[Live] This Is Not A Love Song 2019, jour 2

Après une édition 2018 marquée par une affiche regorgeant de groupes célèbres et prestigieux qui n’aura pas apporté toutes ses promesses et lui aura un peu fait perdre de son originalité au milieu des mastodontes estivaux, le festival nîmois This Is Not A Love Song (TINALS pour les intimes et les feignasses) revenait pour une septième édition résolument plus indépendante. Si le pari est réussi en termes de programmations, le festival a par moments été victime de son succès avec une fréquentation exceptionnelle et des couacs organisationnels sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir. C’est parti pour un compte-rendu jour par jour de cette fête géante, exubérante et épuisante de trois jours, et on continue avec le vendredi !

Courtney Barnett – crédit : Cédric Oberlin

Il est difficile pour nous de quitter une maison si confortable que celle qui nous accueille avec quelques amis sur les hauteurs de Nîmes, façon all inclusive, piscine, pastis et chatons compris. Après une pool party absurde rythmée aussi bien par les Plasticines que par les Shaggs – on vous laisse opérer le rapprochement entre les deux – on se décide à bouger pour 16h, d’autant qu’une interview est prévue avec Courtney Barnett (à lire très bientôt sur indiemusic) et que ce serait bête de manquer ça. Pour l’amour de la musique, qu’on vous dit. Nous ratons donc Poutre, sacrifiés comme Le SuperHomard la veille sur l’autel des groupes sympas avec un nom un peu pourrave, et placés à un créneau absolument inexplicable pour un groupe aussi vénère. La curiosité de la journée, et qui ouvre donc les hostilités pour nous ce soir, s’appelle Off The Wagon, et c’est un one-man band (le seul de la programmation) qui nous vient de Montpellier. Le gars du Gard joue donc seul en scène au Patio avec sa mini batterie, sa guitare, ses claviers et surtout de quoi bidouiller des loops assez malignes, pour un rock basique et marrant qui fait s’agiter quelques jeunes déjà bien alcoolisés (détail auquel on reconnaît le deuxième jour d’un festival). À part un petit loupé sur le dernier morceau et dont il se rattrape avec panache, le mec maîtrise plutôt bien son affaire et lance donc la soirée avec une belle énergie même si on se dit qu’on n’écouterait pas forcément la version studio d’un tel projet qui prend – à notre avis – tout son sens sur scène.

Un petit détour par la Flamingo en plein cagnard pour aller voir par curiosité (un peu morbide on ne s’en cache pas) ce que donne le set de Lou Doillon, dont on n’attend strictement rien, mais que d’aucuns nous vendaient presque comme un revival Riot Grrrl à la française. Résultat des courses, une pop frenchie honnête et de facture classique, qui semble sortie tout droit du milieu des années 2000, comme si le fait d’avoir écouté les Plasticines à la piscine plus tôt dans l’après-midi s’était avéré étrangement prophétique. Nous ne ferons aucun commentaire sur l’horrible legging qu’arbore la chanteuse, et on se demande si le mec qui joue de la gratte à gauche ne serait pas Yarol Poupaud (après vérification, c’est bien lui).

Pas de quoi casser trois pattes à un canard, mais on reconnaît que le concert est idéalement situé pour contenter le public familial de la partie gratuite (avant 20h) du festival. On s’en va au bout de quelques morceaux pour refaire un tour du côté de Nina & Simone, et cette fois bien nous en prend puisqu’elles décident de nous laisser jouer et même de nous faire gagner quelques prix, et pas des moindres, puisque nous repartons avec le droit d’assister au début du concert de Courtney Barnett depuis les backstages (!) avec un ami de notre choix. On ne pourrait rêver mieux, surtout après l’échange particulièrement cordial et cool que nous avons eu avec l’Australienne dans l’après-midi. Une fois le sésame en poche, nous laissons nos amies quizzeuzes et leur public nîmois pour repartir en quête d’un concert à se mettre sous la dent, et ça tombe bien parce que c’est presque l’heure de Big Thief, une de nos plus grosses attentes de la soirée.

