[Live] Hellfest 2018, jour 2

Pour couvrir la treizième édition du Hellfest, qui avait lieu à Clisson du 22 au 24 juin derniers, indiemusic renouvelle un peu son équipe de choc sur place, à l’assaut des six scènes, presque 200 concerts et des 180 000 festivaliers sur place. Voici le récit illustré de ces trois jours de folie infernale, avec cette fois-ci le compte-rendu de l’excellente journée (et soirée) du samedi.

Heilung – crédit : Erwan Iliou

Article écrit par Maxime Antoine et Maxime Dobosz

Comme d’habitude, dès l’ouverture des portes nous voilà sur le site, d’attaque et dans la Valley de préférence pour les premiers concerts de la journée, souvent en mode découverte. En effet, nous ne savions rien ou presque du combo italien Black Rainbows qui ouvrait les hostilités en Valley le samedi, si ce n’est que nous avions écouté quelques morceaux au hasard dans la voiture et que cela s’annonçait pas mal. Il faut dire que le groupe nous a collé une petite baffe d’entrée de jeu avec son heavy psych gorgé de fuzz et de riffs dévastateurs bien burnés. Rien de neuf sous le soleil, mais la recette n’est pas éventée et fonctionne toujours à plein régime pour les amateurs de gros hard rock tendance seventies et rock psychédélique. On recommande au passage « Pandaemonium », leur dernier et excellent album, sorti en avril dernier et dont furent joués plusieurs morceaux, en particulier l’incroyable « Grindstone », usine à riffs enfumés tout bonnement monumentale, sur scène comme sur disque.

Petit passage en Warzone pour les New-Yorkais de Incendiary, qui nous avaient été chaudement recommandés. Un concert partiel et en demi-teinte, avec plein de bonnes choses vocalement ou musicalement, et un hardcore honnête et efficace mené tambour battant par un leader bien vénère et affublé d’un T-shirt Slowdive de bon goût, mais qui dénote un peu. Au final, une étrange impression de manque de coordination ou de cohésion, peut-être due à l’heure encore assez matinale peu propice à un genre aussi méchamment énergique. Public pas réveillé, groupe pas toujours très en place et qui peine à pallier ces défauts par l’enthousiasme ou la hargne des grands jours. Petit concert, mais qui donne un aperçu globalement positif de l’univers du groupe. À retenter dans de meilleures conditions sans doute.

Phénomènes du black metal français auquel nous avions étonnamment échappé depuis 2009, les clowns sinistres de Pensées nocturnes prenaient possession de la Temple en cette fin de matinée pour un show aussi bariolé qu’inclassable, quelque part entre pagan, folk black et bal musette. Accordéons, cuivres, claviers grandiloquents et chanteur qui pourrait être une version zombifiée du leader d’une autre bande de clowns, les Norvégiens de Turbonegro. C’est rigolo, c’est rabelaisien, cocasse et un peu scato, très régressif et d’un mauvais goût aussi réjouissant que lassant. Une curiosité à n’en pas douter.

Voir un groupe sur un festival de musiques extrêmes dont un musicien arbore un t-shirt du groupe noise Metz est-il d’emblée une qualité ? On aurait tendance à répondre par la positive et les Suédois de Monolord ne décevront pas. Le son est lourd, sent le goudron chaud et la fumée aromatique, quoi de plus surprenant venant du stoner. Cependant, malgré les redondances stylistiques assez classiques au genre, Monolord fait preuve d’un sens de la mélodie franchement appréciable en plus d’une attitude scénique qui fait mouche. Le trio est fun à voir et par sa gestuelle communique avec le public sans en faire des caisses, pile sur le fil du rasoir. Le bassiste Mika Häkki gesticule dans tous les sens pendant que le moustachu Willems fait raisonner sa voix haut perchée à travers la Valley. C’était d’ailleurs la vraie tête d’affiche de la première partie de journée, un groupe attendu au tournant par des cohortes de fans et un résultat qui se manifestait immédiatement : la Valley était pleine à craquer ou presque à 11h40, créant soudainement un contraste saisissant avec le public d’ordinaire plus clairsemé, quelle que soit la scène, en cette heure. Monolord, groupe de doom metal à la fois traditionnel et contemporain, car trouvant un juste équilibre entre mélodie, influences heavy et gros riffs enfumés et assénés avec une vigueur stupéfiante, fort d’un concert mémorable en ce même lieu deux ans plus tôt (et en ouverture inoubliable de la journée), et surtout fort d’une notoriété nouvelle acquise via un excellent troisième album l’an dernier, « Rust », débarquait donc devant un public plus que conquis, mais toujours frustré de ne pas avoir droit à un vrai concert (c’est-à-dire de plus d’une demi-heure) d’un groupe qui s’est pourtant rapidement affirmé comme une des formations les plus incontournables d’un genre de plus en plus populaire. Il fallut donc encore faire avec et le groupe n’aura joué que quatre morceaux dont « Rust », mais surtout le désormais incontournable « Empress Rising », étape obligée de tous les concerts du groupe, qu’elle termine sur une tempête de riffs et de poings levés du public qui scande ces deux mots avec ferveur. Morceau impressionnant sur album avec ses plus de douze minutes pachydermiques, en live il devient un véritable acte de bravoure musicale étiré sur un quart d’heure, parfois plus, avec un riff central qui se retrouve décliné à différents volumes, intensités, effets, avec ou sans basse ou guitare, etc. C’est sur ce titre seul que le groupe a acquis cette réputation et cette base de fans solide, c’est sur ce titre seul que Monolord est entré dans la légende. Mais ce qui est magique avec ce groupe, c’est que tout le reste de leur discographie est vraiment de haut vol.

Bref passage en Altar pour voir un bout de Bloodshot Dawn. Il n’est pas midi et, dès les premiers morceaux, le public headbangue (du verbe headbanguer) sec. Il ne faut pas attendre le troisième morceau pour que le premier moshpit pointe son nez. Rappelons qu’il n’est pas encore l’heure du premier rosé, ou Kro en l’occurrence, adaptons-nous au climat local, force est de constater que le public du festival fait partie des plus motivés du pays. Bon, Bloodshot Dawn déboule un death classique et pas des plus transcendants. On ne s’étonne plus de voir ces guitaristes en plein shred dès qu’ils en ont l’occasion. On se place pas loin d’Arch Enemy sur l’échelle de la finesse, le son en moins. Il faut cependant garder un peu de positivité, les solos débiles (dans le bon sens du terme) et les rythmiques de batterie font par moments preuve de créativité. Bloodshot Dawn a le mérite de définitivement réveiller les troupes, l’originalité en plus aurait pu malheureusement faire office de café.

Ce n’est pas les Pyrénéens d‘Hantaoma qui jouent juste à la suite sur la Temple qui apporteront la dose de caféine nécessaire à une journée constructive, à moins d’aimer les sons stridents. En revanche en Warzone, Get The Shot s’avère une des plus belles découvertes et surprises de ce Hellfest 2018. Cette formation de punk hardcore québécoise fleure bon l’anarchie et les revendications politiques de bon aloi. Pour décrire un peu ce concert, sachez que le soleil était de plomb, la bière d’ambre – et bien fraîche – et que nous étions avec un ami à bonne distance du point le plus chaud de la fosse. Au bout de deux morceaux, nous trépignions sur place avec une furieuse envie d’en découdre, mais un gros dilemme : comment garder notre énergie pour le reste de la journée, et surtout de ne pas renverser nos bières, perdre nos casquettes (le fléau des moshpits) ou abîmer toute cette nourriture planquée dans nos sacs ? Quelques minutes passent et le chanteur J-P, sorte de Anthony Kiedis jeune et originaire de Québec, entre deux sauts dans le public cale un discours anticapitaliste véhément. Il ne nous en faut pas plus et nous courons comme des dératés pour faire la fête avec la frange la plus excitée du public. Tout cela se finit rapidement en énorme pogo, wall of death, crowd surfing et tutti quanti, et la ferveur intense du public répond proportionnellement à l’énergie que J-P Lagacé et ses acolytes déploient sur scène. Les influences punk et hardcore sont évidentes, mais ce qui fait le sel de ce groupe c’est une tendance prononcée pour balancer du gros riff bien gras au milieu des décharges punk, flirtant ainsi parfois avec le crossover thrash et le groove metal (le groupe cite dans ses influences tant Slayer, Anthrax et Sepultura que Minor Threat, Pennywise, Hatebreed ou Pantera, et ça s’entend). Une puissance de frappe quasi inégalée pendant tout le festival, et qui rappelle volontiers un concert démentiel de l’édition passée dans cette même Warzone, celui des géants de Suicidal Tendencies. Gageons que ce groupe, bien installé depuis 2009 et stakhanovistes de la scène, comptera très rapidement parmi les références mondiales des musiques extrêmes, et plus seulement dans la catégorie hardcore. À noter que le discours anticapitaliste, volontiers anarchistes mais aussi très anti-drogues du chanteur est lié à son adhésion au mouvement Straight Edge, dont il a une lecture radicale plutôt intéressante même si nous n’adhérons pas vraiment aux principes généraux d’une telle idéologie, souvent liée à un discours très puritain.

