[LP] Erasure – World Beyond

En donnant au formidable « World Be Gone » une lecture beaucoup plus intimiste et intense, Erasure signe un opus dont la portée humaine et militante se retrouve transcendée et largement dépassée. Le résultat est d’une dramaturgie et d’un réalisme saisissants, prouvant qu’Andy Bell et Vince Clarke savent, plus que jamais, porter sur les époques qu’ils traversent un regard sincère et vrai.

On savait qu’Erasure avait souhaité, grâce à « World Be Gone », affirmer une vision politique et sociale que les textes du disque conservaient en filigrane, sachant pertinemment que la parole qui leur était ainsi offerte serait certainement perçue selon les sensibilités de chacun. Cela étant, l’opus révélait également une envie urgente d’explorer de nouveaux horizons, de faire du son du duo un langage, un discours universel et pertinent. Ce monde que l’on voyait nous échapper, ces abandons, ces peuples égarés étaient alors évoqués avec ampleur, effaçant les frontières pour unir celles et ceux qui, sans lui, n’auraient aucune raison d’exister. Mais qu’en était-il de l’individu, de ses tourments intérieurs et de ses sensations ? Avec l’aide des musiciens bruxellois d’Echo Collective, Andy Bell et Vince Clarke ont réussi, grâce à « World Beyond », à s’immerger dans la psyché des êtres dont ils étaient devenus les porte-parole. Et sont allés encore plus loin dans l’admiration et la fascination qu’ils suscitent.

La pop si intense d’Erasure s’enferme dans un lieu clos, débranchant synthés et boîtes à rythmes et laissant cordes, claviers et percussions évoquer leurs textes avec une précision et une sensibilité étonnantes et sublimes. « Oh What A World » revêt une dimension épique et magique, lorsque Andy Bell converse avec les violons et le piano, au cœur d’un dialogue dépassant les limites imposées par la musique populaire. Une prise de risque parfaitement calculée, qui s’exprime avec une intention forte dans la sobriété de « World Be Gone » et « Take Me Out Of Myself », toutes deux arrangées et réécrites avec respect et magnificence. L’impression d’être devant les artistes est subtile et inévitable, lorsque « Love You To The Sky » étire ses mélodies sensitives dans un duvet harmonique confortable ou au moment où, sur « Lousy Sum Of Nothing », Andy plonge dans des tonalités graves répondant à la chanson originelle selon un reflet pur et mémorable. Ultime flamme nocturne guidant nos pas, « Just A Little Love » caresse et déborde d’espoir, quand ses dernières mesures font écho au silence.

« World Beyond » est une fin en soi ; celle d’un cycle musical long de trente ans, de même qu’une synthèse de son époque et de ses tumultes quotidiens. Allant bien plus loin que ses homologues, Erasure prouve, s’il en était besoin, son ouverture d’esprit et sa lucidité face à une planète dont l’issue paraît fatale mais qui, l’espace d’un album, semble enfin en mode « pause ». La plus belle façon de se réapproprier ce qui, au quotidien, nous échappe ; par l’art, beau et bouleversant.

crédit : Doron Gild Photography

« World Beyond » d’Erasure est disponible depuis le 9 mars 2018 chez Mute.


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Raphaël Duprez

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