[Interview] Bon Voyage Organisation

« J’ai la culture de la curiosité et de l’ouverture d’esprit. C’est cet état d’esprit qui est partagé par tous. On aime bien voir des choses différentes, proposer des choses différentes et recevoir des choses différentes. » Tel est le programme proposé par Adrien Durand, fondateur du groupe Bon Voyage Organisation que nous avons rencontré cet été au festival Fnac Live.

crédit : Solène Patron
crédit : Solène Patron
  • Adrien, est-ce que tu peux nous raconter la genèse du groupe ?

J’ai commencé à faire de la musique tout seul à l’âge de 19 ans. Parallèlement, je me suis intéressé à la scène rock de l’époque. J’ai assisté à beaucoup de concerts, rencontré beaucoup de personnes autour de cette scène qu’on appelait la scène des « baby rockeurs ».  Je me suis rendu compte que, dans ma musique, ce qui me fascinait le plus, c’était toujours le truc qui avait été ramené par quelqu’un d’autre. Tu fais ta musique tout seul, et un jour il y a un type qui vient et qui joue quelques notes et tu te dis : « Mais cette idée est géniale ! »  À partir de ce moment-là, je me suis dit que je n’avais pas la vocation de faire de la musique tout seul devant mon ordinateur, mais avec de vrais musiciens et de vrais instruments. J’ai alors commencé à monter un groupe avec, au départ, deux ou trois musiciens que je connaissais, puis au fil des ans, une quinzaine d’autres personnes sont passées dans le groupe.

  • Peut-on parler de collectif alors ?

Ce n’est pas un collectif, disons que c’est un orchestre. Les gens se rejoignent quand ils sont disponibles. Comme la plupart sont devenus professionnels, ils sont aujourd’hui moins disponibles. Il y a donc eu un renouvellement dans le groupe qui s’est fait naturellement.

  • Cela a-t-il eu un impact sur le processus de création au sein du groupe ?

Non. J’écris toutes les chansons, mais elles servent de base. Après chacun est libre de s’exprimer dessus. Cela permet aux musiciens de développer des styles de jeu très variés, ce qu’ils ne pourraient pas faire dans d’autres projets qui seraient plus marqués par un genre musical précis.  Personnellement, j’ai la culture de la curiosité et de l’ouverture d’esprit. C’est cet état d’esprit qui est partagé par tous. On aime bien voir des choses différentes, proposer des choses différentes et recevoir des choses différentes.

  • Dans les influences musicales du groupe, il y a le disco-funk des années 70. Qu’est-ce qui t’attire dans cette musique ?

Quand dans les années 70-80, le jazz-funk et disco sont apparus, c’était l’époque des musiciens de studio qui avaient plus de 20 ans d’expérience. Ces musiciens jouaient tous les jours pour différentes stars de l’époque. Pour moi, les années 76-82 représentent l’apogée du jeu de studio, de la musique qui n’est pas jouée pour des concerts, mais pour être sur des disques. Je suis complètement fasciné par cette période. Mais avec l’arrivée du numérique, on a fait l’économie des vrais musiciens.

  • C’est donc un retour à la musique jouée ?

Oui, exactement.  C’est d’ailleurs ce que disent les Daft Punk : « Give life back to music », même si je le disais bien avant eux.  Je pense qu’ils ont eu une vision hyper moderne et plutôt de ma génération que de la leur.

  • Quelle relation entretiens-tu avec le groupe La Femme ? Ton EP a été produit par leur label ?

Non, c’est moi qui l’ai produit, mais ils l’ont sorti sous licence et ont distribué le disque. En fait, j’ai toujours eu un travail à côté qui m’a permis de financer moi-même ma musique. Je cherchais un deal avec un label pour faire évoluer le groupe et accéder à un public plus large. J’en ai parlé au groupe La Femme que je connais bien. Ils m’ont dit qu’ils étaient prêts à le distribuer. Ils m’ont conseillé d’attendre que ce disque ait un rayonnement plus large pour pouvoir négocier un deal plus favorable avec les labels. Tu vois, des mecs qui donnent une main tendue dans ce business, c’est rare. Je sais très bien qu’un premier EP, ça ne rapporte pas d’argent. C’est vraiment un service rendu qu’ils m’ont fait.

  • Avec ce premier EP, tu nous emmènes en Chine. Pourquoi cette destination ?

En fait, c’est plutôt l’idée de la Chine-Afrique. Si tu regardes bien le monde d’aujourd’hui, tu te rends compte que c’est en Afrique que ça bouge. Les Chinois sont là, ils renouvellent les infrastructures. Il ne faut pas se voiler la face, ils sont présents avant tout pour le business et les ressources du pays. Mais ils ont une approche communiste/communautaire différente de ce qui a pu se faire dans le passé. Ils envoient des populations très pauvres là-bas. Des quartiers pauvres chinois se forment, font du business avec les quartiers pauvres africains. Et du coup, il se passe quelque chose qui culturellement est hyper excitant et que personne ne contrôle.

  • Tu reviens d’une tournée en Chine. Comment s’est déroulée cette tournée dans ce pays si lointain ?

C’était comme une hallucination. Tu te lèves à 6h du matin, tu vas à l’aéroport, tu arrives en Chine au bout de 10h d’avion. Il y a le décalage horaire, il fait chaud. On vient te chercher et on te dit : « C’est tout près d’ici, à deux heures de route ». Et pendant deux heures, tu roules dans la ville. Alors qu’en deux heures en France, tu fais Paris-Reims ! Tu arrives à l’hôtel, puis tu enchaînes avec le concert, il fait 45°. Avec nous, il y avait notre manager, qui s’occupe également du groupe touareg Tinariwen, et un journaliste des Inrocks.  Avec eux, je parcourais la ville le soir pour dénicher tous les endroits authentiques. On dormait deux heures par nuit. Et le lendemain, tu te lèves à 6h du matin, tu recommences, et ce jusqu’à la fin de la tournée.

  • Il y a des paroles en mandarin sur ton EP. Est-il vrai que tu as utilisé Google Traduction ?

Oui, une partie est en Google Trad que j’ai fait relire par une Chinoise et une partie écrite par la chanteuse chinoise. J’ai procédé de cette manière, car je voulais maîtriser la prosodie dès le départ. J’ai une banque de données que j’ai alimentée au cours des deux dernières années avec près de 700 enregistrements, qui sont soit des mots soit des petites phrases en chinois, enregistrées de plein de manières différentes.  C’est ma dictée magique réalisée avec mes propres sons que je vais utiliser pour l’EP qui vient.

  • Donc, il y a un prochain EP en vue, sera-t-il toujours sur le thème de la Chine ?

Un peu moins, car j’ai besoin de m’en éloigner. Le thème sur la Chine est vraiment un travail de fond.  Il y a des choses que j’ai très envie de faire notamment des collaborations avec des musiciens chinois, mais là je n’avais pas le temps pour ce disque. Donc, il parle d’autres choses, il présente l’autre facette de BVO. Avec ce disque, on joue sur les codes de la variété française, de la musique des années 80 et on aborde le voyage. On vient de sortir un morceau qui s’intitule « Géographie » et qui sera suivi par un autre, « Mirage sur le Nil »

  • Est-ce que tu revisites tes morceaux pour le live ?

Complètement. On ne joue jamais deux fois le même concert.  La scène nous permet d’être en perpétuelle évolution. C’est par l’interprétation d’anciens morceaux qu’on arrive à découvrir de nouveaux morceaux. Par exemple, dans « Shenzhen V », il y a un pont tropical. De ce pont sont sortis deux morceaux suite à l’interprétation qu’on en a faite sur scène. Reconstruire les morceaux pour le live, c’est en quelque sorte notre moment de composition.

  • Tu viens de jouer sur la scène de Fnac Live. Quelles sont tes premières impressions ?

Je suis très content d’être là. C’était une date pilier dans l’agenda de BVO, car elle nous permet de toucher un public plus large.  C’est important pour nous, car notre musique est plutôt « indie », pas très radiophonique.  En plus, on a cette angoisse depuis des années d’avoir l’air d’un groupe pédant parce qu’en concert, on ne parle pas au public. Les « ça va Paris ?», c’est pas notre délire. On essaye de toucher le public avec notre musique, de les transporter dans notre délire musical. Du coup, on était stressé. Et puis, on avait l’habitude de jouer dans des salles tard le soir, avec des jeux de lumière, où on pouvait jouer des morceaux de 12 minutes. Là, on a joué en plein jour devant un public très varié qui ne nous connaissait pas. C’est tellement dur d’apprivoiser ce type de scène. Mais j’ai adoré.

  • En conclusion, est-ce que tu peux nous parler de tes projets ?

Il y a le nouvel EP qui sortira en septembre avec une release party prévue au Badaboum le 14 septembre prochain. Avec le groupe, on travaille déjà sur la suite de l’EP. Récemment, j’ai travaillé avec Brigitte dans le cadre des créations des Francofolies de La Rochelle. Les Brigitte reprenaient le répertoire de Balavoine. J’ai fait tous les arrangements des morceaux et on a joué avec elles sur scène. En ce moment, je travaille sur un autre projet qui me passionne :  la réalisation du nouvel album d’Amadou et Mariam. Je ne peux pas trop en parler, mais ils ont un thème génial. Cet album sera différent de ce qu’ils ont déjà fait jusqu’à présent. Donc cela fait beaucoup de projets jusqu’à la fin d’année, entrecoupés par des concerts, notamment aux Pays-Bas. En janvier, je repars en Chine pour une création avec des musiciens chinois.


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Sylvie Durand

Curieuse, passionnée par les voyages, la musique, la danse. Par tout ce qui aiguise les sens.