[LP] Bror Gunnar Jansson – Moan Snake Moan

Parfois la plume nous abandonne. Les lignes ne s’écrivent plus. Plus aucune musique ne stimule des mots. C’est alors une quête qui s’engrange. Partir désespérément à la recherche du plaisir. Malheureux, trouver, retrouver les vibrations d’antan. Celles qui prenaient au point qu’on devait se battre pour s’en défaire. Et la quête est longue. Et la quête est stérile. Méprisante. Puis, comme le soleil éclos au-dessus de la brume, le blues suédois a tabassé l’infertilité de mon écriture.

Bror Gunnar Jansson - Moan Snake Moan

Il est là, tel un cavalier sans tête. Telle une photo oubliée et abîmée. Comme si l’album le submergeait. Les couleurs et les flèches écrasant un visage absent. Face au doute et au vide, on s’interroge : serait-il cet homme qui se perd avec le fruit de ses entrailles ? Cet homme anonyme qui rode à l’orée des villages et qui signe ses chants d’un lointain nom qui est le sien : Bror Gunnar Jansson. Oui, le bluesman suédois a frappé, a détendu le poing, a appuyé sur la gâchette. Alors, il y a, à l’approche de cet album, l’impression de détenir un interdit. Un projet pas totalement tout blanc, qui aurait traîné dans les bas-fonds. Noir de suie et de combats. Noir comme ces nuits où les couteaux se plantent.

Bror Gunnar Jansson
crédit : Johan Lund

Bror Gunnar Jansson a ces allures, a de l’allure. Celle d’un voyou qui aurait vêtu les habits des grands jours. Il a cette classe des cours qui dansent avec la poussière des sols de terre paysanne. Il a l’audace de porter en lui une époque disparue. La plume la plus noble qui trempe dans les mollards d’un folklore. Peut-être imaginé, peut-être fantasmé. Car il est sûr, par-dessus tout, que Bror Gunnar Jansson est un conteur de légendes moites. Entre un temps où sorcières et chevaliers noirs hantaient des contrées dévastées et une époque où la violence était celle de gars droits et loyaux, le garçon se trouve là et à coup de longues virées instrumentales, il impose son blues macabre et orageux. « One For Earth » comme exemple. Fiévreux moment suspendu.

« Moan Snake Moan » se boit comme un recueil. Il est fascinant d’atmosphère. Enfumé, embrumé, sombre et percutant. Il dresse le portrait d’un pays enveloppé dans des histoires d’hommes et de vices. Des histoires qui font trembler les hommes les plus gaillards, qui font les cauchemars dans les sommeils des enfants les plus sages. Dangereux, son chant rode. On l’imagine comme une ombre encagoulée traversant un village pétrifié. Bror Gunnar Jansson donne ce rythme de la peur. Une guitare qui embrasse un chant rugissant et aguicheur. Un morceau qui sonne comme un silence fantomatique. « He had a knife in his hand » tel un western scandinave. Ils sont dix. Dix morceaux à se suivre dans une même fougue. Mais tous crachent un venin différent aux poisons les plus mortels. De la sorte, « Butch » est un guerrier dont la frappe percute et s’impose.

Alors même s’il nous semble traverser toute une époque, Bror Gunnar Jansson ne s’enferme pas dans ses racines. Que ça soit celles de son pays lointain et fascinant ou celles légitimes du blues. Le gentleman voyou transcende les codes, les genres et les idées. Sa musique ne vient pas d’une école, mais de ses viscères. Elle a le goût amer du sang qui palpite dans bons nombres de références. Pourtant aucunes ne semblent clairement se définir. Broderie froissée de plusieurs cris. Broderie sublimée par le chant des cuivres. Solennelle. L’homme-orchestre délègue parfois. Tout cela fait naître une orchestration électrisante, clairement entre lourde pesanteur et fragile apesanteur.

crédit :  Johan Lund
crédit : Johan Lund

« Moan Snake Moan » est certainement un grand album de blues. Mais au-delà, il est indéniable qu’il s’impose tout simplement comme un grand album de musique. Passionnel, écorché et mystique.

« Moan Snake Moan » de Bror Gunnar Jansson est disponible depuis le 2 juin 2014 chez Normandeep Blues.


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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes