[LP] Stranded Horse – Luxe

Musicien discret mais figure atypique de la musique indépendante, Yann Tambour sort un troisième album, sous l’entité Stranded Horse. Animé par une écriture sensible, « Luxe » capture, dans la fragilité de l’instant, des émotions rares qui transportent son folk sans âge et sans frontière vers toujours plus de vérité. « Luxe » ressuscite même par moment l’intimité des tourments chuchotés d’Encre (son premier projet), à travers un troublant jeu de miroir entre l’anglais et le français.

Stranded Horse - Luxe

Depuis des débuts presque solitaires, Yann Tambour conçoit plus que jamais la musique comme une activité collective. Bien que très personnelle et très intime, la musique de Stranded Horse se transforme au contact des autres, elle prend du corps, de l’épaisseur au hasard des rencontres et des opportunités. Stranded Horse se rêve aujourd’hui comme un navire de merveilleux pirates, compagnons d’aventures réunis sous la seule bannière de la musique et surtout par le plaisir de jouer ensemble. À ces âmes musiciennes libres, Yann Tambour offre des espaces de jeux inédits, qui dépassent le simple cadre de ce nouvel album. Poursuivant ainsi la quête artistique qui anime les différents visages de Stranded Horse, « Luxe » s’impose dès les premières écoutes par sa puissance contenue et la générosité de ses intentions.

« Luxe » est tout d’abord frappé par une dualité presque schizophrène. Yann Tambour semble se dédoubler, tant son phrasé et la musicalité de son chant se distinguent, selon qu’il choisisse la langue de Molière ou celle de Shakespeare. Alors que ce contraste pourrait perturber le plaisir de l’écoute, il entretient au contraire une interrogation, un mystère et, par là même, une dynamique, qui propulse « Luxe » dans la catégorie des œuvres rares.

Le disque s’ouvre sur un sublime duo en français, « Monde » avec Éloïse Decazes du groupe Arlt. Un morceau qui aurait très bien pu sortir à l’époque du label français Lithium, première maison du désormais très médiatique Dominique A mais aussi refuge d’une multitude de talents, défendant une autre idée de la musique. Nous ne prenons donc pas trop de risques en évoquant ce défunt label, tant Yann Tambour semble partager avec ces artistes cette vision artisanale et sincère de la chose pop, loin du tapage de la variété.

Mais voilà, Yann Tambour a dépassé depuis longtemps ces références incontournables, propres à une grande partie de la nouvelle scène française. En effet, comme ses prédécesseurs, « Luxe » est un disque voyageur, qui se moque des étiquettes. Il se révèle dans un univers acoustique feutré, qui va puiser son essence au plus profond de chacun des musiciens. La kora est un élément indissociable de l’univers Stranded Horse. Yann Tambour est fasciné par ce croisement entre le luth et la harpe. Il aurait d’ailleurs donné vie à une nouvelle forme hybride, la formikora. Lorsque la kora vibre, le temps se suspend et s’étire. La sonorité rêveuse de cet instrument traditionnel d’Afrique de l’Ouest ouvre des espaces, qui manquent parfois à la vérité rugueuse du folk acoustique, comme celui du grand Jackson C. Frank. Yann Tambour fait d’ailleurs le pari risqué de reprendre son mythique « My Name is Carnival ». Sans trahir la version originale, il emmène le morceau très loin avec la complicité de ces compagnons de jeu. Comme pour ses reprises passées (Joy Division, The Smiths), Yann Tambour se projette dans une forme de retenue touchante qui traduit tout le respect et l’amour que le jeune homme porte à ses grandes icônes de la musique pop.

Il y a toujours eu ce quelque chose de spirituel dans la musique de Stranded Horse. Comme peu de musiciens français, Yann Tambour invoque un autre rapport à la musique, inspiré entre autres par certaines cultures traditionnelles comme la culture mandingue, dont la kora est justement une incarnation vivante. Parfois submergés par le flux continu de nouveautés et de produits culturels, nous oublions ô combien la musique est aussi cet art magique, porteur de l’inexplicable. Yann Tambour nous propose modestement, l’espace de quelques titres, de reconnecter avec cette vibration originelle de la musique. Chez Stranded Horse, les instruments se répondent autant qu’ils s’écoutent. Voilà qui est particulièrement flagrant sur le très mélancolique « Sharp Tongues ». La Kora se mêle à d’autres cordes que les siennes pour dessiner des paysages sonores lointains, survolés par une voix à fleur de peau. Ce morceau s’approche par moment du sublime, alternant entre douceur cotonneuse et intensité émotionnelle de haut vol. C’est une évidence, la musique de Stranded Horse s’est encore étoffée depuis le second album « Humbling Tides ». Elle surprend désormais autant qu’elle propose, fuyant le piège d’une formule, qui n’aurait aucun sens, tant le champ des possibles semble immense.

crédit : Pascal Amoyel
crédit : Pascal Amoyel

« Luxe » est une œuvre différente, sans pour autant être en marge. Autrement dit, voici un disque hautement recommandable, à l’image d’un musicien ayant choisi de s’émanciper des limites de sa propre culture et ayant trouvé dans l’altérité le véritable souffle de son art.

« Luxe » de Stranded Horse, sortie le 29 janvier 2015 chez Talitres.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.