[Interview] Future Islands

Future Islands a révélé il y a quelques jours son cinquième album, « The Far Field », résultat d’une calme année 2016 consacrée à son écriture et enregistrement. Toujours empreints d’une ardeur débordante, ces icônes de la synth-pop livrent un nouvel effort sincère et touchant, qui fait la part belle aux déboires amoureux. Les trois membres du projet faisaient escale à Paris il y a quelques semaines, avant d’y revenir en mai pour deux concerts à l’Élysée Montmartre. L’occasion pour nous de partir à la rencontre du groupe, pour une conversation mi-sérieuse mi-amusée, oscillant entre références poétiques et anecdotes d’adolescents.

crédit : Tom Hines
  • Reprenons où nous vous avions laissé, avec le moment décisif qu’a semblé être ce quatrième album, « Singles», pour le groupe. A-t-il été plus dur pour vous de tourner cette page particulière et de passer à quelque chose de nouveau avec « The Far Field » ?

Samuel : C’était plutôt un soulagement de pouvoir recommencer à écrire. Durant cette période, l’écriture était notre moyen de faire face à toute cette attention et à ces salles qui devenaient de plus en plus grandes. 2014 était une année intense et 2015 en a été la continuité. Elles étaient excitantes, mais aussi épuisantes. Ce n’est qu’en 2016 qu’on a pu enfin prendre une pause et réfléchir à ce qui nous arrivait. On était totalement immergés dans tous ces changements qui se succédaient. Je crois qu’il était temps pour nous de retourner écrire. Quand on était en tournée, on échangeait à peine alors qu’on était très proches et tout le temps ensemble. On était tellement fatigués qu’on s’était tous repliés sur nous mêmes et on gérait ça individuellement. L’écriture est ce qui nous a permis de nous retrouver et de nous reconnecter à travers la musique.

  • Aviez-vous aussi besoin de vous retrouver non en tant que groupe, mais en tant qu’amis ?

Samuel : Sans doute, mais c’était compliqué. Quand vient l’heure de rentrer, on veut surtout retrouver nos proches et profiter de ces moments avec eux. C’est plutôt maintenant, par exemple, que l’on se retrouve et qu’on peut sortir tous ensemble à nouveau. C’est d’ailleurs très cool de voyager avec des mecs comme ça, parce qu’on peut vraiment faire les débiles tous les trois ensemble. Ça fait pas mal d’années que l’on est sur la route ensemble, et il y a eu beaucoup de fous-rires et de conneries sur le chemin. Le groupe est devenu ma bande d’amis. Cette ambiance me manquerait autrement.

William : Souvent, il y a toute une équipe qui nous accompagne. Enfin pas une grande équipe, peut-être dix personnes. Mais là, c’est la première fois depuis longtemps qu’on ne voyage que tous les trois.

Gerrit : C’est aussi la première fois que l’on voyage sans tout le matériel. C’est assez agréable de ne pas avoir à se trimbaler des valises immenses et quatre chariots, franchement.

William : On devrait partir plus souvent en voyage ensemble, non ? C’est vrai ça, il y a des gens qui partent vraiment en voyage vous savez ! (rires)

crédit : Tim Saccenti
  • Même s’il a sa propre histoire et existence, « The Far Field» semble rester proche, musicalement parlant, de son prédécesseur.

William : Oui, c’est vrai d’ailleurs que je ne l’avais jamais personnellement envisagé comme un nouveau chapitre. Je pense que « The Far Field » s’inscrit dans la continuité de ce que l’on avait pu faire avant. Nous n’avons pas forcément eu la volonté de faire quelque chose de différent, mais plutôt de faire en sorte que l’évolution se fasse le plus naturellement possible. Mais tu as raison pourtant, c’est la fin d’une ère et de cet album [« Singles »] en particulier. Il y avait beaucoup plus de pression sur ce nouvel album. On savait que notre public était maintenant plus large et que le groupe était beaucoup plus exposé. Cette pensée ne nous a jamais vraiment quitté.

  • Est-ce que vous pensez souvent aux attentes et potentielles réactions du public lorsque vous écrivez un nouvel album ?

William : Oui ! Tu sais, parfois on écrit un morceau et on se dit qu’il sera une tuerie en live. Mais parfois, certains obtiennent une réaction que l’on n’avait pas anticipée. Certaines chansons nous surprennent par leur force, comme « Lighthouse » sur « Singles ». Ce n’était qu’une parmi d’autres pour nous, jusqu’à ce qu’on se rende compte de la réaction qu’elle entraînait chez le public. Il se passe la même chose avec « Through The Roses » sur cet album.

Samuel : Cette chanson est vraiment drôle. J’ai écrit les paroles chez mon frère à Baltimore. J’étais en train de les finir pendant qu’il était au travail, et j’avais en tête des milliers de mains en l’air. J’imaginais des gens se tenant les mains en pleurant alors que je chantais la chanson en live. Cette image était tellement géniale. J’ai fini la chanson, enregistré une démo et j’ai parlé aux garçons de la vision que j’en avais. En la répétant, on s’est dit qu’elle n’était peut-être pas si bonne que ça. Puis on l’a jouée, et le public a réagi exactement de la façon dont je l’avais espéré. C’était vraiment intéressant. C’est dans ce sens que je pense au public lorsque j’écris. Il y a quelques années, cela aurait été impossible parce que nous ne jouions pas du tout devant le même nombre de personnes. Avec « Through The Roses », je pouvais vraiment ressentir ce sentiment, cette puissance émotionnelle qu’elle porte. C’est assez cool je crois. On verra si mes rêves se réalisent. (rires)

  • Vous avez d’ailleurs testé la plupart des nouvelles chansons lors de concerts secrets, annoncés sous un faux nom, l’année dernière. Etait-ce une étape importante pour vous ?

William : Ces concerts se sont révélés importants car c’est là que nous avons pris conscience des choses à changer pour que certains morceaux marchent mieux. Je pense que la plupart étaient bien en l’état, mais le gros défi était de les rendre plus rapides qu’ils ne l’étaient. Ces concerts nous ont donné confiance en ce que nous avions fait. Chaque chanson a sa propre force individuelle sur l’album et en live, même si je crois que le live est le vrai test. Si tu joues une chanson et qu’elle ne décolle pas, c’est que quelque chose ne va pas. Il y a une chanson sur l’album qui, je crois, sonne bien sur l’album mais beaucoup moins en live. C’est « North Star ». Je crois qu’il faut encore que l’on trouve comment elle peut marcher…

Samuel : Je suis quand même persuadé que cette chanson, et toutes les chansons, ont quelque part une force, et nous la trouverons. On la jouera encore et encore avant de la trouver, mais ça viendra. Ce qui est intéressant aussi, c’est que parfois, les chansons que personne ne connaissait en live deviennent leurs préférées une fois l’album sorti. La façon dont les chansons seront reçues sera sûrement très différente quand le public connaîtra « The Far Field ». On a fait quelques concerts dans les dernières semaines, et elles paraissaient déjà bien plus fortes qu’elles ne l’étaient l’autre fois. C’était super excitant d’avoir déjà ressenti cela. Quand le public les aura entendues sur l’album, ce sera fou ! (rires)

  • Lorsque vous travaillez sur un album, comment s’articule la composition de la musique et l’écriture des paroles, qui sont toujours très personnelles ?

William : On travaille habituellement tous les trois ensemble sur la musique, surtout pour cet album. Ensuite, les paroles sont écrites en réponse à la musique.

Samuel : Elles sont souvent le cœur de la chanson. Nous sommes réunis dans une pièce, William et Gerrit arrivent avec la base de la mélodie, et voient si on peut en faire quelque chose de bien. Ensuite, j’emmène le résultat chez moi et je travaille à mon tour dessus. Je pose des paroles sur ce que j’entends, il arrive que je raccourcisse ou rallonge des passages. Au moment où j’arrive chez moi, j’ai souvent déjà quelque chose qui m’est venu en entendant les gars jouer. Mais là, je me retrouve vraiment seul avec la chanson et j’essaie de trouver l’histoire qui peut être derrière. Parfois je l’écris en une heure, parfois ça me prend plusieurs jours, parfois je peux me casser la tête dessus pendant un mois. Mais je crois que toutes les chansons qui sont sur cet album là n’ont pas pris plus que quelques jours. Il y en a quelques unes que nous n’avons pas pu inclure faute de place, d’autres que j’ai réécouté des dizaines de fois en n’étant pas sûr de ce que nous pourrions en faire. Normalement, si cela nous prend plus de quelques jours, on écarte la chanson, parce que cela ne devrait pas prendre aussi longtemps. On a tendance à suivre notre cœur et à le laisser s’exprimer naturellement, sans trop réfléchir. Si une chanson prend trop d’importance parce qu’elle ne marche pas, on la fout dehors et on passe à une autre qui marche vraiment.

  • On retrouve dans les paroles des thèmes toujours très mélancoliques, particulièrement liés à des ruptures douloureuses. Pourtant, j’ai l’impression qu’il y a aussi une dimension bien plus positive dans celles de « The Far Field », qui incitent à combattre les difficultés et à relever la tête de plus belle.

Samuel : Oui, clairement. Le truc, c’est qu’en tant qu’artiste, tu crées et écris pour toi-même. Mais tu dois toujours te rappeler que tout cela est destiné à un public. Je chante ce que je ressens, mais je sais que c’est aussi quelque chose vers laquelle une autre personne peut se tourner si elle ressent la même chose. Ce que je fais peut peut-être réconforter quelqu’un. Je pense que c’est important de partager ce que nous traversons, surtout dans la situation actuelle. Tout ce que nous avons à partager, c’est nous mêmes. Je raconte mon histoire parce qu’elle est la seule vérité que je connais. Je ne peux pas parler de grand chose, même pas de ce que Will ressent, parce qu’il a ses propres vérités. Je pourrais essayer de parler de ce que je ressens par rapport à ce que le groupe vit, mais j’aurais toujours ma propre vision. Je pense que c’est important de partager ces vérités, et de donner quelque chose qui pourrait aider une personne. Cela peut passer par le fait de donner des conseils, par exemple avec une chanson comme « Balance », qui serait ma façon de dire à tous les jeunes de notre public de ne pas s’inquiéter et que tout ira bien. Je crois que c’est important, parce que quand j’étais moi-même plus jeune, je devenais fou parce que j’avais l’impression que le monde s’écroulait autour de moi. Plus je grandis, plus je réalise que la vie est complexe, mais que les choses changent. Elles deviennent plus faciles à gérer lorsque l’on prend conscience de tout cela.

  • Le titre de l’album, « The Far Field », est emprunté à un poème de l’américain Theodore Roethke. Qui est à l’origine de cette idée dans le groupe ?

Samuel : C’est moi qui l’ai ajouté à notre longue liste de titres ! Nous n’avions rien pendant que nous étions en studio. Il y avait juste cette liste qui devenait de plus en plus grande, et une centaine d’onglets Google avec autant d’idées d’artworks. On se demandait souvent comment ce putain d’album pouvait bien s’appeler et quel artwork nous voulions lui associer, mais on tournait plus en rond qu’autre chose. « The Far Field » m’est venu à l’esprit parce que c’est mon recueil de poèmes favori de mon poète favori. Notre second album s’appelait déjà « In Evening Air » en référence à l’un de ses autres poèmes. Roethke fait à la fois partie de l’histoire du groupe et de mes plus importantes influences. Ce n’était pas forcément mon premier choix, mais je l’ai finalement adopté parce que j’adore cette ligne et la façon dont elle me fait sentir. Dès qu’elle est devenue le titre définitif, elle a fait sens avec le reste. Elle est parfaite pour cet album qui mobilise les idées de voyages et de distance. Après tout, qu’est-ce qu’il se passe si tu te rends de l’autre côté de la colline, qu’est-ce qu’il s’y cache ?

William : On voulait aussi que l’ambiance de l’album conserve cette énergie qui était présente dans nos anciens travaux. Cela faisait sens de faire un clin d’œil à notre second album et à « In Evening Air », qui est un poème présent dans le recueil The Far Field qui est lui aussi nommé après le poème du même nom… Bon, c’est un peu confus. (rires) La personne qui a réalisé l’artwork, Kymia Nawabi, était aussi à l’origine de ceux des deux premiers albums. C’est comme si on fermait le cercle, en quelques sortes.

Samuel : J’ai découvert Roethke quand j’avais peut-être 12 ans, à la bibliothèque de l’école, qui étaient vraiment toute petite. J’y ai trouvé le livre, lu un ou deux poèmes, et je n’en revenais pas de ce que je lisais. J’étais comme un gosse, ces poèmes me faisaient ressentir quelque chose de vraiment fort. Alors j’ai pris le livre et je l’ai volé. Ils avaient des détecteurs à la sortie, mais si tu passes vraiment vite tu peux t’en sortir. Il est encore chez mes parents aujourd’hui, je ne pouvais vraiment pas m’en empêcher. (rires)

William : On ne savait même pas que ce livre avait été volé. Peut-être qu’on devrait essayer de voler l’album maintenant ? (rires)

crédit : Tim Saccenti
  • Future Islands a soufflé ces onze bougies en début d’année, quels souvenirs avez-vous aujourd’hui de vos débuts ?

Samuel : C’était une époque assez folle !

William : Il y a une de nos premières chansons, « No Autobahn », qui parle de ce rêve d’être capable de vivre sur la route et vivre par le groupe et la musique. C’est la dernière chanson de notre premier EP, à l’époque c’était notre « jam ». On l’a jouée à notre millième concert l’année dernière d’ailleurs et c’était super bizarre… Attendez, on l’a bien jouée celle-ci, non ?

Samuel : Tout était bizarre.

William : Disons qu’elle ne sonnait pas aussi bien que dans nos souvenirs.

Samuel : Mais voilà, l’idée, c’était qu’on espérait qu’un jour on pourrait vivre de tout cela.

William : « Tuer notre propre nourriture »

Samuel : Mais oui, je disais vraiment ça dans la chanson en plus ! (rires) Pour être honnête, Future Islands était vraiment un groupe stupide à ses débuts. Avant, on était un groupe de pop assez émotionnelle, puis on a commencé ce projet avec un batteur qui ne pouvait jouer qu’à 180 BPM. C’était un bassiste d’origine qui voulait vraiment se mettre à la batterie, et qui a appris à en jouer quand on a commencé le groupe. Il ne pouvait pas garder un rythme lent, alors il jouait super vite, et tout allait super vite. On est devenus un genre de groupe synth-punk. C’était un peu bizarre. J’avais beaucoup de problèmes à l’époque. C’était aussi l’époque où on quittait tous l’université. Mais je n’avais jamais osé rêver de tout ce qu’il se passe maintenant et je ne l’ai même pas vu arriver. Je crois que je le voulais, mais je ne savais pas non plus vraiment ce que je voulais. Je voulais vivre de la musique mais je ne savais pas à quoi cela ressemblait. Du coup, quand c’est arrivé pour de vrai, c’était étrange de pouvoir ressentir ce changement. C’est arrivé bien avant qu’on prenne conscience qu’on avait un peu de succès. On a réalisé lors de la signature avec 4AD qu’on passait à un niveau supérieur avec eux. Je crois qu’on le méritait, enfin, je n’ai pas l’impression qu’on soit une arnaque. Parce que je me souviens que lors de notre première fois en Europe en 2009, trois ans après qu’on ait commencé le groupe, on avait l’impression de ne pas mériter ce qui nous arrivait.

William : Il y a eu beaucoup de petits succès au fil des années. On est passés de quelques concerts le week-end à se dire que ça pourrait être sympa de partir en tournée, et encore plus tard de faire le tour des Etats-Unis.

Samuel : Certains groupes sont mis d’emblée sur un piédestal, j’imagine que ça doit être terriblement effrayant d’être là-haut. Ils n’ont même pas eu le temps d’apprendre comment gérer la pression. Nous on est des vieux maintenant, on s’en fout. (rires)

  • L’une de ces étapes était sans doute ce passage par David Letterman, qui a généré une sorte de phénomène autour du groupe. Quel regard portez-vous sur ce moment, trois ans plus tard ?

Samuel : Je crois qu’il nous a fallu plusieurs jours pour nous rendre compte, quand on a vu que les gens en parlaient encore. Puis les jours sont venus des semaines, et ils en parlaient toujours. Un mois plus tard, ils écrivaient des articles dessus en plus d’en parler. C’était totalement fou. La tournée qui suivait a immédiatement affiché complet après ça. On pensait que cette série de concerts allait être bien, parce qu’on commençait à avoir des fans un peu partout, mais pas à ce point. Les dates de la tournée suivante ont aussi été reprogrammées dans des salles plus grandes, et toutes ont affiché complet. C’est là qu’on s’est vraiment demandés ce qu’il se passait. Ce plateau télévisé a changé beaucoup de choses à la fois et on avait du mal à se rendre compte d’où cela venait, parce qu’on était là depuis tellement longtemps déjà. On recevait des messages du type « venez à Bristol s’il vous plait ! », « venez à Phoenix », « venez à Hambourg », mais on avait déjà joué tellement de fois dans ces villes, où étiez-vous tous avant ? (rires) Les gens trouvaient fous qu’on ait fait ça à la télévision, mais c’est ce qu’on fait tous les soirs. Pour nous, c’était un jour normal, où on faisait ce qu’on aimait et ce sur quoi on avait travaillé pendant des années. C’est sûrement la prestation live qui a bien marché auprès des gens. Cela dit, on aime aussi faire d’autres choses en concert. Ce n’est pas qu’on n’aime pas la chanson, on l’adore et on est contents qu’elle nous ait permis d’évoluer. Mais ce qui nous importe vraiment, c’est de pouvoir rassembler autour de notre travail dans son ensemble, et que ceux qui nous découvrent apprennent aussi à connaître ce que l’on a pu faire avant. Que ceux qui entendent parler de nous par « The Far Field » écoutent « Singles », puis « On The Water », puis « In The Evening Air »… En tout cas, ce qui nous est arrivé est et reste absolument fou.


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Cassandre Gouillaud

Étudiante, passion musique. Si jamais un soir vous me cherchez, je suis probablement du côté des salles de concert parisiennes.