[LP] Jenny Wilson – Exorcism

La musique demeure une thérapie pouvant être aussi brutale que nécessaire et vitale ; et, avec « Exorcism », Jenny Wilson s’empare de son écriture pour livrer une lecture autobiographique de la souffrance et de l’épreuve qu’elle a subies, afin de les comprendre et de s’en déposséder. Le résultat est une expérience intérieure sincère et directe, violente et puissante, dont on ne ressort pas indemne.

La place de la femme dans la société est, actuellement, au cœur de l’actualité : entre les actrices ayant été les proies de producteurs, acteurs et réalisateurs sans scrupules et malades, et celles dont l’intégrité a été profondément malmenée, l’incohérence de l’inégalité des sexes est en mouvement ; et il était temps. Cependant, dans ces expositions médiatiques, on a tendance à oublier les victimes anonymes, les êtres meurtries et humiliées qui n’ont pas les honneurs des projecteurs. Parmi elles, l’artiste suédoise Jenny Wilson, qu’un monstre a violée et laissée avec des cicatrices physiques et mentales béantes. Mais, forte et exemplaire, la compositrice s’est servie de sa souffrance pour créer « Exorcism », témoignage sonore et lyrique à la fois brutal, dissonant parfois et, plus que tout, terriblement immersif. Il fallait, pour la compositrice, se confronter au mal absolu ; et l’art, dans ses mystères les plus lumineux comme les plus effroyables, l’a aidée.

« Rapin' » revient, dans son inexorable accélération, sur l’agression elle-même, incandescente et démontrant l’impuissance d’une futile résistance dans ce timbre mécanique et dénué d’humanité. Celle-là même que Jenny Wilson va, par tous les moyens possibles, tenter de retrouver grâce à sa catharsis musicale : « Lo’ Hi' » subit les conséquences dans des rythmes et sonorités glaciales et sournoises, tandis que « It Hurts », malgré son thème, éclaire une voie qui, au lieu de sombrer dans les abîmes du repli sur soi, regarde un ciel qui, à force de conviction et d’efforts, se brisera et laissera la chaleur revenir. Le chemin de croix de la musicienne passe aussi par l’identification au criminel, afin de mieux le pourchasser et le détruire sur son propre terrain : à ce titre, « Exorcism » et son impressionnant « I am ready for this fight » inversent les rôles et transfèrent le pouvoir de domination à celle qui, jusqu’ici, n’était qu’un objet de vice et de dérive sexuelle. « It’s Love (And I’m Scared) » aurait pu se muer en un effacement totale du sentiment ultime, mais demeure, intrinsèquement, un appel à l’aide pour croire, éprouver, savoir. Ultime geste de réconciliation avec ceux qui, eux, aiment Jenny Wilson, « Forever Is A Long Time » lui offre, de notre part, tout le temps nécessaire à sa reconstruction.

crédit : Oskar Omne

Un disque aussi risqué aurait pu sombrer dans le voyeurisme ou la plainte excessive ; mais Jenny Wilson, subtilement et sincèrement, transperce le cœur de l’auditeur en le conviant à sa musicothérapie. Un conte cruel et incomparable, dont le réalisme saisissant métamorphose à jamais la narration moderne du ressenti et de l’inspiration.

« Exorcism » de Jenny Wilson est disponible depuis le 23 mars 2018 chez Gold Medal Recordings.


Retrouvez Jenny Wilson sur :
Site officielFacebookTwitter

Photo of author

Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.