[LP] Tim Darcy – Saturday Night

Nous avons connu Tim Darcy du côté du nerveux, souvent austère, post-punk du quatuor canadien Ought. Au fil de leurs deux albums, il s’est distingué par un phrasé virulent, une voix brute largement reconnaissable dont les failles constituent autant de singularités. Le voici qui se montre à nous, émancipé de ses compagnons de voyage, le temps d’un album qui convainc autant par son efficacité que par la multiplicité des facettes personnelles que l’artiste y explore.

À découvrir « Saturday Night », il y aurait de quoi être tenté d’affirmer d’emblée que c’est un nouveau Tim Darcy qui se révèle à nous au fil de ces 35 minutes d’écoute. Il faudrait en fait prendre le temps de tracer l’histoire de ces morceaux, qui sont pour la plupart des ébauches amassées depuis les débuts de l’artiste et qui trouvent enfin, ici, leur concrétisation. Darcy nous offre moins l’album solo du chanteur et guitariste d’Ought qu’un retour à une identité bien plus intime et présente en amont de la création du groupe ; à laquelle celui-ci s’est greffé, sans en altérer l’essence.

Si la genèse de l’album se doit d’être mentionnée, c’est que l’expérience de construction de soi semble y agir comme un fil directeur. « Saturday Night » est un album de jeunesse qui relate des questionnements en étant caractéristiques, introduit à raison par un « Tall Glass of Water » qui en pose les bases. Solidement mené, durant sa première minute, par une guitare effrénée que Darcy aura été chercher du côté des années 1960, il prend ensuite le temps d’introduire diverses interrogations qui, culminant dans un « would you chance it all again ? » final, résonnent aussi bien chez l’artiste que chez ceux qui y prêteront attention. La démarche revêt par-là une honnêteté on ne peut plus marquante, annonçant une introspection tant bien personnelle que musicale qui réussit pleinement à l’artiste.

De fait, « Saturday Night » prend des directions bien différentes de ce que l’on aurait pu imaginer de la part de cet artiste que l’on a connu, en première instance, par l’intermédiaire du groupe lui étant associé. Les débuts de l’effort se parent en partie de mélodies légères toujours entraînées par cette fameuse guitare dont l’efficacité n’a d’égale que sa simplicité. Dans ce registre, le fabuleux « Still Waking Up » agit comme une pièce maîtresse, s’imposant comme morceau le plus entêtant de tout cet effort. Même le phrasé de Tim Darcy, habituellement brut et presque glacial, se laisse prendre au jeu de cette escapade sentimentale, moment où les inévitables errements amoureux se laissent greffer à cette histoire.

Mais là n’est pas tout ce que l’artiste a à dire, et l’album se révèle rapidement dans sa splendeur, comme un patchwork de morceaux aux intentions bien diverses. « Joan Pt 1, 2 » est caractéristique de cette volonté, articulant deux facettes résolument opposées, la première tendant vers un folk psyché s’achevant sur le début d’une seconde, plus lente et appuyée à une unique guitare et des échos vocaux aériens. Ce temps d’exploration trouve des relais plus tard dans l’album, à travers l’instrumental « First Final Days », qui s’appuie lui aussi sur l’instrument fétiche de Darcy. « Saturday Night », quant à lui, est probablement la morceau qui emprunte le plus à la tension et la nervosité propres à Ought, redonnant une place de premier ordre à la voix sombre de Darcy, à laquelle répondent le martèlement de la batterie et les crissements distordus, angoissants, des cordes de guitare.

crédit : Shawn Brackbill

D’une habileté ne pouvant être contestée, la réussite de Darcy consiste autant dans l’incorporation de toutes ces réflexions dans un seul album, qu’à être parvenu à les faire coïncider dans un seul et même ensemble, dont jamais aucun morceau ne semble dépasser. C’est ici que l’artiste abat sa dernière carte en créant un album dont la structure et le rythme général sont autant de miroirs de l’instabilité de pensée humaine. Le dynamique « Saint Germain », ses couches de reverb et ses échos rêveurs, peut bien venir s’intercaler entre le minimaliste « Found My Limit » et la ballade au piano « What’d You Release? » ; puisqu’au fond, ces variations ne sont que les reflets de la façon dont un être humain se laisse emporter d’une question à l’autre. Elle est aussi ce qui empêche l’album de stagner dans la torpeur tranquille que viennent impulser ces pièces lentes et minimales, parfois instrumentales comme « Beyond Me », dont il est parsemé. « Saturday Night » avait commencé comme un disque plein des fragilités de l’esprit humain, d’interrogations et de doutes ; il réussit à en faire sa plus belle force, en usant de ces sautes d’humeur comme d’autant d’expressions des facettes de l’artiste.

À quoi renvoie, finalement, ce samedi soir ? Moment communément associé à la fête et à l’insouciance, il est, chez Tim Darcy, quelque chose d’un peu différent ; comme une volonté de construire quelqu’un de singulier, qui soit au moins un peu à part du reste des invités. Peut-être faut-il voir ici une adresse directe de l’artiste à son public ; mais, en définitive, la réponse comme la démarche adoptée resteront bien propres à chacun.

« Saturday Night » de Tim Darcy est disponible depuis le 17 février 2017 chez Jagjaguwar.


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Cassandre Gouillaud

Étudiante, passion musique. Si jamais un soir vous me cherchez, je suis probablement du côté des salles de concert parisiennes.