[Interview] Marion Soyer, danseuse du clip « Look At Them » de Jeanne Added

Jeanne Added est devenue incontournable depuis sa grande révélation aux Trans Musicales 2014. Après la sortie de son sensationnel premier album, « Be Sensationnal », et une tournée dans tous les coins et recoins de France, l’infatigable Jeanne a trouvé un petit moment, l’été dernier, pour poser ses valises dans un studio de cinéma francilien et tourner son deuxième clip, « Look At Them ».
Créatrice et perfectionniste, Jeanne s’est entourée d’Eric Martin et des danseuses Marion Soyer et Violette Wanty pour nous livrer des images retournantes, en miroir avec l’onirisme de son monde.
« Look At Them » est une vidéo originale a plus d’un titre et nous avons voulu en savoir plus avec Marion, danseuse à 360° renommée, qui porte avec Jeanne et Violette la vidéo à bout de bras.
« Look At Them » est un clip spatial et spécial. Il nous retourne et on y retourne, pour sa symbiose parfaite entre sons, reflets et trompe l’œil qui se déversent et nous renversent.

Marion Soyer
Échappée / L’Éolienne © Mikaela Delamare
  • Bonjour Marion, on te voit évoluer dans le dernier clip de Jeanne Added « Look At Them ». Avant toute chose, peux-tu te présenter à nous  (ton parcours, ton métier, tes collaborations, ta ou tes spécialités, tes événements marquants dans ta carrière) ?

J’ai toujours été attirée par les passerelles qui relient les pratiques artistiques entre elles : je me décrirais comme une danseuse pluridisciplinaire. Après des diplômes en piano et en danse classique et contemporaine (au Conservatoire National de Région de Rouen), j’ai continué ma formation avec des chorégraphes comme Gisèle Gréau, Frédéric Lescure, Peter Goss. À partir de 2006, j’ai travaillé pour les Compagnies de danse contemporaine Pas Ta Trace (Gisèle Gréau) et Beau Geste (Dominique Boivin). Ma rencontre avec le cirque et les pratiques aériennes s’est faite au sein du Nadir (Sébastien Bruas) et du Trapèze Ivre (Delphine Sénard). Depuis 2008, je travaille au sein de L’Éolienne (Florence Caillon), compagnie de cirque chorégraphié. En 2011, j’ai intégré la compagnie de danse verticale Retouramont (Fabrice Guillot), qui explore une autre spatialité pour la danse. Ma rencontre en 2014 avec la Compagnie Rhizome (Chloé Moglia) m’a permis d’approfondir encore la notion de suspension. Je fais également partie de la Compagnie In Fine (Sylvain Dubos et Guillaume Varin) où convergent musique live, danse et acrobaties aériennes. Je mêle aujourd’hui plusieurs disciplines : danse, trapèze, travail en baudrier, corde lisse et agrès aériens inédits (grillage, pont suspendu, sangles, agrès détournés…).

  • Raconte-nous l’histoire de ta rencontre avec l’équipe du clip / le casteur.

J’ai été contactée par l’équipe de production de Wanda, Delphine Tardieu et Anna Roudaut, en avril 2015 : elles m’ont envoyé le morceau, exposé le projet du clip avec le story-board. Puis je les ai rencontrées lors d’une séance d’essais en baudrier, ainsi que MAT (réalisateur), Antoine Ricard (premier assistant lors de la préparation du tournage), et Xavier Bernard-Jaoul (régisseur), afin de valider ma participation, et d’établir une première liste des besoins techniques et matériels pour adapter la danse en baudrier à un studio de tournage.

  • Selon toi, qu’est ce qui a motivé l’équipe du clip à te choisir ? Quelles étaient les qualités requises ?

La proposition artistique du clip nécessitait une connaissance et une maîtrise de la danse verticale, technique très particulière qui s’acquiert avec du temps et beaucoup d’entraînement. Cela a été une donnée majeure pour le choix des danseuses, d’autant que le temps de répétitions était très court. Il fallait avoir de solides bases en danse verticale, et pouvoir s’adapter rapidement à n’importe quel ancrage de point d’accroche, à n’importe quelle longueur de corde, et avoir de l’endurance en baudrier, pour être performant sur une journée entière de tournage.

  • Était-ce ta première participation à un clip musical ?

J’ai dansé en 2011 pour le clip de « Wild Bill band » de L’Attirail, dans un tout autre registre musical et corporel : ma présence constante dans ce clip, filmé en plan séquence, permettait notamment de prouver qu’il n’y avait pas de trucages ni de montage. La caméra, en point fixe au milieu du groupe, filmait en tournant sur elle-même, les musiciens courant d’une place à l’autre hors champ, pour faire jouer les focus.

  • Quel a été ton rôle dans la mise en scène, la scénographie ?

Eric Martin a chorégraphié l’ensemble de la partition dansée : il nous a dirigées, Violette Wanty et moi, dans les intentions, les états de présence et de qualités de mouvements. Les temps dansés du clip ont été décidés bien en amont par l’équipe de réalisation, qui avait découpé le morceau de manière très précise : nos interventions étaient donc déjà très timées ; elles sont le résultat de la rencontre des envies d’images de M a T avec leur transcription en mouvements par Éric.

  • Quelle a été la durée totale du tournage ? Es-tu intervenue sur la post-production ?

Le tournage en lui-même n’a duré qu’une journée : un beau dimanche de juillet, de 6h du matin à minuit !
J’ai reçu, 15 jours après le tournage, une des étapes du montage avant post-production, puis j’ai attendu (im)patiemment jusqu’à la sortie du clip, fin octobre !

  • Ta préparation perso pour le tournage ? Avec Jeanne ? Avec Violette ? Avec l’équipe ?

J’ai rencontré MAT plusieurs semaines avant le tournage, et reçu le story-board envisagé. J’ai ensuite travaillé une journée avec Eric Martin et Violette Wanty, la veille du tournage, pour apprendre et répéter la chorégraphie ; journée pendant laquelle Jeanne Added a été notre regard extérieur, pour préciser les intentions d’interprétation. Nous avons aussi travaillé en étroite collaboration avec Marc Bizet, le concepteur des baudriers portés sur le tournage : son expérience et ses connaissances de la suspension et des accroches nous ont été indispensables pour gérer l’endurance physique, le placement de nos corps en l’air pour que l’illusion fonctionne, etc. Par ailleurs, toute l’équipe technique a été d’une grande écoute et d’une grande attention, entre les prises notamment.

  • Le tournage a-t-il été difficile ? Quelles étaient les difficultés et les challenges techniques ?

La pratique du baudrier est en elle-même très physique. Les notions d’espace, de volume, de lignes, de poids, qui sont déjà omniprésentes dans les danses au sol, s’y trouvent décuplées. Évoluer, se mouvoir dans une autre dimension demande d’avoir conscience de son corps dans son intégralité. La gravité étant toujours la même, le poids est réparti différemment. Il faut alors trouver un équilibre dans lequel on peut danser, tout en étant dans une qualité de détente et de relâchement. Cela requiert des qualités de finesse de perception, une sollicitation musculaire intense, une capacité à développer sa connaissance de soi et de l’espace alentour, puisque la façade sol/ancrage sur laquelle on évolue, devient un véritable partenaire.

Pour le tournage de « Look A Them », nous avons été sollicitées pour notre endurance sur l’ensemble de la journée, puisqu’étant suspendues au-dessus d’une piscine, nous ne pouvions pas descendre entre chaque prise. Le challenge physique a donc été de rester bien ‘’placées’’ à l’horizontale malgré la fatigue et la constante compression du bassin dans le baudrier, pour que l’illusion puisse ensuite fonctionner à l’image. Cela imposait un rythme soutenu dans les enchaînements des prises. Côté technique, la présence de la piscine, l’utilisation de machines à fumée et de jets d’eau ont rendu la mise en place des plans complexe, tant pour Jeanne Added et nous danseuses que pour l’équipe technique.

  • Peux-tu nous dévoiler une anecdote de tournage ?

Nous ne pouvions pas mettre les pieds dans la piscine entre les prises, pour garder nos costumes secs. Joseph Perreau (accessoiriste) et Emmanuel Réveillère (chef déco) n’ont ainsi pas eu d’autre choix que de rester toute la journée dans l’eau froide, au point de finir le tournage dans un état grippal. En effet, ils devaient régulièrement nous apporter un escabeau pour que nous puissions effectuer les changements de hauteurs et d’ancrages, et parfois nous sortir du bassin dans leurs bras !

