[Interview] The Limiñanas

De retour avec « Shadow People », nous avons profité de la venue des Perpignanais de The Limiñanas à Stereolux pour explorer, en compagnie du guitariste et cofondateur du groupe Lionel Liminana, l’univers central de leur cinquième album ou l’aventure d’un lycéen découvrant le rock au début des 80’s. Il est également question de collaboration avec les légendes Anton Newcombe et Peter Hook et du succès tardif du projet. Entretien avec le leader barbu de la formation rock psychédélique française la plus en vogue du moment.

  • Plus que les albums précédents, « Shadow People » est enregistré avec la participation de plusieurs artistes (Emmanuelle Seigner, Anton Newcombe, Bertrand Belin et Peter Hook). Comment se sont faites ces rencontres ?

Elles se sont faites naturellement. Les gens qui participent au disque sont là juste, soit parce qu’on a travaillé avec eux, soit on les a rencontrés durent l’année qui a précédé l’enregistrement du disque. L’idée n’était pas d’avoir une compilation de featuring. C’était simplement parce qu’on a rencontré Bertrand Belin en tournée en Australie. On est devenu ami et on a trouvé son travail formidable. Emmanuelle Seigner, elle est venue à la maison pour nous proposer une collaboration. Comme elle était là et qu’on a un studio, on a enregistré « Shadow People » en un après-midi. Pascal Comelade, lui il fait toutes les bases de piano. On travaille avec lui depuis longtemps. Il intervient sur tous nos disques depuis un certain nombre d’années. Après qui encore… ? Il y a Renaud Picard qui est l’un des chanteurs qui nous accompagne sur scène. Il y a Peter Hook dont on est fan depuis tout gamin et qu’on a recontacté. Il avait participé à « Garden of Love » (le disque précédent). En fait, depuis le début, on a toujours invité des gens à intervenir sur les disques, sauf que là ils sont peut-être plus connus.

  • Cet album partagé est-il pour autant tout aussi personnel ou vraiment le résultat d’une collaboration jusque dans sa construction ?

En fait, oui ! La plupart du temps, on commence à travailler en autarcie chez nous à Cabestany. On y a une petite maison avec un studio. Quand on est arrivé en studio avec Anton, on avait maquetté 90% du disque. On savait où on allait. On était en cours d’écriture des textes, etc., mais on avait déjà pensé l’album dans son ensemble. C’est par hasard qu’on est allé le finir chez Anton. Donc effectivement, que ce soit les interventions d’Anton Newcombe ou celles des gens qui ont participé à l’album, on a très rarement joué dans la même pièce. Avec Bertrand, par exemple, on lui a envoyé la musique et il a écrit le texte de « Dimanche ». Ensuite, il l’a enregistré dans son petit home studio. Il nous l’a envoyé. Tout s’est passé comme ça. En fait, pour te répondre, on ne s’est jamais enfermé avec deux guitares folks et les gens qui sont intervenus dessus.

  • Peter Hook, bassiste de New Order, est présent sur vos deux derniers albums. Sera-t-il également présent sur le prochain ?

Je vais tout faire pour ! Je pense que si on peut avoir Peter Hook jusqu’à la fin de nos jours… J’espère juste qu’il sera OK pour continuer de faire des trucs avec nous. J’adore son travail, je l’adore en tant qu’écrivain. J’adore ses livres. Pour moi, c’est vraiment un héros comme peut l’être aussi par exemple Keith Richard. Je les mets dans le même panier. On est hyper fier qu’il ait accepté de faire des chansons avec nous.

  • Maintenant que vous avez signé chez Because Music et après avoir signé trois albums chez les Américains Trouble in Mind et Hozac, quelles expériences en ressortez-vous ? Quelles différences avez-vous pu observer dans le traitement médiatique entre nos deux pays et dans la manière des labels de soutenir les artistes sur leur territoire ?

