[LP] Motorama – Many Nights

Le groupe russe Motorama est décidément un objet fascinant de la sphère pop indépendante. Sorti en 2016, le somptueux « Dialogues » avait assurément été l’un de nos plus beaux moments de l’année. « Many Nights » se présente aujourd’hui comme une synthèse élégante de ces prédécesseurs, tout en imposant un regard neuf et subtilement renouvelé, pour le dernier chapitre en date de l’une des discographies les plus sensibles et touchantes de l’ère-post-moderne.

Porteur d’un romantisme exacerbé, le désormais trio, conduit par le saisissant Vladislav Parshin, attise avec toujours autant de passion sur ce cinquième LP, la flamme d’un rock poétique, obsessionnel et émancipateur. L’étonnante machine pourrait évidemment tourner en rond : cette guitare reconnaissable entre mille, cette pulsation permanente, minimale et frénétique… Pourtant, enregistré en quelques mois cette année, dans le studio personnel de leur leader, ce nouveau long format se distingue par sa simplicité et son envie d’aller à l’essentiel, comme le démontre le clip « Second Part ». Poursuivant comme une raison d’être les vertus d’une échappatoire new wave et post-punk, nos esthètes russes développent pourtant des territoires d’inspiration suffisamment vastes, pour aboutir de façon surprenante, par exemple, à proximité d’un Thurston Moore sur « You & The Others ».

Nous pourrions certainement reprocher à « Many Nights », son relatif manque de continuité narrative, ce fil conducteur qui nous avait littéralement transporté sur « Dialogues », et nous revient d’ailleurs tel un boomerang à travers « This Night ». Mais il compense par sa formidable capacité à mettre en lumière une écriture fluide et constante, et surtout un sens de la composition, qui pouvait passer au second plan au profit d’une esthétique particulièrement marquée. À ce titre, la musicalité d’un morceau comme « Kissing The Ground » pourrait, une fois n’est pas coutume, rapprocher Motorama pour quelques instants, des indispensables Talk Talk. Nous pouvons aussi compter sur les doigts de la main, les formations capables d’enchaîner trois brûlots pop, aussi évidents que « Homewards », « Voice From The Choir » et « No More Time », sans créer par la suite, cette sensation désarmante de vide.

Comme un leurre, nous avons peut-être toujours espéré pouvoir vivre par procuration l’urgence créative des « eighties » de Manchester et de Sheffield. Et si nous assumons encore l’idée de pouvoir considérer Motorama à travers le prisme de la nostalgie, nous pouvons tout de même admettre en toute honnêteté que ce groupe s’inscrit dans une histoire et une culture, qui nous dépasse certainement bien plus que nous pouvons l’imaginer. Loin de nos sempiternelles références éculées, le groupe revendique, d’ailleurs avec fierté, l’influence du grand compositeur russe Edouard Artemiev, dont l’œuvre nous est en toute sincérité totalement étrangère, bien que gigantesque ; elle mériterait un détour plus que nécessaire, à l’image de l’album avant-gardiste de musiques électroniques, « Moods », sorti en 1984.

Motorama n’est donc pas une entité figée. Cet album le démontre avec beaucoup de finesse, dans les moindres recoins et dans les moindres détails, comme ces percussions organiques augmentant naturellement le groove insidieux de « Second Part ». Si l’ombre de Joy Division est évidemment (pour nous) une présence familière, il nous faut savoir la mettre de côté, pour mieux apprécier la singularité presque improbable de cette entité remarquable. Et même si à la manière de certains réalisateurs de cinéma cultes, Motorama sort finalement toujours le même album, déclinant jusqu’au-boutisme sa quête romantique viscérale : la fraîcheur et l’énergie de « Many Nights » aboutissent ici à un véritable bonheur sensible, accrocheur et terriblement addictif.

crédit : Alexey Trineev

« Many Nights » de Motorama, sortie le 21 septembre 2018 chez Talitres.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.