Pour tout fanatique (nostalgique) des compilations gravées sur CD-R, remplir à ras bord, jusqu’à atteindre la limite fatidique des exactes 80 minutes de musique, tenait du coup de maître. Il s’agissait de choisir avec soin les bons titres, calculer les durées à la seconde près pour au bout savourer sur le lecteur du salon sa sélection pleine à craquer. À l’heure du tout dématérialisé, où l’on préfère écouter en streaming ou sur baladeur mp3 sa musique pour l’emporter soit au supermarché, soit en allant faire son footing, les règles ont définitivement changé. On ne réfléchit plus vraiment en amont à ce que l’on veut entendre ; c’est la musique qui vient à nous, des recommandations basées sur nos écoutes en mode « shuffle ».
Pour Gomina, la question de la durée ne s’est pas posée. Avec ce disque court (35 minutes pour 12 titres), le projet caennais joue pourtant la carte du subconscient pour rallonger ou accélérer l’écoute, en fonction des atmosphères suggérées. C’est davantage l’idée d’une compilation de singles aussi variés que liés qui se dessine à l’écoute de ce nouvel et second album intitulé « Prints ».
Ainsi, « Hotel Biarritz », qui ouvre le LP, agit comme un bain mousseux, chaud et plaisant dans lequel on aime tant se glisser pour mieux perdre la notion du temps à mesure que notre corps se fripe. Une minute trente plus tard, on sort en vitesse, les pieds encore trempés, pour manquer de se les prendre dans le tapis. Et nous voilà dévalant à vive allure un escalier en colimaçon, sans fin, tourbillonnant sur nous-mêmes jusqu’à ne devenir qu’une boule. « Asleep » nous plonge dans nos rêves de vitesse, dans nos folies autodestructrices d’une pop soufflante et aspirante, qui fait la course avec nos fantômes (les gamers comprendront). De l’ivresse de la conduite à la jouissance de la pleine puissance, tout y passe. On avale les bornes alors que la lune rejoint le lever du soleil, comme dans une boucle temporelle supersonique. Les minutes filent désormais à la vitesse des astres.
Puis « Comina Getcha » réveille les souvenirs encore très frais du génial Tim Ten Yen, et son fascinant « Everything Beautiful Reminds Me Of You » de 2008, disque de platine à jamais gravé dans mon cœur d’étudiant. L’ambiance est posée : c’est un karaoké pop où des synthés sautillants répondent à des voix souriantes et des chœurs nuageux complétés de claps qu’on se met à accompagner. Une certaine idée de la pop !
« Prints » fait partie de ces compilations de tubes aux variations pop, où chaque piste provoque l’enchaînement adroit et parfois audacieux de la suivante. Ainsi, on se voit mal refuser l’invitation dansante de « Run Run », véritable bombe suave, marquée par un phrasé hip-hop teinté de psyché, jamais loin du très classe « Merrymaking At My Place » de Calvin Harris, et poursuivi par l’interlude expérimental « Circuits », salle d’attente enfumée pour « Stupid ».
L’attente n’aura duré qu’une courte minute et nous voici partis pour un bel instant de relâchement, après un malaxage intensif exercé sur notre visage à coup de boucles de synthés et de cymbales. Il fallait bien nous mettre en condition pour plonger dans un second état, celui qui nous fait perdre tout repère et nous fait peu-à-peu léviter au-dessus du sol. Sur des synthés capitonnés comme le divan d’un hypnotiseur, on se met à rêver d’ailleurs et d’un coup, les lumières multicolores et les kaléidoscopes de notre imaginaire se mettent à tournoyer. Slow délirant, instant magique.
À peine sorti de notre première rêverie, Gomina nous tend un billet d’avion. Pas le temps de se préparer, direction « Honolulu » et ses prêtresses solaires.
Sur fond d’indie pop, on assiste au décollage de notre jet privé défiant la gravité et la vitesse du son et s’offrant au passage quelques loopings. Le survol de ces îles paradisiaques à perte de vue laisse songeur. C’est alors que « Let Me Go » nous pousse à quitter l’aéroport pour plonger dans les eaux immensément turquoises de cet autre moment, alors que le chant plus éreinté de Nicolas V nous rappelle à l’ordre. Tout ceci n’est juste qu’une illusion, et pourtant tout paraissait si vrai.
La pop psychédélique de Gomina n’a pourtant pas dit son dernier mot : d’abord avec « Sun’s Gone », déclaration d’amour très assurée et sensuelle, complétée du non moins illuminé « She’s Like », extase pop cérébrale.
Retour dans la salle d’attente, pour une minute de piano, sur fond de roulis marins berçants (Airline), avant un dernier rencart, forcément émouvant, avec cette « Kinda Girl », celle de nos nuits de fantasmes et de nos mélancolies. Un adieu englouti dans le brouillard, le mouchoir blanc au coin des joues, les gouttes au bord des yeux pour un dernier baiser.
Romantique, créatif, sensuel, dansant, planant et exotique ; avec « Prints », Gomina a tout pour plaire aux amoureux de la vaste pop. Il dessine pour mieux imprimer de belles émotions en tons directs, de ceux qu’on aime tant exposer au grand jour, pour mieux illuminer nos rêveries le soir. Caen, capitale de la pop française : on veut bien y croire !
« Prints » de Gomina, sortie le 16 février 2015 chez Bordeaux Rock, Hooz, WeWant2Wecord et Differ-Ant.
Retrouvez Gomina sur :
Site officiel – Facebook