Pour Trouble in Mind et Hozac, c’était hyper compliqué aux États-Unis, car on n’y était pas. On a juste fait une tournée américaine de quelques dates pour notre premier album. Mais le circuit avec lequel travaille Trouble in Mind ou Hozac, c’est un circuit indépendant américain. Il est lié au garage punk, au punk et au hardcore. Ils ont fait leur maximum pour qu’on ait nos entrées dans les radios américaines et dans la presse.  Ils nous ont branchés avec des agents en Angleterre. Ils nous ont chopé le générique et un titre dans Gossip Girls, ce qui a vachement élargi notre audience à une époque. Ils ont fait tout ce boulot-là pour nous. Ensuite, on est allé signer chez Because… En gros, Because travaille plus comme une vraie maison de disque européenne. C’est-à-dire qu’à partir du moment où tu signes chez eux, ils essayent de rendre tes disques disponibles. Ils essayent de rendre le groupe visible. Au final, on a vraiment eu accès aux petits, moyens et grands médias. On a une attachée de presse qui s’appelle Karine et qui travaille chez Because. Elle nous chope des interviews dans à peu près toute la presse écrite possible et imaginable. Ils n’ont jamais arrêté de bosser pour nous tout en nous laissant une liberté artistique totale. C’est un confort incroyable. À aucun moment du process d’enregistrement du disque, ils n’ont voulu nous imposer quoi que ce soit. Que ce soit aux États-Unis ou avec Because, en France, on a pu faire les disques qu’on voulait. Après, c’est une histoire de moyen. Because a bien plus les moyens pour travailler sur la promo d’un groupe et le lancement d’un disque, c’est évident.

  • Sur cet album, vous vous êtes mis plus en danger en enregistrant une partie dans un cadre autre que votre home studio habituel en suivant Anton dans son studio berlinois. Qu’en avez-vous retiré ?

On en a retiré des tas de trucs. Ce qui était rigolo, c’est qu’on n’a pas été surpris par sa manière de travailler la prise de son. Il travaille avec une ingénieure du son anglaise, Andrea Wright, qui vient de Liverpool et qui a bossé avec plein de groupes connus allant de la pop au metal. La prise de son ? Ils la bossent comme nous. Ils enregistrent vite et gardent la plupart du temps les premières prises. Ils n’ont pas peur de tous ces petits incidents que l’on peut rencontrer. Du moment que c’est intéressant et que ça sonne. Au final, on n’avait aucun problème et on était déjà OK là-dessus. Ça n’a pas chamboulé nos habitudes. Après, ce qui était vraiment super, c’était d’avoir Anton sur le disque. Il s’est impliqué aussi bien dans la production que dans l’enregistrement : il a fait les guitares et des voix. C’est vraiment un musicien généreux, altruiste et exceptionnel. C’était vraiment un privilège de travailler avec lui. Ça nous a confortés dans l’idée d’enregistrer vite et produire des disques rapidement, sans chichi.

  • Vous avez longtemps conjugué votre vie de musicien avec une vie professionnelle plus classique ; votre succès en France restant jusqu’ici assez confidentiel. Était-ce laborieux ? Avez-vous songé à abandonner la musique à un moment donné ?

Non, jamais ! Moi j’ai 45 ans, et on a commencé, moi ou Marie, à jouer dans des groupes à 15-16 ans. Le plus sincèrement du monde, à aucun moment, on a fait ça pour gagner notre vie. Là, c’est le cas aujourd’hui… mais on ne s’est jamais senti frustré ou dans un échec. Ce qui était emmerdant auparavant, dans le processus classique de groupe, c’est qu’on avait un peu marre de toujours splitter. On en avait marre que les groupes s’arrêtent pour des raisons habituelles de split de groupe. Ça, ça a généré en nous de la frustration. Mais à aucun moment, on s’est senti désespéré parce que l’on ne gagnait pas d’argent. Ce n’était pas le but. Ça ne l’est toujours pas d’ailleurs. Mais là, avec les Limiñanas, on est en tournée. On rentre dans un système qui est plus économique. On a besoin de faire les choses de manière carrée. Au final, globalement, on n’a pas changé le fusil d’épaule. On continue de faire ça pour la musique. C’est notre première passion.

  • Quelle est la rencontre qui vous a le plus fait évoluer musicalement ? Et pourquoi ?

C’est Pascal Comelade, pour des tas de raisons… Pour la prise de son, dont on a parlé tout à l’heure. Lui aussi quand il travaille, il travaille vite. Il nous a appris à effacer des choses pour en mettre d’autres en valeur et à travailler sur des arrangements, etc. On a appris beaucoup. En fait Pascal, comme Anton, c’est quelqu’un qui nous a toujours aidés. Qui, personnellement, m’a appris des tas et des tas de choses. Si on a monté les Limiñanas sur cette forme-là, c’est-à-dire un groupe qui enregistre et qui maîtrise de A à Z la production du disque, c’était en copiant la technique de travail de Pascal. Moi j’avais toujours joué avant sur des groupes plus classiques. C’est-à-dire cinq personnes qui répètent dans une pièce, vont en studio et sortent un disque avec un process démocratique. Ce n’est pas le cas avec les Limiñanas. On fait tout à deux.

  • Comment vous êtes-vous mis à la musique ? Est-ce pendant cette période dorée de l’adolescence dont parle votre dernier album ?

Moi je viens d’une famille, et d’une maison, où il y avait des tas de disques et toujours une guitare qui traînait. Mon père était musicien. Donc j’ai commencé à gratter sur une guitare tout gamin. Ensuite, comme des tas de gens, je me suis aperçu que tu pouvais reprendre un titre de Dutronc avec seulement trois accords. Dès la fin du collège, dès que j’ai pu croiser les bonnes personnes, on a commencé à bidouiller des groupes. C’était d’abord avec deux poêles et une casserole. Mais très vite, dès qu’on a pu, ça a été avec des petits amplis. On trouvait des greniers où squatter pour travailler. En gros, mon premier concert, ça devait être à 15ans et demi, un truc comme ça. Ce fut catastrophique, parce que c’était le premier concert en public.

  • Il y a une chanson qui est particulièrement touchante dans cet album, « Dimanche », porté par la voix douce et suave de Bertrand Belin qui nous compte un amour de jeunesse avec une certaine Vi plutôt bipolaire. Je ne sais pas si tu vas pouvoir y répondre, vu que c’est Bertrand qui a écrit ces paroles, mais est-ce inspiré d’une personne ayant réellement existé ?

Alors c’est difficile de répondre à sa place, mais d’après mes informations… oui. Il faut vraiment que tu demandes à Bertrand. Il se fera un plaisir de te répondre. Je crois que c’est du vécu… ouais.

  • Vous avez toujours travaillé pour vos propres albums. Aimeriez-vous composer pour un autre artiste ? Si oui, avec qui ?

Alors là, on a un projet avec Emmanuelle Seigner qui est plus qu’avancé. On lui a composé et enregistré des chansons. Sinon oui… ça et les bandes originales, j’aimerais faire. Là, je suis en train d’en finir une pour un petit film indépendant anglais. Un film de gangsters à petit budget. C’est un projet d’un copain à nous. On a fait la BO en même temps que « Shadow People ». Je suis en train de finir de la mixer. Au final, écrire des chansons pour les autres ça m’intéresse, bien sûr !

  • Vous avez fondé The Limiñanas en 2009 en mettant en ligne deux titres (« I’m dead » et « Migas 2000 ») sur MySpace sans rien en attendre, sauf que le lendemain vous aviez deux labels américains qui souhaitaient vous signer. MySpace étant aujourd’hui complètement déserté par les groupes, sur quel réseau social penseriez-vous poster ces morceaux si la situation se produisait maintenant ?

Aujourd’hui ? Moi, les réseaux sociaux j’en suis un peu revenu, car c’est vraiment beaucoup trop chronophage. J’ai un peu lâché l’affaire, mais je pense que si j’étais un gamin qui fait un morceau chez lui, et qui voudrait le faire entendre : je le mettrai sur YouTube et je le partagerai sur Facebook. C’est la base.

  • Votre musique a une sonorité très Enio Moriconienne. Vous verriez-vous enregistrer ou juste faire une série de concerts, accompagné d’un orchestre classique ?

Je serai bien incapable de fournir les éléments nécessaires aux arrangements d’un concert classique. Après… j’imagine que pour certains titres – attention je dis ça sans prétention, car je serais bien incapable de le faire – mais dans l’esprit, en doublant des choses et en faisant des arrangements de corde grandiloquents. Ça me ferait bien marrer. Mais je ne serai pas capable de gérer ça.

  • Pour finir, une question que j’affectionne beaucoup. Vous qui êtes de grands connaisseurs de rock garage, quel album du moment nous conseilleriez-vous ? Peut-être également un « classic » à nous intimer d’écouter aussi ?

Alors dans les groupes garage actuels en France, il y a J.C Sàtan. On a aussi joué l’an dernier dans un festival avec un groupe américain qui s’appelle The Mystery Lights. Sinon, dans les classiques des années 60, en garage punk, je pense qu’il faudrait commencer par n’importe quel single des Sonics.


Retrouvez The Limiñanas sur :
Site officielFacebookTwitter

Photo of author

Nicolas Halby

Parce que notoriété ne rime pas forcément avec qualité. J'aime particulièrement découvrir l'humain derrière la musique.