Le temps de commuter de la Warzone à la Valley et nous ratons le premier morceau du concert attendu des Parisiens-ou-presque de Jessica93. Leur venue au Hellfest fait partie de ces choix éditoriaux surprenants, mais en un sens assez logiques, tant leur musique, si elle doit plus à la noise et la cold wave qu’au stoner, s’approche pourtant par d’autres de ses aspects des sonorités et surtout des états psychiques provoqués par le sludge et les autres variétés du metal psychédélique, lent et sale. Mais contrairement à des groupes comme Crowbar ou Eyehategod, Jessica93 a une présence sur scène typiquement française et contemporaine, à la fois débonnaire, nonchalante et très portée sur la déconne. La formation en duo (après une tournée à 4 pour soutenir le dernier album, plus étoffé, « Guilty Species »), est un choix pertinent pour revenir aux essentiels très « bruts » du groupe. De la batterie, des loops, et une guitare ou une basse lugubre et sous accordée. Casquette vissée sur la tête et vannes qui fusent dans tous les sens, les deux musiciens délivrent un concert musicalement impeccable et fascinant, sans temps morts et sans ratés, beaucoup plus hypnotique et répétitif que leurs prestations sur la tournée en groupe, avec cette dose de mélancolie crasse caractéristique de leurs albums. Les punchlines des musiciens, qui répètent « bonsoir + un nom de lieu » au hasard ou remercient les autres groupes du festival d’avoir fait leur première partie, quand ils ne réclament pas que « le mec avec un drapeau breton qu’il y a toujours normalement » ne se montre, offrent un contrepoint humoristique bienvenu à un univers par ailleurs assez étouffant. Un pari osé, mais tenu.

On n’attendait pas les vétéranes L7 sur une scène du Hellfest, preuve est de l’ouverture du festival à toutes sortes de registres, ça commence pourtant sur de mauvais augures. Le son est d’emblée catastrophique, rien ne sonne. Il semble à ce stade du concert que Demetra Plakas a remplacé ses fûts de batterie par des poubelles et que la guitare de Suzi Gardner a été conçue par Fisher-Price. Par chance, cela ne dure pas longtemps et tous ces problèmes techniques sont très vites résolus, passé le premier morceau, les Angelines sont prêtes à tout casser. L7 est simplement fun et stupide à voir sur scène, n’hésitant pas à questionner la masse sur la qualité des toilettes aujourd’hui avant de balancer un « Everglade » bourrin d’efficacité. On nous explique un peu le pourquoi du comment de cette reformation avec « I Came Back To Bitch » qu’on peut traduire par « on en a gros ». Celles-ci sont méchamment énervées et en profitent pour pester contre Donald Trump. C’était inattendu, mais clairement, L7 a eu raison de revenir tant nous nous sommes fait rouler dessus. Ce concert était aussi l’occasion d’une épiphanie : c’est si rare de voir des femmes sur scène au Hellfest. Et pas des femmes en train de pousser la vocalise sur du metal sympho daubé (coucou Nightwish et Therion) ou jouer du violon qu’on n’entend même pas (coucou groupe de pagan lambda), non des femmes qui jouent de tous les instruments, chantent, et sont toujours aussi féroces et efficaces en 2018 qu’elles ne l’étaient en 1988. Reformé depuis 2014, le mythique groupe de punk et de grunge féministe qui préfigura au début des années 1990 la rafale riot grrrls encore à venir, écume les festivals à défaut de donner un successeur à son dernier album, « Slap-Happy » (1999). Performance honnête et énergique donc, qui revisite tout le catalogue du groupe, avec un accent placé sur le chef d’œuvre « Bricks are Heavy » (1992) et ses deux tubes « Monster » et surtout « Pretend We’re Dead » qui achève bien entendu le concert clissonnais. Sans être le concert du siècle, il y avait quelque chose de réjouissant et de bienfaisant à voir enfin des présences féminines sur scène assurer autant, et si le public ne semble pas trop connaître le répertoire des Américaines, celles-ci avaient quelques tours dans leur sac pour faire un peu chanter les foules qui se déridèrent enfin dans la deuxième partie du set.

On reste dans les parages pour le concert de Rise of the Northstar. Ils n’ont pas eu le temps de dire bonjour que les Français foncent directement dans le tas. On est globalement sur un espèce de crossover entre thrash/neo metal et hardcore dosé de beatdowns grassouillets. L’hyper-énergie combinée à l’iconographie japonisante ont raison de nous très vite. Le public lance pogo sur pogo, slam sur slam aux rythmes du mélange d’anglais et de français des textes belliqueux de Vithia, le groupe semblait être attendu tant la foule leur mange dans la main. La comparaison au Slipknot des débuts est évidente, les masques aident beaucoup, mais pas que. On retrouve une utilisation de samples bien connus (« Insane in the Brain » de Cypress Hill notamment) et un débit de voix très proche de Corey Taylor. La technique est irréprochable avec un son puissant et précis. Très bon.

Pendant ce temps en Valley jouait un groupe dont nous n’avions jamais entendu parler, mais que tout le monde nous tannait de voir, à juste titre. Les Grecs de 1000mods officient depuis 2006 dans une catégorie similaire à Black Rainbows, avec un peu plus de finesse et de variations, leur répertoire allant du blues enfumé au doom psychédélique avec une louche bien généreuse de fuzz 70’s par-dessus. Le concert, que nous voyons d’un peu loin, mais en bonne compagnie (on peut aussi faire de belles rencontres au Hellfest, croyez-le ou non), est une avalanche de riff virevoltants et virtuoses assez fascinante et qui ne semble pas s’essouffler. Un joli numéro d’équilibriste exécuté sans erreurs devant un public dense et bien ambiancé.

On rate malheureusement Turnstile, auteurs cette année d’un dévastateur disque de hardcore qui annonçait un concert dément pour se consacrer à nos chouchous Oranssi Pazuzu. À ce point de la journée et du festival notre corps crie pour une pause, une bière, de l’ombre et de l’herbe (pour s’y étendre ou pour la fumer), mais il nous faut tout concilier et s’installer, bière et pétard à la main, sur la pelouse ombragée (et abîmée) de la Temple pour se prendre un des concerts les plus assourdissants de tout le festival dans les tympans. Les Finlandais de Oranssi Pazuzu, petit événement en soi que de les voir ici après un prodigieux concert parisien il y a quelques mois en compagnie des Grenoblois d’Aluk Todolo qu’on verrait bien en Valley tiens, ont une toute petite heure pour nous donner un aperçu de ce qui rend leur musique aussi dingue et incroyable. Auréolés de la gloire récoltée avec leur dément dernier album « Värähtelijä », les Finlandais montent sur scène devant une foule compacte et nombreuse inhabituelle pour la Temple à cette heure de la journée. Et si leurs concerts en salle ont généralement lieu dans une obscurité quasi totale seulement percée de quelques flashes lumineux et de stroboscopes qui traduisent visuellement les vrombissements stridents de leur musique, ce concert en plein jour se fait sans artifices et le groupe compense en augmentant la puissance sonore de manière démesurée. Les guitares sonnent comme des avions de chasse au décollage puis prêts à franchir le mur du son suraigu qui nous explose les tympans en se fracassant en mille morceaux dans un double bang explosif. La musique est informe, inclassable, échappant à toute dénomination générique rationnelle. C’est du black, à l’origine, mais muté, déformé à travers un double prisme psychédélique et noise, qui rend l’affaire difficile à suivre et le concert probablement ardu pour les néophytes qui doivent se perdre dans des compositions vicieuses et tortueuses truffées de plans surprenants, de changements de direction inattendus, d’explosions de violence et d’accalmies attendues comme des bouffées d’air frais. Sous leur seul logo (un aigle avec le nom de groupe écrit d’une façon déformée pour donner les contours de l’oiseau), les musiciens progressent inexorablement, de plus en plus fort et de plus en plus précis, et balancent soudain l’énorme « Lahja » dont les rythmiques krautrock rampantes accompagnées de célesta et de carillons sont régulièrement contrecarrées par des digressions malsaines et putrides de guitares dissonantes. Un concert extrême dans tous les sens du terme, qui fait honneur à la singularité et la perversité de cette musique virtuose, protéiforme et dérangeante.

En plein cœur de la partie la plus expérimentale du festival, c’est en Valley qu’on retourne pour assister à un des autres petits événements de cette édition, avec la programmation de Ho99o9, phénoménal duo qui mélange hip-hop, horrorcore et metal indus dans un fracas assourdissant. Les deux membres du groupe, TheOGM et Eaddy, deux mecs blacks secs et musclés, dont l’un avec des dreads longs comme des fouets, vont arpenter la scène pendant une heure dans la pénombre, balancer aux machines des beats stridents et assourdissants mélangeant riffs thrash compressés, sonorités indus et punk hardcore, le tout en haranguant copieusement la foule et en s’appropriant cet espace d’une façon qui force le respect. Durant une heure, à eux deux, ils vont faire s’éteindre le monde alentour et river tous les regards sur leur performance hallucinante et hors du commun, d’une violence et d’une rage inouïes qui passe par le corps, les muscles, les expressions faciales, la gestuelle et les sauts, le flow, la salive, les cris.  Là, c’est la claque. À entendre la rumeur parmi le public pendant le concert et surtout après, Ho99o9 a corrigé toutes les personnes présentes sous la Valley à cette heure-ci, ce jour-ci. La musique avait débuté depuis une seconde à peine que nous voyions déjà l’un des chanteurs foncer tête la première dans la fosse. Le duo joue une bonne partie de son dernier album en date « United States Of Horror » en commençant par un « Street Power » rappelant le classique « Pigs » de Nine Inch Nails. On passe d’un hip-hop sursaturé à du punk industriel tout à fait énervé, le tout ponctué par le « My Way » de Sinatra sous influence trap, c’est la grosse décadence autant sur scène que dans le public. Pour conclure sur un ordre-résumé posé par le groupe à la direction du peuple « Time to show me how bad you’re fucked up », une sincérité à toute épreuve. Ho99o9 est une des claques du samedi et du week-end à coup sûr. Vivement qu’un nouveau disque débarque. On en sort lessivé, abasourdi, un peu sourd et complètement excité.

Une vraie expérience de scène galvanisante qui annonce celles à suivre de Dälek sous la même tente un peu plus tard, mais surtout de Body Count en fin d’après-midi sur la Main Stage, tout en ayant quelque chose de plus : plus moderne, plus violent, plus cathartique. Aux antipodes de Ho99o9, mais tout aussi surprenant et expérimental dans son genre, les Danois de Heilung prennent peu à peu place dans la Temple à la suite d’un long rituel fascinant qui capte immédiatement l’attention de toute personne passant à proximité. Flambeaux, tambours et peaux tendues, fourrures, ossements, on est en plein dans une esthétique médiévale viking, un peu comme l’an dernier avec Wardruna, mais en encore plus stupéfiant. Immédiatement, on se pose sur la pelouse pour regarder ce qui se passe sur scène via l’écran géant, et le voyage démarre, décollage immédiat. Difficile de dire, de décrire ce qui s’est vraiment passé pendant cette heure en transe, bercés par les chants en chœur, les instruments inhabituels et traditionnels, l’ambiance sauvage, païenne, sacrée et mystique qui se dégage de cette musique faite de motifs répétés aux percussions, de quelques cordes et vents rudimentaires, et de chants traditionnels polyphoniques. Planant, psychédélique, primitif, les adjectifs sont nombreux, mais ne rendront jamais l’intensité et la subtilité de cette expérience sonore et visuelle, sans doute une des plus marquantes de cette édition. On ne saurait que trop vous recommander d’écouter le dernier live du groupe ou d’aller les voir s’ils passent à proximité, vous ne le regretterez pas. Contrairement à Jonathan Davis dont on se serait passé aussi bien d’un album (qui divise jusqu’au sein de la rédaction) que du live foireux sur la Mainstage 1. Petites annonces : On échange Jonathan Davis contre un deuxième concert Ho99o9 ou de Heilung.