Le groupe emmené par la plus que charismatique Adrienne Lanker, boule à zéro et dent en moins façon ex-taularde qui a vu du pays s’installe donc sur la Mosquito devant un public nombreux, mais étonnamment constitué d’une horde de fans. On salue l’audace du festival de faire jouer un groupe aussi important dans la partie gratuite de sa programmation, car il y a fort à parier que pour ceux qui découvrent, le concert fera date. On remarque rapidement que Courtney Barnett tient la promesse qu’elle nous a faite de venir assister au concert (en entier) depuis le bord de scène, mais rapidement c’est bien le quatuor américain qui retiendra toute notre attention. Les New-Yorkais délivrent un set magistral, mais très pointu où seulement deux morceaux de leur dernier (et extraordinaire) album seront joués, et en fin de concert. En revanche, pour les initiés, la setlist est un régal, comportant face B, inédit, et vieux morceaux à foison, qu’une bonne partie du public semble réellement connaître par cœur.

Lenker s’avère une guitariste hors pair avec une présence incroyable à la fois décontractée et intense, souriante et concentrée. Son jeu rappelle celui de Doug Martsch de Built to Spill, qui jouait la veille en ces lieux, mais niveau énergie et connexion avec le public il n’y a pas photo, Lenker et ses acolytes démontrent une générosité hors pair, et l’écriture sophistiquée de leurs morceaux fait éclater sans forcer toute l’émotion qu’ils contiennent. On en aurait presque les larmes aux yeux par moments, saisis de façon inexplicable par des chansons dont on ne sait pourtant presque rien. Sa voix fait des merveilles dans tous les registres, à l’instar de l’incroyable « Contact », ouverture mutante de leur dernier album « U.F.O.F. », jouée en fin de concert. D’abord une quasi-ballade folk fragile en voix de tête, le morceau s’embarque dans son deuxième acte vers des contrées effrayantes et Lenker se met à hurler comme une folle de toutes ses tripes. Sur album c’était quelque chose, mais en live cela prend une tournure sidérante. L’air de rien, un des grands moments du festival.

C’est l’heure de la désormais coutumière évacuation du public gratuit et nous remontons tranquillement vers la Paloma pour être sûrs d’assister au concert d’un groupe dont on ne cesse de nous vanter les mérites dans la grande salle. Les Sud-Coréens de DTSQ, petite sensation montante de la scène néo-psychedelia, semblent faire l’unanimité auprès de notre cercle avant même que ne débute leur concert. Nous nous installons sagement au balcon, légèrement fatigués et il faut le dire pas dans une forme olympique – trop de soleil et de rosé avant de nous rendre sur les lieux du festival il faut croire. Nous ne verrons qu’une bonne moitié du concert (le groupe rejouant plus tard dans le Patio), mais c’était plutôt satisfaisant, quoique pas non plus aussi dingue que ce que certains parmi nous semblent en avoir pensé. Le groupe ne parle pas un mot de français, et très mal anglais, le chanteur a donc une idée de génie : utiliser la voix robotisée de son assistant intelligent sur Smartphone (que d’aucuns appellent Valérie pour peu qu’ils suivent le site Chaos Reigns) pour communiquer avec nous. Cela donne quelques minutes absolument hilarantes où Valérie donc, fait résonner sa voix désincarnée pour nous dire les habituelles banalités sympathiques de n’importe quel groupe de festival : « Je suis très content d’être ici. », « Est-ce que ça va ? », « Nous venons de Séoul. », « C’est la première fois que nous jouons au This is Not Love Song », etc. Si l’hilarité règne dans la salle grâce à cette façon surprenante d’interagir avec le public, côté musique le groupe respecte son cahier des charges de groupe issu du revival psychédélique à la lettre près, mais avec quelques surprises bienvenues.

