[EP] Odd Beholder – Lighting

Assis sur une chaise, tu commences à sentir le sol se dérober. Les étoiles tombent une à une sur les bords du globe mais tu ne t’en rends pas compte. Tu subis. Le sol se craquelle. Le noir pourrait t’engloutir et tu n’y vois aucun inconvénient. Ton monde se résume entre les deux mousses fixées conjointement sur tes oreilles. Le son se mélange, tes neurones s’apaisent. Ce serre-joint crânien est ta seule échappatoire. Tu tombes. La musique t’aspire. Tu es heureux, tandis que le noir se mêle à toi. Dans les battements électriques d’une léthargie sous haute tension, Odd Beholder est ta déconnexion.

Odd Beholder - Lighting

Le duo est né dans un abri anti-aérien de Dietikon, non loin de Zurich, en 2013. Dans des détails un peu plus poussés, Daniela Weinmann me raconte sa rencontre avec son acolyte James Varghese : « James et moi avions l’habitude de jouer dans un trio. Un jour, notre batteur a décidé de quitter l’aventure. J’ai dû annoncer à James la mauvaise nouvelle. J’ai ainsi choisi un bar horrible pour ce que je pensais être notre lieu de rupture. Et contre toute attente, Odd Beholder est né au milieu de ce lieu très cheap, composé de faux marbre, de faux cuir et d’or en toc. Au lieu de partir, James m’a proposé de produire mes chansons et de sortir un EP avec lui. À cette époque, nous ne pouvions pas deviner dans quel processus nous serions impliqués. Nous avons travaillé pendant deux ans pour définir notre son. » Daniela a écrit les chansons de « Lighting » dans l’appartement de l’artiste Curdin Tones à Amsterdam et les enregistre finalement à Berlin.

À mi-chemin entre Hooverphonic, – la voix de Daniela fait doucement écho à celle de l’ancienne chanteuse Geike Arnaert (pour faire un amalgame sur leur blond platine) -, et les projets dream-pop en « house » tels que Memoryhouse et Beach House, le combo suisse Odd Beholder se caractérise par des percussions minimalistes et des sons de synthés analogiques. D’ailleurs, en parlant d’influences avec Daniela, celle-ci a une manière très directe – et non sans intérêt – de les aborder : « Les influences réagissent comme la nourriture. C’est la nature : votre corps transforme ce que vous mangez en excréments. C’est pourquoi nous n’écoutons jamais une chanson en pensant comment la transformer pour nous l’approprier. Dans le cas de Beach House, j’aime penser que nous partageons sociologiquement quelques expériences avec le groupe. » Daniela continue sur sa lancée en imageant poétiquement (et amèrement) la question des genres musicaux : « Nous pensons être dirigés vers ce genre d’atmosphère. J’ai en tête l’image d’une situation quelconque dans laquelle vous avez à traverser une phase terrible, alors que vous êtes presque en paix avec vous-même en voyant la sublime beauté d’un parking dans la lumière du matin. Est-ce assez « beach-housy » ? En terme de genre musical : nous n’avons pas de batteur. Cela explique les battements analogiques. Je devine qu’un batteur aurait une approche plus classique de l’indie music. »

Le tempérament des propos de Daniela s’affirme également dans les questionnements que pourrait soulever « Lighting ». C’est au travers de la pochette de l’EP que celles-ci pèsent le plus, quitte à jouer le rôle de catalyseur entre les éventuelles images que le disque renvoie et la relation que portent ses auteurs à l’art. En ce sens, la réponse de Daniela se transforme tout simplement en interprétation : « C’est intéressant que tu me parles de la pochette, personne ne l’avait fait auparavant. Il montre un panneau d’affichage qui rougeoie chaudement et de manière effrayante. Je suis tombée sur ce travail de Taiko Onorato & Nico Krebspendant à l’occasion de leur exposition dans un musée d’art. Comme toutes œuvres d’art, elle reste ambiguë. Je doute qu’il y ait une morale à apprendre d’elle. Pour moi, c’est comme si le panneau d’affichage se transformait en objet saint. Il ne promet aucun confort, il symbolise le confort. Sous le signe rougeoyant, il y a un abri en carton. Je suppose que quelqu’un y vit, et pour qui l’affichage lui serait financièrement hors de portée. Au-delà de sa précarité, cette lueur sainte est assez pour lui. C’est un miracle qu’il s’approprie. Peut-être que le rouge de l’affichage le réchauffe la nuit. « Lighting » est ambiguë dans sa température : je ne suis pas sure qu’il y fasse chaud ou froid. »

Odd Beholder

Cette logorrhée peut convertir Daniela en véritable critique d’art, tout comme le commun des mortels. Mais son interprétation, qu’elle qualifiera de spoiler, ne permettrait-elle pas de laisser libre court à notre interprétation, ou plus encore, de sous-entendre que son œuvre ne lui appartient plus ? Cette idée nous paraît tellement évidente que nous en oublions presque le phénomène que développe notre cerveau à l’écoute de chaque œuvre musicale : l’appropriation. « Pour moi, composer est plus fort que rêver. J’ai laissé mon subconscient être l’auteur. Je corrige seulement ses erreurs », finit-elle par déclarer. Odd Beholder sert de support à un monde mental bien vaste et si difficile à cerner. Restent alors les émotions, ces si belles émotions qui prennent le pas sur la projection de cette immense jungle. En ce sens, « Lighting » est un magnifique et flamboyant vecteur de promesses.

« Lighting » de Odd Beholder est disponible depuis le 16 septembre 2016 chez Sinnbus.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante