À la découverte de « Sailors », premier extrait de l’album éponyme de Delisle sorti le 5 octobre dernier, on est en droit d’affirmer que le folk n’est pas qu’une affaire de guitare et de voix, mais bel et bien un univers à géométrie variable, prêt à accueillir autant d’échos que de chœurs et d’images formant un microcosme particulier, intime et sauvage. Une maîtrise parfaite du cadre musical et visuel, comme on aime en retrouver parfois, lorsque la nuit tombe et que la lumière se fait désespérément attendre.
Lorsque l’on entend résonner les premiers arpèges de « Sailors », introduits à l’image par un bateau de papier aussi parfait que fragile, on comprend d’ores et déjà que le voyage ne sera pas anodin. On se prend à vouloir oublier le grand large, l’appel de la solitude du marin, pour aborder l’évocation de l’univers liquide comme une émotion transmissible entre les individus ; un fluide invisible mais pourtant omniprésent, qui rapproche, demeure suggéré au détour d’une herbe ou d’une étole séchant au soleil. La chanson devient conte, histoire d’une promenade pour rejoindre l’autre, autant que d’une séduction que, seuls, les courants émotionnels pourront porter.
La blancheur éblouissante, la pureté, s’oppose à la marche, inexorable et volontaire. Des causes, on ne saura rien, et celles-ci n’ont finalement pas d’importance. Mais la réalisation brumeuse et poétique d’Anne-Laure Etienne marque chaque scène d’une empreinte humaine prédominante, bois et rivages devenant le décor d’une évolution mortelle et vivante. Bercés par les éléments, les voiles impriment les corps, leur offrent un tissage précis et vibrant, dessinant des formes entre attirance et beauté. On bascule alors dans un songe, tandis que les accords se font plus présents et que la voix s’affirme, narre et perce les brouillards laiteux de l’écran. Et ce qui semblait être un départ s’avère finalement une renaissance, une vague racontée à travers les chapitres d’un ouvrage métamorphosé en guirlande d’embarcations des mots, des sensations et des idées. Le bateau-livre largue les amarres et attire le lecteur tandis que, en parallèle, la chanson, à plusieurs voix, évoque ces bribes de pages ouvertes à l’interprétation. La magie existe dans l’art, qu’il soit cinématographique, harmonique ou littéraire ; « Sailors » unit toutes ces sources de plaisir et d’apprentissage et confronte l’enfant à l’adulte qu’il deviendra tant que la culture le portera, toutes voiles dehors.
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