[Live] Ringo Deathstarr et East au Sonic de Lyon

Les amateurs de bruit et de voyage temporel étaient servis ce mardi 22 mars, au Sonic, avec deux concerts bien différents, mais chacun ancré dans une époque et un registre musical bien précis. La new wave très rythmée des Lyonnais de East ouvrait pour le shoegaze massif et destructeur du trio texan Ringo Deathstarr, pour un programme bipartite et varié où chacun pouvait finalement trouver son compte.

Ringo Deathstarr
Ringo Deathstarr

East, tout d’abord. Le trio lyonnais plutôt sympathique prend place aux alentours de 21h30, debout et aligné sur scène. Fait notable : le batteur joue sur une simple caisse claire et une tablette électronique, et le groupe n’a pas de bassiste, mais deux guitaristes, chanteurs de surcroît. Absence remarquable et remarquée, puisqu’à la fin du premier morceau joué, le Mac qui pilote en MIDI les lignes de basse et de synthé crashe violemment. Pendant quelques longues minutes, c’est l’angoisse, le blanc. L’ordinateur reboote enfin et le concert reprend sur les chapeaux de roue avec le meilleur morceau de tout le set, un titre particulièrement dynamique, emmené par un beat électro très synth pop dans l’esprit. Les guitaristes usent de leurs pédales pour faire des loops et densifier le son, emmenant le tout vers des territoires plus orientés post-punk. C’est très catchy, mais pas non plus follement novateur.

East
East

Globalement, le manque d’originalité est ce qui empêche la musique proposée par East de nous convaincre totalement, l’exécution étant plutôt bonne malgré quelques couacs toujours liés au MIDI, et la composition parfois un peu en pilote automatique, sans grande surprise. Le groupe enchaîne donc les titres pendant une demi-heure, tantôt chantés par l’un des deux guitaristes (qui sonne très Robert Smith), tantôt par l’autre (qui chante un peu faux), parfois les deux ensemble ou en alternance sur un même morceau. Les ambiances sont de temps en temps plus lentes, plus feutrées, plus new wave voire cold wave, mais les meilleurs moments restent ceux où le projet va à l’essentiel sans fioriture et délivre une synth pop rythmée et enjouée, à l’image du dernier titre joué du concert, très tubesque et efficace. Pas un très grand moment pour ma part, mais le public semblait enthousiaste ; c’est le principal.

L’arrivée de Ringo Deathstarr vers 22h30 se fait devant un Sonic bien plus densément rempli que pour East. Le trio basse-guitare-batterie ne fait pas dans la dentelle et les membres du groupe exécutent de longues balances à la demande du guitariste, sorte de clone de Jim Reid de Jesus and Mary Chain, mais au perfectionnisme digne d’un Kevin Shields. On pense d’ailleurs évidemment à My Bloody Valentine, tant sur disque que sur scène, devant le mur de son sidérant que le trio élabore et les effets de guitare sophistiqués et lancinants d’ Elliot Frazier. Cela dit, les influences du groupe sont nombreuses, mais fort bien digérées, et le trio parvient à être inventif et surprenant au sein d’un genre musical pourtant bien circonscrit et fréquemment investi. Le concert de ce soir est à l’image d’une bonne écoute de shoegaze : un lâcher-prise progressif à mesure que le temps passe et que le public s’immerge pour finir sur un feu d’artifice musical qui prend pourtant ses distances avec le matériau d’origine.

Ringo Deathstarr

Les premiers titres joués illustrent bien la dichotomie opérée par le groupe en studio, entre des morceaux très nerveux, plutôt dans une lignée post-punk survoltée (« Starrsha »), et des pistes beaucoup plus calmes, baignées d’atmosphères planantes et cotonneuses typiques du shoegaze traditionnel popularisé par Slowdive ou My Bloody Valentine à partir de « Loveless ». On nage en plein rock alternatif fortement orienté nineties, mais le groupe ne fait pas dans la demi-mesure : « Chloe », la deuxième chanson jouée, si elle appartient à la catégorie shoegaze et incorpore des éléments plutôt planants, envoie tout de même plus de 111 décibels directement dans nos tympans qui, malgré l’agression sonore, en redemandent – merveilleux paradoxe de ce genre musical qui crée de la douceur à travers la violence et la saturation. La synthèse de ces deux orientations est accomplie dès le troisième titre, « Kaleidoscope », qui expose enfin le son plus spécifique de Ringo Deathstarr, à savoir un shoegaze plutôt rapide et nerveux, dominé par une ligne de basse extrêmement claire et technique, et un jeu de batterie énergique et complexe. Le batteur Daniel Coborn, sorte de clone farfelu de Jim Jarmush, donne d’ailleurs tout ce qu’il a et frappe comme un fou furieux. Copieusement acclamé par le public, il nous envoie à plusieurs reprises des bisous depuis son kit entre les morceaux, comme après « Two Girls », sur lequel son jeu est particulièrement impressionnant. Car derrière le sérieux et la minutie musicale du trio se cache, comme son nom plutôt hilarant l’indique d’ailleurs très bien, un sens de l’humour qui fait merveille. À mesure que le concert avance et que la salle se chauffe devant la prestation musclée, mais subtile, en tout cas sidérante du groupe, ce dernier se déride et se permet quelques plaisanteries. Frazier se lance dans des mini-reprises improvisées qui massacrent des classiques du grunge comme « Come As You Are » de Nirvana, la bassiste Alex Gehring confie que le groupe est exténué après avoir conduit toute la journée pour faire Lisbonne-Lyon. La fatigue ne les empêche pas de livrer un set irréprochable, sans temps mort ni faute de goût ou de jeu, et Alex et Elliott alternent au chant, comme leurs évidents modèles en la matière My Bloody Valentine et Slowdive. Leur chant, harmonisé comme les prestations solo de Gehring, font bien sûr merveille lorsqu’ils affleurent au-dessus des torrents de guitares de Frazier et de la basse gargouillante d’Alex, dont la présence scénique est remarquable. À la faveur d’un changement de guitare entre deux morceaux, Frazier laisse tourner un riff en boucle pendant qu’il commence à jouer le morceau, puis coupe brutalement la loop et enchaîne comme si de rien n’était. Plus loin, c’est une série d’accords plaqués écrasants qui vient conclure « Boys in Heat » en beauté, où des dissonances et larsens divers qui se greffent au milieu d’une piste un peu plus psyché que les autres, « Guilt ».

Arrive enfin « Heavy Metal Suicide », énorme titre de leur dernier album en date, « Pure Mood », au riff imparable qui rappelle plutôt l’école allant des Smashing Pumpkins hier à The Joy Formidable aujourd’hui, complétant ainsi le tableau du rock alternatif fin de siècle en lorgnant vers le grunge. Ce sont d’ailleurs des sonorités de ce type qui domineront sur une fin de concert particulièrement chaotique et enlevée, pendant laquelle le groupe semble libérer une force qu’on ne lui connaissait pas, quittant les sentiers maîtrisés et battus du shoegaze pour se laisser aller à une série de morceaux épiques et hybrides (« Never », « Acid Tongue », « Tambourine Girl ») qui alternent violents passages punk très rapides et riffs pachydermiques aux accents presque sludge nous rappelant que, lorsque l’on convoque le grunge des Smashing Pumpkins ou de Nirvana – même pour la blague -, l’usine à riffs d’Alice in Chains n’est jamais vraiment loin non plus. Le public est transcendé, en ébullition, et une envie irrépressible de pogoter se fait sentir dans les premiers rangs. Malheureusement, le concert s’achève sur un morceau dantesque où Alex fait glisser sa main sur le manche de sa basse pour en tirer des sonorités plus groovy et laidback pendant qu’Elliott joue des riffs monstrueux, et les lumières se rallument au son de la playlist du Sonic. Sauf que. Sauf que le public en veut plus, et le fait entendre. Après quelques minutes d’hésitation, et alors que Coborn était déjà parti au bar prendre une bière, le Sonic coupe sa musique, éteint les lumières et le groupe est rappelé sur scène, à l’ancienne et de façon imprévue. Non seulement ça fait déjà plaisir en soi, mais en plus, les mots touchants d’Alex Gehring expliquant que le groupe est très ému de voir un public aussi motivé, et que « ça valait la peine de faire toute cette route pour venir », nous vont droit au cœur. L’ultime morceau joué sera un défouloir pour tout le monde, entre le délire grunge brut de décoffrage complètement schizophrène et les fulgurances punk qui seront le déclic pour faire enfin éclater un pogo plutôt bon enfant et digne traduction de l’euphorie générale.

Une soirée musicalement dépaysante, donc, organisée par Merci Bonsoir au Sonic, puisqu’avec East et sa new wave racée, on nageait en plein dans les eaux troubles et synthétiques des années 80 ; tandis que les Texans de Ringo Deathstarr et leur look grunge perché dans les nineties nous ont montré que le shoegaze est toujours aussi pertinent, et que, derrière la blague potache qui donne son nom au trio, leur musique est tout sauf une plaisanterie.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique