[Entourage #131] Clavicule

Les Bretons de Clavicule symbolisent aujourd’hui, certainement mieux que toute autre entité, la vitalité actuelle du rock en France. Si les sensations post-punk sont évidemment le fil de conducteur de la nouvelle vague qui sévit en France, les membres du groupe rennais activent en toute liberté un feeling d’une pureté saisissante, qui ne s’inscrit pas vraiment dans une forme de revival contemporain, mais bien plus comme une authentique célébration organique des vertus libératrices du rock. Le mot d’ordre est ainsi, semble-t-il, toujours le même depuis un premier album galvanisé et galvanisant, le bien nommé « Garage Is Dead » : l’énergie, avant tout l’énergie ; l’énergie comme le moteur de la création. Au-delà des styles et des influences, la musique de Clavicule s’émancipe des apparats et autres artifices du rock pour aller à l’essentiel. Elle est directe, instinctive, viscérale. Elle vient droit du cœur et des tripes.  Clavicule n’en oublie pas d’être un groupe de son temps, un groupe de l’instant présent, absolument pas enfermé dans le passé et la nostalgie. Et Clavicule pourrait verser dans les travers d’un concept hermétique et spécialisé, renfermé sur lui-même, au contraire, son rock reste furieusement généreux et foncièrement ouvert, diablement communicatif. Il est d’ailleurs fort probable que dans le van du groupe, la playlist de tournée soit extrêmement large, curieuse et éclectique, souvent tournée vers les potes et l’esprit indé hexagonal (pas seulement rock d’ailleurs) comme le prouve avec un naturel désarmant, ce nouveau numéro d’Entourage (avec des habitués de nos colonnes), dont la rédaction d’indiemusic est très fière.

crédit : Marine Bouteiller

Hola Laurel

par Marius (chant et guitare)

Hola Laurel, c’est un groupe rennais relativement récent. Ils ont sorti leur premier album, SUN SECT, le 20 novembre dernier, magnifiquement bien enregistré par Baptiste Bucaille (NDR : membre du groupe Amablanc). Gros coup de cœur pour moi (et un des meilleurs albums de 2022) ! Hola Laurel joue souvent à Rennes et à chaque fois c’est la bonne claque, gros défouloir devant le concert. Le groupe mélange des influences indie rock, emo et rock alternatif (je dirais), influencé par Weezer et pas mal de groupes de rock des années 90. Le nom du groupe vient en partie de Laurel Canyon, quartier emblématique de Los Angeles où ont vécu beaucoup de personnalités du rock. Je n’ai jamais partagé la scène avec eux, mais ce sont de bons copains. (Bisous Camille, Louis, Philémon et Pierre <3 ) Hâte d’entendre la suite !


Korto

par Alexis (batterie)

Je connaissais Korto depuis la sortie de leur EP éponyme en 2017, mais je n’avais jamais eu l’occasion de les voir en concert. Nous avons joué au même festival en août 2022 (le MADFest dans l’Ain). Pour moi qui les connaissais depuis bien avant que Clavicule ne soit même qu’une idée, j’avais un peu l’impression d’être en présence de parrains de la mafia. Ils sont en fait de nos âges évidemment et surtout ils se sont révélés être ma plus grosse claque live en quatre années bien remplies de concerts divers. Leur son est incroyable et original, et ils peuvent se vanter de posséder et de redistribuer en live une maîtrise technique, un groove et un jouer ensemble d’un autre monde. C’était un moment magnifique, j’espère avoir l’occasion de plus sympathiser avec eux la prochaine fois et surtout de les revoir opérer cette magie.


We Hate You Please Die

par Ian (bassiste)

Dès les débuts de Clavicule, nous avons très vite découvert We Hate You Please Die, groupe majeur de la très bonne scène rock rouennaise à l’énergie totalement punk. Je pense qu’il y a unanimité dans le groupe pour dire que nous avons tout de suite aimé leur son et leur énergie. Il y a d’ailleurs pas mal de points communs entre les compos de nos groupes : la recherche de mélodies catchy dans une énergie punk ou encore les alternances entre moments calmes et les déchaînements de violence sonore. Nous avons fini par nous rencontrer à l’automne 2021 en jouant dans un même festival. Il y a tout de suite eu une très bonne entente humaine. Nous sommes sur les mêmes valeurs humaines et nous avons également beaucoup d’influences musicales communes. Nous essayons depuis d’aller nous voir lorsqu’un de nos groupes ne joue pas loin de l’autre. C’est tout naturellement que nous les avons invités à notre release party à Nantes en mars dernier pour la sortie de notre album « Full of Joy ».


Mad Foxes

par Kamil (guitare)

Mad Foxes sont un peu nos frères d’armes, on ne compte plus les soirées où nous avons partagé l’affiche ensemble, depuis le berceau à la Charrue (Châteaubriant) jusqu’à aujourd’hui sur des festivals plus massifs. Nous les avons vus décoller avec leur deuxième album « Ashamed » pendant que nous sortions tout juste de l’ombre avec notre premier « Garage Is Dead ». Aujourd’hui nous sommes fiers et honorés de côtoyer d’aussi bons musiciens et des êtres humains aussi exceptionnels.


Sqimer

Le projet musical de notre ami Valentin Béru, qui en plus d’être un excellent ingénieur du son, produit sa propre musique de qualité dans le monde trop méconnu de la bass music. À cheval entre breakbeat, dubstep et drum’n’bass, il vient de sortir un EP nommé « Watertight » sur le label Human Disease Network. C’est sûr que ça sort un peu de la ligne éditoriale du rock, mais nous pensons que toutes les musiques se nourrissent les unes les autres et se retrouvent les unes dans les autres au fur et à mesure que les moyens de diffusion évoluent.


À trop vouloir réduire par fantasme Clavicule à l’archétype du groupe rock énervé, juste bon à saturer les amplis, à s’abandonner dans la puissance incandescente de son bouillonnement électrique, nous aurions tendance à oublier que l’identité du groupe est vraiment très affirmée, pleine de nuances et de subtilités, loin d’un simple ersatz local des sensations américaines, australiennes et anglaises. Clavicule active en effet une musicalité héroïque et libre, sur son dernier album « Full of Joy ». À l’instar de groupes du cru comme Slift, Gondhawa, The Psychotic Monks, Servo etc. se révèle en particulier ce rapport à la pulsation, cette intensité rythmique permanente. Elle renvoie à une forme d’imaginaire tribal et incantatoire, presque chamanique, faisant de la musique ce rituel cathartique et libérateur, allant chercher loin dans le sol, pour se projeter très haut et très loin dans la verticalité. (NDR : démonstration par l’exemple avec la session live monumentale, impétueuse et sauvage de « Rockets »)

Alors que pour certains, le salut du rock serait à trouver dans l’expérimentation tous azimuts, l’innovation sonore, l’hybridation… les quatre complices de Clavicule vont eux chercher (une nouvelle fois) leur vérité au sein de « Full of Joy » dans l’intensité et la performance collective, dans une incommensurable implication physique, un souffle crucial et décisif. Cette matière imposante et jubilatoire repose sur un talent musical indéniable, pas au sens académique, mais au sens vibratoire du terme. Les riffs de guitares sont décochés comme des flèches et visent toujours au centre de la cible. La batterie est ce monstre incisif, précis, percutant et inarrêtable, qui ne laisse aucun répit et aucun temps mort, soignant à la perfection ses frappes dantesques. La basse est ce guide intrépide et volontaire, qui montre le chemin et embarque toutes les âmes égarées. La voix de Marius est le porte-voix du collectif en même temps que cet accélérateur de particules, au point d’être un instrument à part entière, qui s’intègre parfaitement dans le champ sonore. Elle canalise l’énergie avant qu’elle ne déborde ce qui est souvent le cas.

Ainsi à travers l’écoute de « Full of Joy », une question se pose : mais comment le quatuor tient-il la cadence, au sens presque sportif du terme (et sur scène) ? Il déploie à tous les instants ce côté rugueux, tendu que Oh Sees ne révèle que dans leurs passages les plus agités. Inutile de faire l’inventaire du tracklisting, qui combine avec brio, cohérence, humilité, simplicité, comme peu d’autres, garage rock, punk, surf, psyché, stoner… pour former un tout entier, vibrant et singulier, sans aucun morceau à mettre de côté. De quoi ranger ce long format, en vinyle de préférence dans la collec’ aux côtés des incontournables et essentiels du MC5, de Mudhoney, des Cramps, de Link Wray, de Quicksand, de Sloy, des Thugs, mais aussi ceux des aventuriers hexagonaux de l’objet rock que sont Princess Thailand, Dirty Deep, Johnny Mafia, The Fabulous Sheep…

crédit : Emy – Arrache-Toi Un Œil

Ce qui place, vous l’aurez compris, et non sans raison, la barre très très très haute. Cerise sur le gâteau, une nouvelle fois, Clavicule peut se targuer d’avoir sorti une pochette de disque on ne peut plus plus cool (la plus cool de l’année encore une fois ?) incarnant à merveille le propos artistique, raison de plus pour placer « Full of Joy » comme un nouveau marqueur rock (anglophone) de l’année en France ; après « So Cold Streams » de Frustration en 2019, « Ummon » de Slift en 2020, « Ashamed » de Mad Foxes en 2021, « Songs/Motion Return » de Stuffed Foxes en 2022.

À voir sur scène très bientôt, le 2 juin au Farmer Fest à Louhans (71), le 10 juin au Grand Bazard Festival à Blainville-sur-l’Eau (54), le 24 juin à La Boule Noire à Paris avec Shoefiti pour sa 3e release party, le 5 juillet au Tempo à Guéméné-Penfao (44), le 7 juillet au Part en Live Festival à Bourg-Saint-Maurice (73), le 5 août au Festival Au Pont du Rock, à Malestroit (56) avant plein d’autres dates à la rentrée.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.