  • Il y a beaucoup de musiques actuelles utilisées en danse contemporaine. Quel est ton rapport avec ces musiques et la musique en général ?

Je travaille souvent en musique, qu’elle soit enregistrée ou jouée en live. Je trouve intéressant de se laisser porter par un morceau que l’on connaît par cœur, autant que d’être en dialogue instinctif, improvisé, avec un(e) musicien(ne) live. J’apprécie aussi énormément le silence qui, de par sa densité, est un espace-temps où se dépose quelque chose de l’instant présent. Comme une épure pour mieux révéler.

  • Quelles musiques écoutes-tu ? Quelles sont ceux qui t’inspirent, qui t’aident à te ressourcer ?

Lhasa, Alain Bashung, Nick Cave, L’Attirail, 16 Horsepower, Izia, l’EP et l’album de Jeanne Added, que j’ai beaucoup écoutés depuis le tournage et dont j’apprécie particulièrement les arrangements et les choix d’orchestrations.

  • As-tu des envies personnelles de création de pièce, spectacle, intervention… voire clip musical ?

La place d’interprète que j’ai dans les compagnies avec lesquelles je travaille me plaît énormément. Je n’y suis pas une simple exécutante ; les projets auxquels je participe se font tous dans l’échange, la prise en compte des qualités et spécificités de chacun, avec des allers-retours entre les envies des créateurs et les propositions des interprètes. J’ai par ailleurs la chance d’évoluer au sol, en l’air, sur des agrès traditionnels, des agrès plus atypiques, de mêler danse, cirque, jeu d’acteur, spectacles de rue, spectacles en salles, spectacles jeune public, projets photos, clip… : je suis ravie de ce côté cosmopolite ! Je ne ressens pas le besoin ni l’envie, pour le moment en tous cas, de mener une création, quelle qu’elle soit.

  • Tu es une vraie stakhanoviste du travail. Où et comment fixes-tu tes priorités, tes choix d’interprétation, tes nombreux déplacements à l’étranger ?

J’ai besoin de ces rythmes intenses, tout en conservant un espace-temps de vie personnelle. Je suis encore en pleine croissance artistique, les expériences me nourrissent. Et comme j’aime être au sein de projets différents les uns des autres, ici et ailleurs, cela implique de jongler avec les plannings !

  • Tu te mets très souvent en danger sur scène. D’où te vient ce goût du risque ?

Je n’ai jamais, je crois, envisagé ma pratique aérienne par goût du risque. N’ayant pas traversé de cursus supérieur en la matière, je n’ai pas une approche de la suspension et de l’acrobatie aérienne basées en premier lieu sur la technique ou la performance (qui, dans mon imaginaire et mes stéréotypes, amènent à prendre des risques). Rien de péjoratif dans un sens ou dans l’autre, évidemment ; d’autant que je considère que, quel que soit son domaine, avoir de solides bases permet de s’en servir pour mieux s’en éloigner. Mais il est vrai que, si j’évoque la nécessaire acuité d’un corps suspendu, ce n’est pas pour aller frôler les limites du danger. Certaines situations (de hauteur, de « figures ») instaurent pour la personne regardante une potentielle appréhension. Mais de l’intérieur, cela ne me fascine pas de jouer avec cette sensation : ni de la faire vivre aux gens, ni d’être moi-même aux prises avec une éventuelle parano paralysante, que pourrait engendrer une surconscience du risque.

Savoir que la suspension relève d’une pratique à risques (car oui, malgré tout, c’est un fait) ne signifie pas que je m’accroche à cette connaissance. Le risque n’est qu’une part de la suspension.

Ceci dit, plus généralement, toute entrée sur un plateau est pour moi une prise de risque, puisque l’on ouvre un moment de rencontre, en étant le plus investi, le plus sincère et le plus authentique possible, à travers une proposition artistique. Et c’est très stimulant.

  • Tu es aussi souvent légèrement vêtue dans tes spectacles. En toute franchise, est-ce parce que tu as un côté exhibitionniste, parce que tu n’es pas pudique où tout simplement parce que tu te plies aux exigences du metteur en scène ?

La nudité est (presque !) comme n’importe quel costume que j’endosserais : dans ces moment-là, c’est comme si je portais ma peau. Je n’ai jamais ressenti le besoin d’être nue sur scène, et je n’en éprouve pas particulièrement de plaisir, mais cela ne me gêne pas tant que la demande du chorégraphe/metteur en scène est pertinente et cohérente par rapport au propos du spectacle, par rapport à la recherche gestuelle, ou par rapport à la lumière : une nudité gratuite, provocation pure, recherche de déstabilisation ou dans laquelle je ne verrais aucun sens, ne m’intéresse pas. Il me serait, par exemple, beaucoup plus difficile d’envisager de chanter sur scène : le travail vocal me ferait me sentir beaucoup plus à nue, à dévoiler plus d’intime et de fragilité, que la nudité en elle-même.

  • Quel est ton rapport au corps dans la danse ? Que penses-tu de performances comme « Tragédie » d’Olivier Dubois ?

Je trouve que le corps peut être à la fois très figuratif, narratif, expressif, et en même temps un terrain d’exploration abstrait pour ce qu’il propose de matières brutes : les textures et luminosités de la peau, le mouvement de la contraction précise et dissociée des muscles, les différences de schémas corporels entre deux interprètes qui effectuent un même mouvement demandé, etc… bref, un formidable outil de travail et de découvertes ! Et les propositions radicales et extrêmes telles que « Tragédie » d’Olivier Dubois me parlent et me plaisent, dans ce qu’elles ont de fort, de simple, de cohérent qui se déploie ‘’jusqu’au bout du bout’’.

  • Sur quoi travailles-tu actuellement et quand/où pourra-t-on te voir prochainement évoluer sur terre… et dans les airs ?

Je suis actuellement en tournée en Sardaigne avec la pièce Marie-Louise de L’Éolienne. La fin 2015 sera ensuite rythmée par les premières des nouvelles créations de cette même compagnie : Flux Tendu et The Safe Word (le 21 novembre au Kremlin-Bicêtre, le 1er décembre à Auch, le 4 décembre à Oloron-Sainte-Marie), la reprise de Passion Simple (le 5 décembre à Saint-Gaudens) et la dernière Marie-Louise de l’année (le 18 décembre à Saintes). 2016 s’ouvrira ensuite sur les répétitions de Je Suis Là de la Cie Le Trapèze Ivre, spectacle participatif pour le très jeune public qui sera créé en mars, et s’enchaîneront notamment des dates de L’Éolienne et les créations in situ de la Cie In Fine.


Le générique de « Look At Them »

Chorégraphie : Éric Martin
Danseuses : Marion Soyer et Violette Wanty
Accrocheur / Cascadeur : Marc Bizet
Assistant Tout Terrain : Xavier Bernard-Jaoul

WANDA PRODUCTION

Productrice : Anna Roudaut
Directrice de prod : Delphine Tardieu
Réalisateur : M a T
1er assistant réalisateur : Guillaume Julien
1er assistant réalisateur prépa : Antoine Ricard
Assistante de production : Pauline Duval Servant

IMAGE

Directeur de la photographie : Valentin Vignet
1er Assistant caméra : Quentin de Lamarzelle
2nde assistante caméra : Jodie Arnoux
Chef électro : Cédric Meyrand
Électro : Yann Catinaud
Électro : Hamid Ferhat
Chef machino : Sylvain Bardoux
Machiniste : Laurent Guibert
Machiniste : Olivier Thual
Machiniste : Clément Clop
Régisseur : Lionel Sitbon

DÉCORATION

Chef décorateur : Emmanuel Réveillère
Accessoiriste : Joseph Perreau
Peintre : Lucie Legrand
Constructeur : Tom Danos
Constructeur : Gaetan Donnars
Assistante décorateur : Ludivine Sanchez

HMC

Styliste : Aurore Donguy
Maquillage Coiffure : Karen Haddad

POST-PRODUCTION

Superviseur post-prod / Data manager : Guillaume King
Montage : Roxanne Huet
Montage : Tianès Montasser
VFX : Yann Masson
VFX : Patrick Siboni
VFX : Cyril Sozzi
VFX : Benjamin Ravalec

Making of : Antoine Perez
Crédit photo : Matthieu Burlot


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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans