[Live] Nuits Sonores 2016, acte 1

Si vous êtes familier avec la culture musicale lyonnaise, vous le savez sans doute déjà, mais le mois de mai est ici fortement associé à un festival, et ce n’est pas le festival de Cannes, mais bien celui des Nuits Sonores dont il est question. Énorme événement polymorphe d’importance aujourd’hui mondiale, c’est un rendez-vous à la fois diurne et nocturne absolument immanquable pour tout amateur de musiques électroniques qui se respecte, mais pas que. En effet, les Nuits Sonores tirent leur épingle du jeu en programmant chaque année un bon nombre d’artistes majeurs ou prometteurs à la lisière de la sphère électronique ou expérimentale, attirant ainsi un public forcément plus cosmopolite et hétérogène qu’un festival purement électro. Cette année nous étions sur place pour les trois nuits officielles du festival et le concert spécial de Mogwai, soirées et nuits qui prenaient toutes place sur le site immense et atypique de l’ancien marché de gros, dans le quartier de la Confluence.

crédit : Gaétan Clément
crédit : Gaétan Clément

Nuit 1 : Queer, punk et sauvage

Un événement spécial à part entière prenait place durant la première nuit dans la Halle 3 de l’ancien marché de gros. Le collectif Plus Belle la Nuit menée par l’inénarrable drag queen Chantal La Nuit, responsable des soirées queer et clubbing Garçon Sauvage au Sucre, organisait pour l’occasion une sorte de version géante des GS au sein des Nuits Sonores. Artistes de tous bords et de tous genres se sont donc succédé tout au long de la soirée et de la nuit sur la scène de la Halle 3 pour une programmation solide et décalée. La soirée commençait avec le trio de post-punk Shopping, puis avec un OVNI entre glam rock et rockabilly totalement queer et déjanté, The King Khan & BBQ Show, qui ont foutu le feu sur la scène vêtu de harnais et de sous-vêtements amples ressemblants à des couches culottes. Improbable mais très efficace et enthousiasmant.

Le premier gros morceau de la soirée débarquait sur les coups de 23 heures, heure avant laquelle nous fîmes un petit tour sur le site pour voir ce qu’il se passait, mais ni les sets très darks et répétitifs de Mérovée ou du lyonnais In Aeternam Vale (Halle 2) ne surent capter notre attention plus de quelques secondes. Sans doute était-il encore trop tôt pour ce genre de musique, qui avait pourtant ses fidèles. De retour à la Halle 3, c’est la grande prêtresse trash et électro-clash Peaches qui montait sur scène, seule avec ses deux danseuses en spandex, elle-même portant un incroyable costume de vagin poilu rose géant, surmonté d’une coiffe en forme de vulve. Oui, Peaches est toujours aussi crue, aussi sale, et aussi cochonne, si vous nous permettez l’expression. Enchaînant par dessus son play-back avec hargne les tubes de son dernier album « Rub » comme du reste de sa discographie, c’est sans aucun doute elle que la foule bigarrée qui se masse devant la scène 3 est venue voir ce soir. C’est d’ailleurs peut-être le bémol à émettre sur la soirée en général, puisque si le public « queer » se mélange volontiers dans les autres halles avec le reste des festivaliers, l’inverse est nettement moins vrai et la Halle 3 en ce mercredi soir a parfois des allures de mini-festival autonome. Néanmoins, le concert de Peaches est à la hauteur de toutes ses promesses, le play-back n’est pas gênant et pas très visible puisque l’artiste s’époumone suffisamment par-dessus pour le couvrir. Au-delà de la musique, une dance bien crade et délibérément cheap et répétitive, c’est bien sûr le spectacle absolument grotesque, sexuel et délirant qui vaut le détour. Les textes rageurs à slogans hilarants et anti-machistes de la performeuse canadienne y rencontrent un univers fetish ultra sexualisé, tout en vulves, poils, symboles phalliques détournés et scènes de masturbation féminine et de domination du beau sexe sur tous les autres. L’apogée de ce charivari renversant étant atteinte sur « Dick in the Air », où la bite gonflable géante du clip se dresse au-dessus du public et dans laquelle vient copieusement se vautrer la chanteuse, devant une foule hilare éructant des « Dick ! Dick ! Dick ! » à qui mieux-mieux. Après un indispensable « Fuck the Pain Away » d’anthologie avec ses giclées de mousseux sur les premiers rangs, Peaches revient pour un rappel pas forcément prévu puisque le sono avait déjà balancé la musique d’intermède. C’est dire si le public était conquis et a su le montrer ce soir-là.

Succèdent à Peaches d’abord le rappeur new-yorkais ouvertement gay Cakes Da Killa, puis le DJ résident des Garçon Sauvage, L’Homme Seul. Le premier possède un flow de mitraillette assez épatant et son beatmaker envoie du très lourd, si lourd que des fois les deux se désynchronisent et que l’un est obligé de s’arrêter en plus milieu pour reprendre sur de bonnes bases rythmiques. À ces couacs mineurs près, le show du rappeur est de très bonne facture, avec un public réceptif qui danse beaucoup et un artiste qui a compris à quel point il était crucial de s’appuyer sur la réceptivité de son auditoire, qu’il traverse de long en large à plusieurs reprises. Ambiance très joviale et festive donc, qui nous fait rester du début à la fin de son set, où l’élégance toute particulière du verbe et des twerks de Nicki Minaj fusionnent avec les préoccupations queer, sociales ou sexuelles d’un Mikki Blanco.

Quant à l’Homme Seul, si on s’éclipse un moment au début de son set pour jeter un œil dans les autres halles (mais rien à faire, ni Red Axes à la Halle 1 ou Unforeseen Alliance en Halle 2 ne nous captivent suffisamment), l’on revient bien vite voir le reste de son set, nettement plus maîtrisé que celui de la « Garçon Sauvage » avec Bagarre. Quelques transitions font toujours un peu défaut, mais la sélection de son mix et la qualité des morceaux et remixes joués est d’une belle cohérence qui atteint en fin de set des moments de pure grâce sur le dancefloor. Un vrai bon moment qui nous fait un peu plus oublier qu’on a raté un peu plus tôt dans la soirée les shows attendus de Pantha du Prince ou de Paula Temple dans les deux autres halles. Mais telle est la dure loi des festivals : il faut faire des choix.

En l’occurrence, l’indiscutable bon choix à faire pour la fin de soirée (3h00-5h00) était de justement rester encore un peu plus dans la Halle 3, qui accueillait le collectif italo-anglais Horse Meat Disco, groupe de DJ et diggers au physique de bears et de daddies spécialisé dans la disco obscure et improbable. Indissociables du très réputé Boiler Room londonien, c’était donc ce soir deux des quatre compères qui mixaient pour nous, Severino l’Italien et James Hillard le beau barbu. Ce fut un enchantement de chaque instant, le duo enchaînant les pépites rares et improbables d’italo-disco comme de disco plus américaine et parfois contemporaine, glissant de temps un temps un tube intemporel pour que le public sans doute un peu néophyte ait de quoi se raccrocher au wagon de ce train pailleté et glamour qui filait à toute vitesse à mesure que l’aube approchait. L’occasion de se remémorer qu’un bon morceau disco, qu’on le connaisse ou non, se danse immédiatement et intuitivement, et se chante même sans grande difficulté. Notons la sublime perle de la version par Candido du « Jingo » de Santana, ou encore la classe internationale de l’enchaînement final Donna Summer – Prince – David Bowie, qui déchaîna jusqu’à sa dernière seconde un public galvanisé et content qu’on sache enfin lui parler. Le secret de cette soirée résidait sans doute dans ce dernier concert : l’humeur était à la danse « vintage » et guillerette, et pas encore tout à fait aux déchaînements de basses, de beats, de stomps et de sound systems colossaux qui nous attendaient pour les deux soirées suivantes.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique