[Création #34] RIVE

Depuis son premier EP « Vermillon » en mars 2017, suivi par l’album « Narcose » deux années plus tard, le duo bruxellois RIVE affirme sa place forte dans l’expression d’une chanson électronique francophone sensible et engagée. Après une tournée mondiale et une pandémie non sans incidence sur la création, Juliette Bossé (écriture, chant et piano) et Kévin Brieuc (composition et production, batterie et clavier) publiaient en avril 2023 leur second album « Collision », s’éloignant des chimères diaphanes et oniriques des précédents opus pour incarner des histoires plus personnelles et brutes, toujours marquées par une écriture à fleur de peau et une production spectrale et élégante. Sans posture ni imposture, RIVE y affirme son féminisme moteur et recueille ses introspections dans un album révélant autant de failles que de doutes quant à l’âme humaine. Au lendemain de la sortie de son nouveau clip « Tension » confié à l’artiste Laetitia Bica, Juliette partage avec nous l’histoire de ce titre et court-métrage poignant, illustration viscérale d’un vécu intime douloureux et d’un besoin vital d’émancipation féminine, adoucie par l’incarnation à l’écran de la tendresse d’une relation mère-fille. RIVE rembobine également pour nous les enjeux de précédentes productions esthétiques échappées de ce second long format. Carte blanche à un duo passionnant qu’on aime d’amour comme au premier jour.

Juliette et Kévin – crédit : Laetitia Bica

Le morceau « Tension » fait partie de notre deuxième album « Collision », sorti en avril dernier. Le clip est réalisé par la photographe et vidéaste Laetitia Bica qui a aussi réalisé la pochette du disque. Ce titre reprend plusieurs thématiques de l’album : la rupture amoureuse, mais surtout la quête d’émancipation, la reprise de liberté. Si je parle d’une histoire très personnelle, je trouve que l’intime est politique et qu’il doit être partagé.

crédit : Laetitia Bica

Concernant les paroles de « Tension », les couplets ont été imaginés une nuit alors que je marchais seule dans la rue à Bruxelles, ville où je vis, après une énième dispute. La fin de la relation amoureuse paraissait être l’unique issue. Un lien s’effectue entre la distance géographique, comme si on dézoomait, et la distance qui s’installe quand on sent qu’il va falloir bientôt mettre un terme à la relation.

« Tes bras
Ce matin, je remarque que le temps a changé
Ton lit
L’automne s’est installé alors que j’étais aimée
Ton appartement
J’ai mis mes lunettes noires pour prolonger la nuit
Ta rue
Et cacher mes larmes, car tout un jour finit
Ton quartier
Sur mes lèvres, le goût de ta bouche s‘efface
Ta ville
Et l’odeur de ton cou dont j’ai perdu la trace
Je rentre
Je m’éloigne de chez toi, me regardes-tu ?
Sans toi
Demain, j’oublierai même le nom de ta rue »

Et puis, il y a le refrain, que je voulais ouvert, céleste, offrant une vue d’ensemble ; comme si je regardais la Terre, le Monde, vus d’un satellite. Je voulais y évoquer quelque chose d’un peu divin, de libérateur, de plus grand que nous.

« Depuis le ciel, je vois la Terre
Depuis le ciel, je vois la mer, la nuit
Nos frontières s’effacent, plus de distances, de pays »

« Tension », réalisé par Laetitia Bica

Dans le clip, Laetitia Bica décline l’idée d’universalité et d’inclusion tout en développant une réflexion autour de l’amour inconditionnel. Autour de moi, les danseur·euse·s me renvoient l’image de mes tourments. Et dans le même mouvement, leurs profils renvoient à l’idée de diversité, à la possibilité de vivre hors des normes et des assignations. Donc peu à peu, je m’éloigne de cet amour devenu trop solitaire pour me retrouver. Féminisme, inclusion, altérité, pavent le chemin de la nuit vers la lumière. De la froide indifférence vers la tendresse, la réconciliation avec soi, l’amour et la complétude. La lumière et la clarté.

Juliette et sa mère – crédit : Laetitia Bica

Sur le plan final, je retrouve l’étreinte maternelle. C’est ma propre mère, Anne, que l’on voit dans le clip. Quand Laetitia m’a proposé qu’elle apparaisse, j’étais au départ très surprise. Et puis, je me suis dit que c’était l’occasion de partager quelque chose d’important avec elle. J’ai remarqué que souvent, lorsque les gens ont des enfants, cela les rapproche de leurs parents, il y a une expérience commune très forte. De mon côté, je considère que mes enfants, ce sont un peu mes créations artistiques (eh oui !). Du coup, partager un moment de création avec ma mère, c’est aussi une façon de me connecter un peu plus à elle.

En tous cas, c’était une super journée de tournage, elle m’a dit plus tard, souriante : « Tu sais Juliette, sur mon lit de mort, je repenserai encore à cette journée ». Cela m’a énormément touchée.

crédit : Gilles Dewalque

Concernant la production du morceau, c’est Kévin, mon binôme, qui l’a réalisée. Au départ, c’était un morceau qu’on pensait laisser juste en instrumental. La composition part d’une ritournelle de piano. L’orchestration, assez puissante et guerrière, évoquait une forme de tension, c’est pour cela qu’on a nommé le titre ainsi. Sur le premier album, j’étais davantage dans la composition, là on s’est plutôt réparti le travail ; Kévin à la prod et moi aux mélodies de voix et paroles. On habite en collocation alors on est toujours en discussion sur ce qu’on fait. Et puis, on fait tout de chez nous, même les voix.

« Rêver grand », réalisé par Clara Liu

Je suis féministe depuis que je suis adolescente, la réflexion autour de l’émancipation, c’est ce qui m’anime tous les jours. Elle transparaît dans toutes les paroles de l’album (et des précédents). Comment déconstruire les normes qui nous traversent pour créer notre propre chemin, celui qui sera au plus proche de nos aspirations et de nos rêves ?

Le morceau « Rêver grand » sur l’album évoque cela, l’ambition pour soi en général, mais plus particulièrement pour les filles et les femmes. Différentes études montrent que l’éducation des filles les encourage moins à vivre leurs rêves – manque de modèles de femme qui réussissent professionnellement, moindre encouragement vers les matières valorisées socialement, etc. Se permettre de rêver grand, c’est un enjeu fort.

« Obsession », réalisé par Jean Forest

On est très attaché à notre identité visuelle, et les clips font véritablement partie de l’ADN de RIVE. On essaie, dans chaque clip, de développer un univers poétique fort. Collages, illustrations, 3D, prises de vue réelles, on a toujours diversifié les techniques, testé de nouvelles approches. « Rêver grand » et « Obsession » ont d’ailleurs gagné des prix dans des festivals du clip internationaux. Nous-mêmes, on a aussi eu la chance de voyager avec notre musique. On a pu partir en tournées en Chine, au Brésil, au Québec… Et on aimerait repartir bientôt. En attendant, on espère que notre musique, et plus particulièrement ce dernier clip « Tension », touchera les gens.

« A-m-o-u-r- », réalisé par Super Tchip

« Collision » de RIVE est disponible depuis le 21 avril 2023 chez Art-I.


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques