Petite merveille de rock instrumental s’amusant à fouiller dans les moindres recoins de la composition, le nouvel album de Aul s’écoute autant qu’il se respecte, avec passion et dignité.
Que reste-t-il du rock instrumental, de nos jours ? Souvent baptisé, à tort, post-rock, celui-ci est en train de devenir l’ombre de lui-même, ne laissant aucune place à l’imagination ou à l’originalité. On est bien loin des grandes heures du progressif et du krautrock, quand tout était permis ; surtout les mélanges. Un esprit que l’on a tendance à perdre et qui demeure dans l’obscurité, effacé de la surface de la carte musicale par de trop nombreux projets ressassant les mêmes intentions. De ce fait, lorsque l’on a la chance, voire l’honneur, de se retrouver face à un disque qui sort de l’ordinaire et impose une identité propre et fabuleuse, on reste forcément en admiration ; ce qui se produit avec « UTO », nouvel opus du trio suisse Aul. Piochant autant dans le jazz que dans des ambiances à la fois chaudes et savantes, l’album est un véritable délice pour les oreilles de toutes celles et tous ceux qui demeurent, au quotidien, en quête d’une aventure harmonique hors du commun.
De précipitations free jazz (« Hotzen ») à des atmosphères naturelles et éthérées (« Neverending »), Aul nous invite à embarquer à bord d’un navire fantôme et à la dérive, dont les trois capitaines parviennent cependant à maintenir le cap, contre vents et marées. Dans la difficulté grandissante de s’affirmer comme une entité homogène et prête à toutes les tentatives, Martina Berther, Roland Wäspe et Mario Hänni semblent nous raconter une histoire, que celle-ci se focalise sur des pulsations ethniques et intemporelles (« Trieulen ») ou des nappes entre phosphorescence et saturation (« Umu »). Ne sombrant à aucun moment dans de quelconques expérimentations hermétiques, « UTO » se déroule sans accroc, porté par l’intelligence et l’originalité de ses créateurs, l’ensemble ayant l’unique pouvoir de réconforter aussi bien les puristes d’un rock cérébral et audacieux (« Krauz ») que les auditeurs désireux d’étendre leurs sensations fortes au cœur d’un art sans étiquette possible (« Space Jazz »). Une solitude auditive que l’on souhaite, avant tout, partager avec le plus grand nombre.
Ne restant jamais en place et côtoyant les sommets de la performance et de la liberté structurelle, « UTO » fait d’ores et déjà partie de ces phénomènes qui, l’air de rien, laissent une empreinte indélébile dans nos esprits et s’impose comme une œuvre vers laquelle on ressent le besoin viscéral de se tourner lorsque la lassitude nous guette. Un pièce maîtresse et incomparable.
« UTO » de Aul est disponible depuis le 26 octobre 2017 chez Red Brick Chapel.