Le premier morceau ressemble à s’y méprendre à du Tame Impala période « Lonerism » ou « Innerspeaker » : mêmes claviers, même son de guitare, et la voix aussi est similaire. C’est sympa et ça fait bien le job, mais cela manque d’originalité. En revanche, la deuxième piste se révèle beaucoup plus fun, prenant une route proche de King Gizzard & The Lizard Wizard ou des premiers Pond et cassant un peu le sérieux que certains groupes appliquent à cette musique pourtant assez jubilatoire et récréative. Ici donc, une longue introduction, toute en montée progressive et frustration, le morceau repartant à la case départ au moment où un drop aurait été la suite logique, et ce à plusieurs reprises, jusqu’à finalement donner au public ce qu’il a été amené à vouloir absolument, en balançant un généreux riff rebondissant dans tous les sens. Le morceau semble réellement électriser une foule qui en redemande et s’impose tout de suite comme un classique instantané de ce groupe promis, semble-t-il, à un bel avenir. La suite du concert oscille entre petites bombes nerveuses et efficaces très hard psych, et pauses oniriques nimbées de synthétiseurs planants. Tame Impala est mort (à en juger les catastrophiques singles du futur album), vive DTSQ !

La raison pour laquelle nous zappons le dernier tiers du concert, c’est que nous avons gagné le droit un peu surréaliste d’assister au début du concert de Courtney Barnett depuis les coulisses, et qu’il nous faut bien retrouver un responsable pour nous garantir le bon déroulement de ce doux caprice quelque part sur le site du festival au moins un quart d’heure avant le début du show. Après une errance joviale entre les différents stands d’animation qui s’apparenterait presque à la recherche du lapin blanc dans l’Alice de Lewis Carroll, on finit par mettre la main sur un génie rose (ça ne s’invente pas) qui nous ouvre la précieux sésame malgré une production un peu ronchonne à laisser monter des inconnus sur la scène. On obtient trois chansons côté scène avant de devoir repartir dans la fosse, où nous attendent le reste de nos amis qui nous ont fait coucou dès qu’ils nous ont vus monter dans l’ombre de Courtney et de ses deux musiciens. Expérience sympathique, mais loin d’être optimale pour profiter d’un concert, le son du plateau étant curieusement privé de voix si on n’est pas placé devant un retour. Elle commence par « Avant Gardener », un désormais classique de son répertoire figurant sur un de ses premiers EPs, puis enchaîne avec « City Looks Pretty » de son dernier album et « Small Talk », son avant-dernier single qui ne figure sur aucun disque pour le moment. Nous arrivons dans la fosse pour deux autres morceaux de son deuxième album, « Need a Litle Time » et surtout le très bon single « Nameless, Faceless ».

Si l’on passe évidemment un bon moment en ce début de soirée pratiquement estivale, au milieu d’une foule assez compacte et qui semble bien connaître les chansons de l’Australienne, le côté extrêmement dilettante et chill de son dernier album – qui ne nous avait pas complètement séduits en studio – fait poindre une pointe d’ennui avant la moitié du concert. Fort heureusement, c’est le moment qu’elle choisit pour faire une version extrêmement énervée du réjouissant et féministe « I’m Not Your Mother, I’m Not Your Bitch », tout en râles rauques – elle avait la voix particulièrement éraillée ce soir-là – riffs rageurs et lumières rouges infernales, comme pour rappeler si besoin était son engagement politique sur ce terrain (elle a conçu elle-même et à la main une affiche pour le TINALS, placardée partout, déclarant le festival « safe space » pour les femmes et les LGBTQI+ et détaillant les règles de savoir-vivre dans un tel espace) et à travers lui, son admiration pour les Riot Grrrls. Ce morceau s’avère le point de bascule du concert vers un son plus agressif, plus éveillé et globalement plus rock. Elle s’ouvre un peu au public, lance quelques blagues et nous invite à chanter avec elle l’entêtant « I don’t know, I don’t know anything » du refrain de « Crippling Self-Doubt and a General Lack of Self-Confidence » dont elle galère à dire le titre qui porte la marque typique de son ironie désenchantée. Le plus beau moment du concert reste sans doute « Depreston », ce petit chef-d’œuvre d’insouciante mélancolie avec son texte ciselé et suspendu qu’un ami à côté de nous chante à merveille à l’unisson. Reste à jouer son dernier single (hors album), « Everybody Here Hates You », et le très bon « Elevator Operator » du premier album. La fin du concert est une ligne-droite attendue et festive autour de « Nobody Really Cares If You Don’t Go To The Party » et « Pedestrian at Best », les deux tubes enjoués du premier album, que la foule reprend à tue-tête en s’agitant enfin quelque peu. S’il aura manqué l’énergie communicative qui faisait le sel de ses tournées et de son album précédent, ce joli concert tranquille opérait une belle montée en puissance progressive et confirme le statut de son artiste, entre rock star un peu trop cool et auteure-compositrice engagée, mais bourrée d’autodérision.

Pas le temps de débriefer avec les copains ou de s’éterniser sur place à la fin car a commencé depuis un moment l’autre concert de la soirée, dans la Grande Salle : en effet, plus tôt dans la journée on apprenait que Lizzo, initialement prévue en toute fin de soirée, échangeait son créneau avec Rico Nasty, et se retrouvait ainsi à cheval sur le set de Courtney Barnett. Terrible dilemme (qui nous en enlève un autre), mais au final l’artiste américaine, nouvelle queen afroféministe et queer-friendly du hip-hop et du RnB, ayant démarré un peu en retard sans doute, s’octroie bien un quart d’heure de plus que prévu. Le changement d’ambiance est immédiat et radical : la Grande Salle est bondée, la température a pris quinze degrés et le public est déchaîné. Il faut quelques instants pour croire ce que l’on voit et s’adapter à cette vaste orgie musicale qui se déroule sur scène, Lizzo, sa beatmakeuse et deux danseuses plantureuses qui twerkent toutes allègrement dans des tenues rose fluo moulantes en exhortant les femmes du public à en faire de même. Show sidérant, confiance à tout casser qui irradie et contamine l’assistance (principalement les femmes et les jeunes LGBT, une partie du public masculin hétéro semblant hésiter entre l’incompréhension et un vague sentiment de honte qui les empêche de se laisser aller à remuer le bassin comme tout le monde). Alors oui, elle chante en live sur des bandes enregistrées et les instrus sont juste gérées par l’ordinateur de la beatmakeuse derrière, mais le concert est absolument irrésistible, la diva enchaînant avec gourmandise et espièglerie tube sur tube (on a raté « Boys »), haranguant la foule en argot à grand renfort de « Yassss ! », « Guuuurrrrl ! » et autres interjections qui seront familières à tout spectateur·ice de RuPaul’s Drag Race (où elle a été invitée et dont les candidat·es jouent dans une version alternative du clip de « Juice »).

Les discours sont tous unanimement dédiés au « female empowerment » et à l’émancipation triomphante des femmes, et la plupart des chansons sont des variations provocatrices et jubilatoires sur des sujets similaires, à l’instar de « Soulmate » où elle proclame fièrement être sa propre âme sœur. Il y a quelque chose de grisant et de puissamment émouvant à voir une scène ainsi saisie et conquise par un groupe de femmes noires et volontiers rondes qui nous donnent une formidable leçon de féminisme, de fierté et de tolérance. Elle envoie même son staff chercher dans l’assistance (au balcon !) un groupe de jeunes (deux filles et un garçon) qu’elle avait aperçus en train de danser follement pour les faire monter sur scène twerker avec elle. On fera l’impasse sur la reprise en live pas forcément utile de son duo avec Charli XCX (« Blame it on Your Love »), chanson relativement médiocre encore un peu affaiblie par l’absence de son interprète principal – peut-être une question de contrat et de promo l’obligeait-elle à la jouer quand même, la fin du concert est dantesque, Lizzo prenant d’abord la pose pour nous faire profiter de ses hair-flips (elle agite ses cheveux d’un côté à l’autre de son visage) pendant un bon moment puis enchaînant en quelques minutes des versions furieusement efficaces de ses deux plus grands tubes « Good as Hell » et « Juice », qui achèvent le peu de voix qu’il nous restait pendant qu’une bonne moitié du public se lance spontanément dans un concours de la meilleure choré. À un moment donné, elle dégaine même une flûte traversière, sorte de running gag récurrent chez elle, pour jouer quelques notes guère audibles, il faut bien l’admettre. On sort de là complètement lessivé, mais avec une folle envie d’y regoûter rapidement.

Sur un coup de tête et alors qu’on avait pas spécialement prévu d’aller voir ça, on traverse le site au pas de course pour choper la fin de Boy Pablo, aka « le Mac DeMarco norvégien » sur la Mosquito. On assiste donc à la fin de son concert depuis la file pour le fameux food truck qui nous faisait de l’oeil, grugeant honteusement deux mecs très sympas (désolé les gars) pour rejoindre des amis, mais nous nous faisons instantanément pardonner en remixant en direct le concert qui se déroule à proximité, car le morceau en cours ressemble tellement à « Hey Jude » des Beatles qu’on arrive à le chanter par dessus en rythme et dans la mélodie. La suite est moins référencée puisque Boy Pablo et ses nombreux acolytes sur scène décident de conclure par une folle jam endiablée tout en bongos et funk pop (respectivement les instruments et le style de musique national en Norvège, comme chacun sait), finissant même par exécuter une chorégraphie digne de The Full Monty à moitié à poil sur scène pendant qu’absolument tout le monde assistant à la scène danse comme si c’était la fin du monde. Bien joué les gars, on n’a pas vu votre concert en entier, mais la fin en était imparable.

De retour dans la Grande Salle pour Stephen Malkmus & The Jicks, la caution rock indé pour les quadras de la soirée. La salle est d’ailleurs plus clairsemée que d’habitude, à l’exception du balcon plein à craquer, signe d’un public qui préfère être assis – on les comprend. Le chanteur de Pavement (qui se reforme d’ailleurs) est plutôt en forme et semble s’amuser avec nonchalance de jouer devant nous, mais son concert, malgré des qualités certaines, peine à décoller. Maîtrisant mal son répertoire, on apprécie les quelques bizarreries de ces compositions ou du son de sa guitare très funky-réverb, mais on finit par se lasser un peu sur la fin, d’autant que le gars chante un peu faux et que lorsqu’il lâche son backing band pour jouer seul au piano, ça ne marche plus du tôt. On retiendra l’excellente ouverture sur « No One Is (As I Are Be) » ainsi qu’un titre-fleuve en concert, « Kite ». Sans doute n’était-ce pas l’heure idéale ni un spot très avantageux après les performances survoltées de Lizzo et de Boy Pablo, d’autant qu’un consensus globalement favorable semble se cristalliser autour de son concert.

DTSQ rejoue dans un Patio bien rempli, on rejoint quelques amis pour voir le début de leur concert, copie conforme en modèle réduit de celui qu’ils ont donné plus tôt dans la grande Salle, et on se dit que ce format-là sied mieux à leur musique, même s’ils sont particulièrement prometteurs. « Bad Vibes » et surtout « The Brain Song » sont de petites pépites que le groupe a en plus le bon goût de largement retravailler sur scène, avec des crescendos remarquables.

On file cependant rapidement du côté du Club pour ne pas rater It It Anita, sensation belge qu’on aurait ratée si Lizzo n’avait pas échangé de place avec Rico Nasty. Auteurs en 2018 d’un excellent second album « Laurent », les quatre Liégeois vont calmer tout le monde avec leur concert, probablement le show le plus dingue et le plus brutal de tout le festival. Si le début du set, très orienté punk hardcore noisy, nous cloue littéralement sur place et à bonne distance des pogos avinés qui se déchaînent et nous effraient quelque peu (le festivalier bourré ne maîtrisant pas l’art paradoxalement raffiné de la joyeuse bagarre en fosse). Mais plus ça avance, plus le ton se durcit, plus le groupe bascule dans une folie et une démesure d’une précision démentielle, plus il nous devient difficile de résister à l’attrait de la fosse – et du joli batteur. Après une énième pinte renversée sur nos épaules par un gros relou qui traîne avec sa bande de porcs (les party crashers de Caroline Rose la veille ? Eux. Les connards qui font n’importe quoi en marge du concert de Rendez-Vous le lendemain ? Toujours eux.), et n’écoutant que notre courage (et aussi notre désir, confessons-le), on s’élance donc dans une fosse exsangue où se heurtent, tournoient et titubent quelques-uns des spécimens les plus allumés du festival, dont ce mec ivre mort qui se lève tanguer, frêle esquif, d’avant en arrière et de gauche à droite, rebondissant sur des spectateurs agacés qui font généralement deux têtes de moins que lui, ou cet autre énergumène qui se fait déchirer sciemment son T-shirt par une foule hilare et qui s’embourbe dans les haillons qui en résultent. Toutes ces festivités hallucinantes et dignes d’une toile de Jérôme Bosch se déroulant bien sûr pendant que le quatuor nous arrose copieusement d’une chape de plomb vicieuse, enchaînant des plans redoutablement techniques, des passages noise répétitifs éreintants et quelques refrains bestiaux qu’ils iront jusqu’à scander en bord de scène a cappella façon Haka.

En parlant de rugby, le batteur ivre qui emmène cette nef des fous vers un port incertain est un colosse à moitié nu, arborant un indécent short rouge moulant laissant plus qu’entrevoir son impressionnante virilité, et dont le regard bovin n’a d’égal que ce cou épais, ces oreilles légèrement décollées et ces muscles saillants généreusement recouverts d’une pilosité de bon aloi engluée dans des hectolitres de sueur. Autant vous dire que si nos oreilles n’ont d’yeux que pour la musique de sauvages que le groupe envoie, nos yeux eux sont rivés sur lui. Il ne tarde d’ailleurs pas à faire basculer encore un peu plus le concert dans la folie puisqu’il beugle « Nous sommes It It Anita et nus venons vous botter le cul ! » avant de se lever, de déménager sa batterie dans la fosse – on jurerait l’avoir vu se taper le torse tel Tarzan avant de se remettre à jouer – et de poursuivre à jouer comme un névrosé au milieu de la foule, bientôt rejoint par ses acolytes qui finissent le concert dans une mer de bras, de jambes, de dents et de cris inarticulés poussés par un public dompté et entraîné dans une démente libation de l’enfer, où personne ne sait plus où donner des yeux ou de la tête pour suivre ce qu’il se passe sur et ob-scène, un câble volant de main en main, une guitare ici dans les bras d’une spectatrice qui s’acharne dessus, le batteur, emporté un peu plus loin avec ses fûts par les flots de la foule déchaînée. Au-delà de la raison, oubliée la fatigue et mort l’ennui, le concert s’achève ainsi dans un joyeux bordel orgiaque et satanique, avec nos pieds et nos tympans qui saignent après l’orgasme. Et sinon vous aviez remarqué vous que « It It Anita » à l’envers ça faisait « Ti Ti Tinals » ? Non ? C’est normal, c’est pas vrai, mais c’est tout comme. Clap de fin pour ce deuxième soir qui s’achève de façon dantesque, on retrouve nos amis qui avaient préféré – les pauvres – voir Rico Nasty et ses « bruits de bombe » enclenchés par un beatmaker épileptique bloqué en mode « Ricoricoricorico » et on rentre grappiller quelques heures de sommeil salutaires.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique