[LP] Swans – The Glowing Man

Swans a toujours été destiné à engendrer des lueurs dans les fosses et à illuminer le désespoir. L’éminente formation new-yorkaise naît et meurt d’année en année, telle une lumière obscure et intermittente. Son quatorzième disque à ce jour, « The Glowing Man », s’apprête, encore une fois, à servir de phare à des générations futures de chercheurs sonores.

Swans - The Glowing Man

Michael Gira avait repris goût à l’expérimentation lors de la dernière tournée de Swans (qui donnera d’ailleurs lieu à un film). Conscient que son groupe, depuis 1982, fût mort et ressuscité plusieurs fois, le songwriter et romancier new-yorkais continue à faire des pas en avant vers cette musique lourde de douleurs et d’introspections, glauque et sombre comme l’est la beauté humaine. Il y pousse son chant de lamentations et ses prières païennes sur des morceaux étirés comme des veines jusqu’aux transes, jusqu’à l’âme. Oui, Swans est un chercheur de limites, de frontières à traverser en abandonnant son corps d’un côté et en continuant par l’esprit. Bien qu’il reparte de zéro – à travers un nouveau casting de musiciens -, l’homme de 62 ans creuse, à travers « The Glowing Man », la terre qu’est la chair humaine, entre rituels et chamanisme, imbibée de fièvres et de blues mystiques. Ici, les guitares se changent en lames, les batteries en balles et l’unisson en maladie. Le résultat, bien plus que dans les disques précédents, est une gangrène merveilleuse qui ronge nos notions de beau et de plaisir pour en révéler l’architecture intime.

Michael, passées les années, ne cherche plus qu’à se faire plaisir : ses prières ne sont plus des inquisitions, sinon des lamentations qui ne perdent jamais de leur force. Il a retrouvé le goût des concerts et des sons, a vécu, durant sa dernière tournée, un sentiment de plénitude qui l’a rajeuni de plusieurs années ; et si les deux premiers titres de « The Glowing Man » ressemblent à une entrée en transe intime, un rite de passage, le reste n’en devient que plus riche. En effet, l’ensemble s’amplifie d’une liberté presque sereine, nourrie de lueurs sages. C’est une promenade interne sans soubresaut, dont les musiciens semblent tant connaître le chemin ; une trajectoire qu’ils empruntent de nuit et sans crainte, suivant leur guide, leur pasteur. Nous retrouvons parfois ces échos d’un blues de Nick Cave, de ces rocks graisseux d’un Sud lourd, d’un Mississippi assassin du poète Cohen (« People Like Us »). Nous y ressentons tout autant la colère divine, la morsure du serpent, la beauté du diable, et ce sentiment de belligérance qui naît de la réitération des sons, de l’étirement des nerfs jusqu’à la cassure, de ces boucles sonores à n’en plus finir, qui s’infiltrent par l’obsession dans nos oreilles.

Swans n’oublie pas non plus la facette de conteur obscur qui l’habite, surtout depuis « The Seer » (2012). Michael Gira prend de toute évidence un malin plaisir à torturer son verbe alors même que son chant s’impose, a contrario, en douceur sur l’écoute. Les mots se calment (la violence est une thématique bien ancrée en lui) et le son se fait moins violent, quoique plus organique. Il délaisse la brutalité pour un impact plus interne ; la guerre psychologique est lancée. Plus facile d’accès, passés les deux premiers titres de rituels, ce quatorzième disque fait renaître Swans encore une fois, dans une puissance plus contrôlée et un plaisir plus que contagieux.

crédit : Samantha Marble
crédit : Samantha Marble

N’attendez pas non plus que le loup devienne brebis : Swans aime détruire et construire cette matière brute, cette introspection dure. Il nous reste alors la sagesse résidant dans cette violence qui cherche à tout prix la beauté, là où personne ne la voit. Avouez aussi que ce travail intérieur se transforme sûrement en violence, en rage et en muscle pour les concerts. Attendez-vous donc à être séduits, envahis et emportés.

« The Glowing Man » de Swans est disponible depuis le 17 juin 2016 chez Young God Records.


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Guillaume Mazel

Écrivain, dessinateur et cajolant mon oreille depuis môme, c'est depuis Madrid que je recherche des sensations à transmettre partout.