[LP] Roger Waters – Is This The Life We Really Want?

Sans jamais renier son songwriting si particulier et ayant marqué l’ère Pink Floyd (du moins, sa seconde moitié) et ses œuvres en solo, Roger Waters revient avec un disque en forme de bilan artistique et revendicatif. Comme si l’homme avait attendu de trouver les meilleures possibilités pour libérer, une fois encore, la bête frustrée et colérique qui l’habite depuis si longtemps, en gravant dans nos chairs un disque à la fois rassurant et surprenant, du fait de choix artistiques inhabituels.

Que faut-il attendre de Roger Waters en 2017 ? Tout a été dit durant les trois décennies passées, des ruptures aux relectures et tournées épuisantes destinées révéler sa version grandiloquente (certains diront, trop rapidement, « mégalomane ») de « The Wall », classique indémodable et intemporel qu’on ne présente plus mais qui continue à ravager et tourmenter chacun de nous dès que l’écoute devient pressante et indispensable. On pourrait croire que, à 73 ans, l’homme avait tout dit, tout dévoilé, tout craché aussi bien au visage des détracteurs que, littéralement, à celui du public, geste fondateur de l’un des diamants bruts les plus pénétrants de l’Histoire du rock. Ainsi, lorsque l’existence de « Is This The Life We Really Want? » se concrétise, on est aussi fébrile qu’impatient. L’opus tourne, certains tics se retrouvent, bien sûr ; mais, en invitant des cordes impromptues dans ses compositions, Roger Waters offre à l’acoustique une dimension onirique urgente et sensible. Un archet sur les veines d’un révolté qui s’interroge constamment sur sa propre existence, tout en remettant sur la tapis les non-dits auxquels nous nous plions sans jamais nous rendre compte qu’ils nous étouffent.

Sourd, allant vers la lumière comme à reculons, « When We Were Young » est un ultime regard en arrière, comme un clin d’œil ténébreux aux premières notes de « The Dark Side of the Moon » ; mais, très vite, la machine s’emballe et la touche Waters s’impose comme une évidence, dans ces changements d’accords osés et reconnaissables entre tous (« Déjà Vu »). Aidé par Nigel Godrich à la production, le maître de cérémonie paraît réduire au minimum sa démesure sans pour autant jamais la renier, mais en la mettant plutôt à échelle humaine, que ce soit dans l’ironie (Donald Trump prononce le monologue anti-CNN du prophétique « Is This The Life We Really Want? ») ou dans l’amour qu’il porte à l’individualisme et l’universalité dont il est coutumier et qui, il faut bien l’avouer, nous parle toujours de manière aussi vive et prégnante (« The Last Refugee » ou le fulgurant et obsédant « Broken Bones »). Comme si, à travers une instrumentation plus sobre et paisible, il s’était enfin attaché à offrir à ses paroles un carcan idéal, un monde dans lequel son évolution intime se fait le porte-parole de générations dont la dégradation conduira, un jour ou l’autre, à la révolte (le futuriste et visionnaire « Picture That », ou encore la passion émotionnelle de « The Most Beautiful Girl », appel au retour de l’être aimé parti pour faire entendre sa voix). Ce mélange doux-amer de beauté et de violence sous-jacente conduit à la genèse d’un objet hybride d’une logique irréprochable et s’achevant sur le résurrectionnel « Part of Me Died ». Rien n’est jamais fini.

Alors, oui, Waters fait du Waters. L’auteur du sous-estimé mais remarquable « Radio K.A.O.S » est loin de s’être assagi, lyriquement parlant ; mais, en côtoyant violons, altos et violoncelles, il dessine un destin encore plus ouvert, plus proche de nos psychés et de nos troubles, mentaux ou sociaux. Vivons-vous vraiment ce que nous désirons ? Au moins, quelqu’un aura posé la question haut et fort, apportant ses éléments de réponses en se servant de son propre vécu comme d’une bouée de sauvetage pour les âmes au bord de la noyade que nous sommes. Et c’est bien là tout ce que l’on veut d’un disque de Roger Waters : nous personnifier, nous donner un langage qui nous est propre et qu’aucun joug politique ou économique ne pourra réduire au silence. Ni plus, ni moins, mais toujours mieux.

« Is This The Life We Really Want? » de Roger Waters est disponible depuis le 2 juin 2017 chez Jule Pond Productions LLC / Columbia Records / Sony Music Entertainment.


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Raphaël Duprez

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