !

  • « Thru You I Awaken » nous laisse découvrir une montée en puissance de l’instrumentation autour de ta voix, pour atteindre une intensité aussi juste qu’occupant tout l’espace sonore. Quels instruments as-tu utilisés et mélangés pour parvenir à cet incroyable masse harmonique ?

On était trois au studio a l’enregistrer en live avec John. À la base, j’avais enregistré une maquette avec harmonium et chant. A Toybox Studios, j’avais a mes côtés J. Allen à l’harmonium, Ruban Byrne à la guitare électrique, et puis moi derrière le micro. C’était super de pouvoir travailler comme ça – simplement et rapidement. Pour la masse harmonique, je voulais faire une fusion entre des instruments organiques et électriques – John a assuré cela dans le mixage des deux instruments.

  • L’album permet de découvrir certaines pistes folk très sobres, comme « I Ran Thru The Dark (To The Beat Of My Heart) » ou encore « Surface Of The Sea », ce qui les démarque du reste de l’opus. Est-ce un genre que tu affectionnes plus particulièrement, notamment depuis ton premier EP, et que représente cette musique pour toi ?

Le folk ? J’ai dû écouter beaucoup plus d’artistes alt-folk ces dix dernières années. Le terme est un peu difficile à définir ces jours-ci – le folk, pour moi, c’est peut-être les histoires personnelles des gens, intimes et souvent universelles, en même temps. Ce n’est pas un genre que j’affectionne particulièrement plus qu’autre chose – il y a tellement de genres de musiques que j’ai appris à connaître et à aimer depuis l’enregistrement du premier EP.

  • La chanson « The Salted Air » est d’une magie étourdissante. Comment as-tu enregistré ce titre en particulier, notamment toutes les voix que l’on peut y entendre ?

Merci ! Comme le reste du disque, on a enregistré le titre entièrement en live. Je voulais avoir un chœur de voix masculines et John a eu l’idée de mettre toutes les voix en avant-plan, que l’on puisse entende le timbre ou caractère unique de chaque voix (en l’occurrence, J. Allen, Ruban Byrne et Adrian Crowley.)

  • L’album, dans son entier, ne ressemble à rien de connu dans la sphère artistique actuelle ; il est libre, sans structures à respecter, et c’est ce qui fait sa force. Était-ce ce que tu désirais trouver lorsque tu as commencé à le composer ? Et considères-tu que cela lui apporte une valeur totalement intemporelle ?

J’ai écrit cet album d’abord pour moi-même, par nécessité, réellement. Dans l’écriture ou la démarche, c’est plutôt : « Est-ce que cela me fait plaisir ? » Il y a des critiques qui reprochent des choses à l’album dans le genre : « C’est trop lent, trop minimaliste, etc… » ; mais j’aurais très bien pu écrire ce genre d’album si je le souhaitais. Il ne s’agissait pas de plaire ou d’assurer une formule, mais de tenter de s’exprimer de la manière la plus honnête et sincère possible, à l’époque. J’ai eu la chance de pouvoir travailler librement comme ça avec John, sur mes compositions.

  • Le clip accompagnant ta chanson « Broken Star » est superbe. Comment est venue cette idée de mélanger des images en noir et blanc et d’autres étincelantes (notamment le cercle lumineux central de la vidéo), éblouissantes même, en suivant cette déambulation nocturne ? Comment se sont déroulés le tournage et la production du clip ?

Avant de tourner le clip, j’ai discuté longuement avec le réalisateur Jeff Wood de l’histoire qu’il y avait derrière la chanson – à la base, une nouvelle de Virginia Woolf qui parle d’un homme obsessif rôdant dans tout Londres a la recherche d’objets perdus. Nous avons filmé les scènes extérieures un soir d’hiver et je mourais de froid ! Par la suite, Jeff et Matthew Day on projeté les images sur un aquarium scintillant et re-filmé la projection, ce qui donne cet effet assez spécial et organique.

  • Tu t’occupes toi-même de ton label, One Flash Records. Est-ce par souci de conserver une totale liberté sur tes créations ? En quoi est-ce une tâche contraignante ou, au contraire, passionnante ?

Tout d’abord, c’était vraiment par nécessité. J’ai l’habitude d’avoir cette liberté totale maintenant, je ne sais pas trop comment ça se passerait autrement. Cela dit, ces jours-ci, les labels arrivent souvent par la suite et je n’ai pas voulu attendre trop longtemps. Ça me convient, mais c’est énormément de travail. Enfin, sûrement plus que ce l’on s’imagine, je crois !

  • Comment envisages-tu la scène, en amont de ton travail en studio ? Est-ce une étape complémentaire, un moment privilégié que tu aimes partager avec le public ?

Je ne suis pas vraiment extravertie de nature, mais j’adore la scène pour ça – pouvoir partager un moment privilégié à travers sa musique, s’unir aux gens a travers cette chose intangible -, c’est vraiment un des plus grand privilèges.

  • Qui t’accompagne sur la tournée actuelle ? Et comment sont reçus les titres issus de « The Salted Air » ?

Ça dépend des fois. En ce moment, c’est Huw Bennett (qui joue sur l’album) a la contrebasse, Basia Bartz au violon et Adam Teixeira a la batterie.

  • Les critiques concernant ton nouvel album son dithyrambiques. Ressens-tu une certaine pression du fait d’avoir des avis aussi positifs avant de monter sur scène, ou pour ce qui suivra, dans les mois et les années à venir, « The Salted Air » ?

Peut-être un peu, devant un nouveau public qui connaît déjà l’album, car je veux donner le plus possible sur scène. Pour ce qui est en des critiques et de ce qui suivra, non, pas trop.

  • Quels sont, d’ailleurs, tes projets, à part la tournée promotionnelle de l’album ?

Nous allons sortir une série de « B-Sides » fin mars, et encore en juin. À part les concerts, je suis en train d’écrire des nouvelles chansons pour le prochain album.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.