Projet curieux, exaltant et galvanisant, l’expérimentation de 9T Antiope est relative aux équations astrophysiques et émotionnelles, celles qui décortiquent la mécanique du ciel et du cœur. « Syzygys » est comme une pierre runique, fascinante et indéchiffrable.
Bien que récemment la Terre ait perdu un peu de sa lueur, qu’elle fut meurtrie et salie par d’infâmes événements, il est important de rester redevable et de voir en elle l’origine de notre condition, si fragile soit-elle. Mais au-delà des relations terriennes que cette boule géante conçoit, beaucoup se tournent vers son opposé en quête de réponses et d’inspirations. Certains prient, posent des questions divines, et d’autres plongent dans la mécanique des étoiles pour se sentir concrètement libres et compris. 9T Antiope – emprunté du nom d’un double astéroïde de la ceinture principale de notre système solaire – penche des deux côtés : « En astronomie, une « Syzygy » est un phénomène où trois corps célestes sont alignés en conjonction ou en opposition, comme pour une éclipse. Pour la petite histoire, deux syzygies se sont déroulées durant l’élaboration de l’album (un alignement et une éclipse lunaire), comme une cause subtile au chaos passé, ce qui conduit à l’apocalypse dans le pays où l’histoire se déroule ». Rite prémonitoire ou simple coïncidence, cet album est un don du ciel, ou tout simplement maudit. Les six pistes de « Syzygy » s’écoutent avec effroi et merveille, et passent par une multitude d’émotions pour n’en retenir qu’une seule : l’admiration.
De son baume lunaire, 9T Antiope prend soin de deux êtres originaires de Téhéran, Sara Bigdeli Shamloo et Nima Aghiani. À la sortie de leurs études respectives, le théâtre pour l’une et le violon pour l’autre, ils font alors connaissance avec « Tehran Camerata Orchestra », un orchestre de musique classique contemporaine. Ils avaient l’habitude de jouer du violon avec le contrebassiste Pouya Pour-Amin, dont les trois formeront plus tard le groupe « Migrain Sq. ». Mais par un élan incontrôlé, poussé par une attirance commune de la musique électronique expérimentale, Sara et Nima s’expatrient à Paris et composent « Syzygys » durant les premiers mois de leur arrivée. Quand on leur demande le processus d’écriture, les deux Iraniens ont une réponse large et on ne peut plus juste : « Un morceau ne se fait pas toujours de la même manière. Nous y partageons les moindres détails sur les sons, les couleurs, les mots, la température, la texture, tout ce qui contribue à tisser la toile qui dépeint le monde dans lequel nous vivons. » Autrement dit, menaçante et belle à la fois. Cette ambivalence, cette fragilité que notre monde supporte aujourd’hui, de plus en plus friable, est flagrante ici, représentée par la dureté électronique et la légèreté des violons. De ce fait, des titres comme « Abiding Eventide » et « Red Through » broient le noir le plus complet, tandis que les sublimes « Intro On Terra Firma » et « Gloaming Meadow » font jaillir des éclats d’espoir et de lumière.
Implacable et extrêmement lucide, 9T Antiope multiplie les références à Philip Glass et Arvo Pärt entres autres, qui sont les étendards, rappelons-le, d’une musique avant-gardiste et en avance sur son temps, minimaliste et répétitive, comme les nuées prémonitoires du duo iranien. Ce n’est sans doute pas translucide, évident à première vue, car cet album demande l’introspection la plus fine, mais une fois ouvert, « Syzygys » délivre une pléiade de sons et de résonances culturelles et sentimentales.
Avec autant d’influences classiques et de rapports binaires, de mythes et de contrées fantastiques, de questionnements existentiels et célestes, « Syzygys » est un alien inhabituel, malheureusement incompris, vaste et mystique. Il est fragile, délicat, parfois sombre, mais pas trop longtemps. Il nous veut du bien, on lui veut du mal. Et inversement, indéfiniment, jusqu’à la fin.
« Syzygy » de 9T Antiope, sortie le 11 décembre 2015 chez Unperceived Records