Retour en Valley pour aller voir les pères du hip-hop expérimental et industriel, le groupe culte que même ceux qui méprisent le rap et le hip-hop apprécient généralement, groupe qui par ailleurs jouit d’une excellente réputation sur scène : Dälek. Malheureusement, difficile de savoir où exactement se trouve le problème, mais il y en a un, et le concert ne satisfait pas vraiment ses promesses. Le son n’est pas terrible, les musiciens et chanteurs n’ont pas l’air d’être très investis dans ce qu’ils font, la sauce ne prend jamais vraiment, les morceaux ne décollent pas… À mi-parcours on jette l’éponge et on va faire une sieste bien méritée – et bien accompagnée – au camping. Peut-être était-ce la fatigue, l’humeur, le fait que Dälek jouait après trois des meilleurs concerts du festival et la meilleure matinée de cette édition, ou le fait que la performance de Ho99o9 dans un registre relativement similaire paraissait insurpassable, mais les Américains peinent à convaincre, et signe qui ne trompe pas, Ice T, qui était sur le bord de la scène pour Ho99o9, a disparu dans les tréfonds des backstages. Un jour sans pour Dälek.

Fatigue oblige, on revient un peu plus tard que prévu et en ayant raté les concerts qui s’annonçaient intéressants d’Arkona (pagan metal avec une chanteuse bien hargneuse) et de Terror (un des groupes les plus influents de la scène hardcore), et on chope un bout du concert d’Orange Goblin, véritables vétérans de la scène stoner qui envoient tout valser à grands coups de riffs cosmiques et avec l’assurance et la maîtrise des anciens. Ici pas de chichis et de fioritures, on balance du gros son, du gros fuzz, et tout le monde s’éclate dans les étoiles dans un tourbillon de poils, de muscles, de tatouages et de bière.

On revient ensuite vers les Main Stage pour voir d’autres légendes, à savoir Body Count, emmenés par Ice T qui aurait tendance à nous faire oublier qu’avant de jouer dans des séries diffusées en France sur TF1, il avait quand même un des groupes les plus virulents et les plus subversifs des États-Unis, mélangeant l’efficacité bourrin du crossover thrash à la virulence des textes du gangsta rap. Le concert, qui profite de la lumière rougeoyante du crépuscule, est contre toute attente aussi vindicatif que familial, le groupe déroulant ses plus gros succès (« Body Count », « Necessary Evil ») entre deux apparitions sur scène de la fille d’Ice T puis de sa petite-fille, un adorable petit bout de chou bougon qui fera le plus beau mic drop de tout le festival. Tout ceci s’achève pourtant dans la hargne avec un titre terrible et redoutable, « Cop Killer », à l’époque censuré sur les ondes aux USA, plus que jamais d’actualité pourtant, et que le groupe a l’audace et la classe de jouer encore aujourd’hui avec toute sa violence, comme un immense « fuck you » adressé à Trump, son administration et son état policier (qui décidément semble unir contre lui tous les artistes de son pays ou presque).

Profitant de la petite marée humaine qui quitte la Main Stage à la fin de Body Count, on avance pour se placer remarquablement bien pour le concert de Deftones, groupe culte du metal alternatif des années 90-2000, pas si fréquent en tournée en France. Chino Moreno, le chanteur, est bien là, lui qui connaît depuis quelques années des hauts et des bas physiquement qui peuvent altérer ses performances voire sa présence sur scène. Le groupe livre une prestation honnête, Chino Morino en a encore beaucoup sous le pied et parvient encore à balancer des notes impossibles, mais l’ambiance sur scène laisse perplexe. Soucis techniques ? Mauvaise entente ? On n’en saura pas beaucoup plus, mais il est dur de se sentir en pleine immersion pendant ce concert avec ces longs blancs d’attente avec trop peu de communication. C’est d’autant plus étrange que les Deftones donnent beaucoup lorsque qu’il jouent leurs morceaux, il y a une générosité dans ces moments qui est assez difficilement contestable. Le groupe n’oublie pas de jouer une bonne partie de ses classiques tout en laissant une place aux productions plus récentes. On a passé un bon moment, mais cela aurait pu être tellement mieux sans ces flottements et ce son de façade (un des moins bons du festival).

Pendant ce temps en Valley, ceux d’entre nous qui avons fui Deftones après « Around the Fur » assistent à ce qui est sans doute le point culminant des surprises de cette journée du samedi, Dead Cross, un supergroupe de mastodontes du metal, qui se pointe en Valley devant une foule amoindrie par les concerts simultanés de Deftones, de Children of Bodom et de Limp Bizkit. Pourtant, l’occasion de voir sur scène Dave Lombardo ET Mike Patton aurait dû justifier la foule des grands jours, et le concert de ce quatuor complété par Michael Crain et Justin Pearson était l’une des choses les plus fun et les plus bordéliques de cette 13e édition. Le groupe n’existe que depuis 2015, n’a sorti qu’un album et un EP et poursuit actuellement sa seule tournée à ce jour, autant dire qu’on était pas à l’abri d’une surprise côté répertoire, surtout lorsque l’on avait eu vent de quelques échos du concert au Primavera, un peu plus tôt dans l’année. Au programme donc, un son puissant et bordélique qui rend difficile d’identifier les morceaux, et un public qui guette les covers au milieu des compos originales (honnêtes, mais que personne ne connaît et qui sont surtout complètement bordéliques). Une version très cheloue du « Dirt » des Stooges – déjà bien chelou de base – une reprise attendue du « Bela Lugosi’s Dead » de Bauhaus, un gamin de 10 ans qui monte sur scène et qui se fait gentiment charrier par Mike Patton parce qu’il ne parle pas anglais… En termes de bizarrerie et d’incongruité, il faut remonter à Jane’s Addiction ou à Primus pour avoir un semblant d’équivalent dans la Valley au Hellfest. Le rappel défie encore plus l’entendement, le groupe commençant par une reprise de « Nazi Punks Fuck Off » des Dead Kennedys (jouée la veille par Napalm Death) puis jouant le tout début de Raining Blood pour faire s’exciter les fans de Slayer (Dave Lombardo en a été le batteur historique) avant de conclure sur une version expédiée de « Epic », un vieux tube de Faith No More (le groupe principal de Patton). Un concert régressif et chaotique, mais très plaisant au final.

Attention, une guerre est imminente au sein de la rédaction passionnée d’indiemusic. Le concert de Limp Bizkit a clairement divisé l’équipe tous risques. C’est pourquoi nous allons diviser en deux notre critique de ce concert particulier.

Maxime Dobosz est POUR :

« C’était une énorme fête de la saucisse jubilatoire. Je n’aurais jamais cru pouvoir dire un jour « un concert de Limp Bizkit peut être génial », oh non. Il est dur de partir de ce postulat tant la discographie mixe une faible part de tubes d’adolescence nostalgique face à une majorité de chansons allant du plus médiocre au passable, dans tous les cas dispensables. Pour autant, j’ai adoré ce concert qui fût débile à un point difficilement imaginable. Quand j’utilise l’image raffinée de la fête à la saucisse, il n’y a pas d’exagération, on pourrait peaufiner le propos en comparant ce concert à une fête de la musique se déroulant à deux pas d’une préfecture. Le groupe joue un tiers de son set de ses tubes multigénérationnels (gardons un peu d’objectivité), et deux tiers de reprises plus ou moins bâclées. On ne saurait trop dire s’il s’agissait d’une véritable blague d’improvisation ou si tout était calculé, j’aurais tendance à répondre « un peu des deux ». On entend du Nirvana, du Rage Against The Machine ou encore Pantera (hommage appuyé à Vinnie Paul), le tout chanté un peu partout sur l’immense scène, Wes Borland passant une partie du concert à jouer laborieusement ces reprises depuis les bras du public. J’ai trouvé ce set tout simplement débile, mais d’une générosité qu’on ne pouvait pas prévoir. Je m’attendais à aller voir Limp Bizkit et me foutre de leur gueule, je n’en attendais pas tant. Pourtant, je pense avoir adoré cette heure avec eux. OK, c’est peut-être leur légendaire reprise de George Michael qui m’a eu à l’usure. Allez savoir. »

Maxime Antoine est CONTRE :

« J’ai assisté de loin à une vingtaine de minutes de ce truc qui m’a fait plus pitié qu’autre chose. On aurait dit un groupe amateur à la fête de la musique, qui ne joue pas ou presque pas de compos et qui préfère jouer des reprises ou des extraits de morceaux connus. Tout y passe : Pantera (décès de Vinnie Paul, le batteur du groupe, annoncé en début de journée), RATM, Metallica, Slayer… C’est très nul et interminable, je n’ai jamais vu une tête d’affiche de festival de cette importance se permettre une pitrerie pareille. Je me mets une seconde à la place des gens qui aiment ce groupe en studio (ce n’est pas mon cas), et qui se retrouvent avec pour une heure quinze de concert, moins de la moitié des morceaux joués étant des compositions originales. Lamentable, et le chanteur avait l’air d’un ado attardé qui serait tombé dans un pochon de MDMA. On a même eu droit à une horrible reprise de George Michael… »

Retour à un compte-rendu normal en bonne et due forme pour les deux derniers concerts de la soirée, tout d’abord Avenged Sevenfold, sur la Main Stage. Facile pour les géants du heavy metal américain moderne de passer après cette débâcle que fut le concert de Limp Bizkit (à ces mots vous devinez qui a repris les rênes de ce live-report), et ce malgré les soucis de santé du chanteur M. Shadows (qui a depuis interrompu la tournée, incapable de continuer). Qu’on aime ou pas Avenged Sevenfold d’un point de vue stylistique, force est d’avouer que les mecs sont de sacrés musiciens, et après une entrée sur le « Walk » de Pantera, joué en entier et à fond sur toutes les enceintes de la plaine principale en hommage à Vinnie Paul, le groupe enchaîne avec « The Stage », l’impressionnant single de leur dernier album éponyme dont le clip est une merveille, puis « Afterlife » et surtout « Hail to the King », un de leurs morceaux phares qu’ils dédient encore au regretté batteur de Pantera, ce qui paraît logique quand on sait que cet album était leur premier enregistré sans aucune contribution du batteur The Rev, également décédé (en 2009). Après ce morceau, nous partons pour la Valley, mais la setlist du concert montre que le groupe a joué encore quelques pépites, dont « Bat Country » ou « Nightmare », chanté en partie par un membre du public monté sur scène à la demande de M. Shadows, alors en souffrance vocale, et qui n’était donc plus que l’ombre de lui-même (il fallait que nous fassions cette vanne).

Dernier concert de la journée pour nous avec les géants incontestés de la scène post-hardcore et sludge atmosphérique Neurosis. Plus de 6 ans après les avoir aperçus de loin en fin de concert au Primavera, c’était un rêve d’adolescent qui se réalisait ce soir de voir dans un contexte pareil ce groupe si important. L’heure passée en leur compagnie restera à jamais gravée dans nos mémoires, le groupe jouant dans la pénombre sous des projections semi-abstraites déprimantes de nature hivernale et dépeuplée de toute présence humaine. Les riffs puissants et aériens du groupe nous saisissent aux tripes comme des lames de fonds, les voix hurlées et le rythme lent des morceaux tirent nos têtes vers le sol et le groupe de Scott Kelly (un grand joyeux dont la discographie solo est merveilleuse également) nous emmène avec lui au gré de ces quelques crescendo surpuissants et irrésistibles, traversés d’accalmies, de respirations atmosphériques ou acoustiques, et qui se terminent bien souvent sur des sommets d’intensité et de violence contenue, mais soudain libérée. La fin du concert, avec l’enchaînement « Burn », « Reach » et « Through Silver in Blood », nous cloue sur place avec des frissons et des larmes dans les yeux. Passé ce choc émotionnel, difficile de trouver l’énergie ou la motivation pour un dernier concert (au choix, cela aurait été le black metal grand guignol de Dimmu Borgir ou le hardcore racé de Hatebreed) et nous préférons rentrer au camping, des étoiles noires plein la tête, l’esprit vaguement déprimé, mais le cœur encore serré par l’émotion. Une merveilleuse façon de finir une des journées les plus intenses et les plus qualitatives de toutes les éditions auxquelles nous ayons participé, tristement endeuillée par le décès de Vinnie Paul, à qui nous dédions cet article.


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Maxime Dobosz

chroniqueur attaché aux expériences sensorielles inédites procurées par la musique