Sorti au mois de septembre, l’album « Kindly Now » annonçait le retour du merveilleux poète anglais, Keaton Henson. Larmes aux yeux. Regard porté sur un horizon pluvieux et malheureux. Voyage introspectif dans les entrailles. Ce bijou, mêlant tragique et amour perdu, promettait une délicieuse et intime expérience scénique.
Le Café de la Danse garde entre ses murs une atmosphère particulière. De ses pierres apparentes semble émaner une chaleur certaine. Une chaleur sereine. Face à la scène, les gradins s’élancent dans une hauteur vertigineuse. Et quand la lumière s’éteint et que seul l’espace scénique connaît la lueur, une force théâtrale se réveille et pousse à l’écoute. Il y a des salles de ces envergures-là. Des salles qui savent bercer. Des salles qui savent être bienveillantes, avec leurs artistes, avec leur public. Le Café de la Danse a accueilli Keaton Henson, pour son unique concert français. La salle parisienne a alors fait corps avec l’aura de ce prince magnifique.
Rituel initiatique des concerts, Paul Thomas Saunders a animé la première partie. Frêle mais heureux, il a livré un set mené à la guitare devant une audience attentive. Parfois écorché mais aussi joliment maladroit, le chanteur britannique a la voix perchée et la tendresse des garçons discrets. Le temps de quelques morceaux, il a donné au concert de Keaton Henson de douces prémisses qui plongeaient déjà l’endroit dans une bienveillance particulière.
Keaton Henson est la grâce. Il prend la scène, comme l’impalpable prend les espaces. Il y a dans sa présence, quasi christique, quelque chose de mystique, tant le temps semble se figer lorsque sa voix se répand. Le Café de la Danse est alors devenu un sanctuaire, où se sont cristallisées les peines et les craintes ; où se sont figées les âmes. Le sublime, celui des romantiques, a connu l’immense dans une scénographie des plus minimalistes. Keaton Henson s’est assis, a produit un jeu de guitare torturé, a laissé ses doigts parcourir les touches d’un piano à queue, et là, à côté de lui, le violoncelle a produit des envolées solennelles. Sa poésie, aux allures de confession, s’est disséminée, rencontrant parfois la violence et la grandeur tourmentées d’un Jeff Buckley. Bien plus qu’un concert, Keaton Henson a donné à vivre un moment suspendu. Celui où il n’est plus question de temporalité. Celui dans lequel apparaissent les failles qui font dire que, dans nos chairs, nous sommes vivants. Au-delà de la question musicale, l’artiste interroge la capacité de l’art à produire des sensations dans nos corps. Véritable expérience viscérale, ce qui s’est joué en ce lieu avait des allures insaisissables de miracle. Alors, devant ce prince poète, la musique est devenue pureté et gravité. Se jouait dans sa voix quelque chose qui se rapporte à la maturité, puis à la délivrance. Les mots saisissaient pour mieux faire connaître le doux chagrin ou la vénéneuse mélancolie. Confession personnelle, la musique de Keaton Henson devient une expérience commune. Elle est le romantisme emprunté par les fantômes de nos doutes, de nos défaites et de nos corps abîmés, qui nous entraînent vers une renaissance. À travers « 10 AM, Gare du Nord » ou « You », et ayant pour seul horizon sa sincérité, l’auteur britannique a navigué entre ses différents albums pour construire un concert délicat où la fragilité s’est accomplie dans la force.
Dernier morceau de cet instant offert et suspendu, Keaton Henson a emprunté les pas de Leonard Cohen, le temps d’un « Hallelujah » habité et pénétrant. Les mots et les effluves sonores se sont répandus dans le vide, jusqu’à atteindre nos fors intérieurs et à trouver la grâce. Son « Hallelujah » est devenu un exutoire qu’il était préférable de laisser mûrir dans nos entrailles pour mieux guérir. À cette image, dans l’écrin chaud du Café de la Danse, l’Anglais a livré un concert intense qui permettait d’intégrer nos douleurs, nos déceptions et nos peurs. Au fond de nos êtres, la voix de ce prince du folk a provoqué une expérience aussi tortueuse que lumineuse. La musique de Keaton Henson a alors montré toutes ses vertus réparatrices, par la profondeur intime et obscure qu’elle nous a fait connaître.
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