[Live] Beauregard 2022

Jour 3 : samedi 9 juillet

La journée du samedi s’annonçait comme heavy, dans tous les sens du terme. Sous une chaleur presque torride, Cannibale s’est installé à 15h40 sur la scène « Beauregard », face au soleil et comme une farce au sommeil. Tel un bon calva après le repas, le rock inventif et déjanté des quadras normands lorgnant autant vers le psyché que le tropical, galvanisera un public épars, mais en mode radar pour une musique certainement aux antipodes de leurs prévisions. Chaloupée et certainement pas loupée, leur mise en bouche de cette journée-fleuve ne laisse personne sur la touche. On ne s’y attend pas forcément, mais on s’y entend. À se dire que le groupe fait la grande roue avec un panorama musical hors (re)paires. Et ce sera tant mieux de pouvoir se mettre en jambe avec Cannibale dont l’ingéniosité et l’incisif riment avec Hannibal.

Les garçons sont ensuite laissés pour un bon groupe de filles venues montrer comment Londres parle aux Français. Goat Girl prend d’assaut la scène ‘’John’’ à 16h10 avec un quatre-heures à moteur. Rock punk ou punk rock, le quartet aux looks et aux morceaux hétéroclites se ballade sur la scène et déménage avec ses lignes de basse, de guitare et de chant qui sonnent encore et encore le carillon d’un girl band anglais, mais pas en glaise. Le son est perméable aux réactions d’un public enthousiaste devant la prestation de filles qui en ont. Sans être outrancières, mais en restant fières, les Goat Girl auront ravi les frenchies outre-Manche. Elles les auront bien relevées (les manches) avec un set démarqué et marquant.

Sur la scène Beauregard à 17h05, le poisson est de retour. Fishbach au look revisité nous ramène dans son monde dans lequel il peut être légitime de refuser d’entrer. C’est ce que nous ferons et nous reconcentrant sur l’attendu set du duo Sleaford Mods sur la scène « John » à 19h05. Jason (chant) et Andrew (synthés) aux multiples albums salués par la presse internationale assènent sans relâche durant presque une heure des beats soutenus et des punchline dévastatrices. Sortis de la forêt de Nottingham, les deux bucherons du Sprechgesang (récitation à mi-chemin entre la déclamation parlée et le chant) abattent les titres un à un, sans ménager leurs corps et nos esprits. Jouissif, jubilatoire, déjanté à souhait, un concert de Sleaford Mods ne laisse personne indifférent. Vindicatif, provocateur, tourmenteur, Jason parle de politique, de la société, de ses tourmentes, de sa vie, mais pas seulement. Et même si parfois on a du mal à saisir son accent aiguisé, le message musical et scénique est reçu cinq sur cinq. Comme une sorte de FFF britannique : Fun, Fest and Fuck you ! À retrouver plus loin en interview exclusive sur indiemusic.

Ayant passé notre chemin devant Josman, le moment est (bien)venu pour une pause fraîcheur avec Juliette Armanet sur la scène « John » à 20h15. De nombreux Roméo (mais pas que) sont venus soutenir sa frenchie pop soutenue, quelque part entre Véronique Sanson et Dalida. Du peps, du fun, du piano en solo et sano duquel un vent de notes et de paillettes tempête dans tout le domaine. Manu militari, Juliette Armanet saisit son piano et ses tripes pour un good trip au pays du revival pas ringard qui en laisse beaucoup hagards (du nord d’où elle est originaire mais aussi de tous les coins même les plus reclus). Aznavour, c’était l’Arménie et Juliette, c’est l’Armanet qui remporte tout sur son passage depuis sa Victoire de la musique en 2018. Le talent et la générosité paieront toujours. Et tout autant lorsque qu’elle nous prend de cours avec son rôle dans l’excellent court-métrage « Partir un Jour » vu il y a peu sur Arte.

Direction la scène « Beauregard » (facile à repérer : ce qui est devant nous est derrière) où l’attente pour revoir Skin et sa bande en live se fait diablement sentir. Skunk Anansie habite sur scène depuis presque 30 ans et surgit à 21h20 sur le plateau surmonté d’un catwalk allant du côté jardin au côté cours. Sans n’avoir rien lâché, sans avoir changé sa ligne de direction d’un iota, son heavy-punk d’outre-Manche reste une cure de jouvence musicale à chacun qui veut prêter attention à ce formidable groupe. Alternant hits et titres plus récents, déjouant les attentes avec des morceaux tout aussi immensément rock que profondément langoureux, les tauliers menés par l’insaisissable diablesse Deborah Anne Dyer vont jusqu’à doubler la mise en invitant non seulement en fond de scène, mais sur le devant la keybord et choriste Erika Footman qui prendra un véritable pied avec Skin et son public. Skunk Anansie ne force pas le respect, mais est le respect d’un heavy punk resté inégalé et inégalable.

Metronomy, c’est trop. Pas convaincu par leurs prestations du passé, notamment celle du Pont du Gard chroniqué dans ces colonnes, la tentative d’être séduit par ce groupe acclamé échoue. Rien n’y fait pour accrocher à des titres décousus et soupe au lait qui n’engagent que l’auteur de 1m84 que je suis. Même en dépassant le public d’une courte tête, le groupe me la prend et m’incite à attendre l’arrivée d’Orelsan à 23h30 sur la scène « Beauregard ».

Le Normand Cotentin est chez lui et se prend les côtes à voir un public aussi massif et enthousiaste venu communier avec lui sur ses terres, sans jamais se terre. Tous ses titres sont parfaitement déroulés et vocalisés, dans une ambiance qui maintient la température du domaine à son plus haut niveau à une heure pourtant tardive. Caen, c’est chez lui et Orelsan se moquera des Caen dira-t-on en se faisant plaiz avec ses fans et ses invités sur scène. Le rappeur désormais quarantenaire a vite et bien grandi et savoure avec respect le fruit de son travail. Les paroles sont sur toutes les lèvres. La vie et la fête sont à chaque coin de rime. Orelsan a du vague à l’âme, a du vague au slam, cette musique du mâle, cette musique des mots. Il a l’instinct « Basique » qui fait de ses albums et ses titres des succès auxquels on doute qu’ils puissent avoir de réels successeurs. Orelsan a la magie de son son propre, son oreille sonne à chaque tempo et phrase assassine. Fièrement enveloppé dans son Bleu blanc bouge, Orelsan aura sur attirer tous les beaux regards sur lui.

À minuit 45, sur la scène « John », GusGus aura rameuté un large public tout acquis à sa noble cause. (Autre) vétéran et dinosaure de la dance, les Islandais actuellement emmenés par Daniel Ágúst Haraldsson et Birgir Þórarinsson ont une inspiration à géométrie variable, écrivent, produisent et tournent actuellement avec Margrét Rán, leader de Vök. Une véritable alchimie est née de cette rencontre qui emmène GusGus sur de nouvelles terres sans abandonner son destrier musical.
Dance, électro ; les volutes et le lyrisme des anciennes comme des nouvelles compositions du groupe font tourner les esprits et les aiguilles d’une montre à une vitesse folle pour un set de quasi une heure, ressenti comme une simple petite minute en suspension. La glace islandaise n’a pas fini de fondre avec GusGus qui sait comme toujours briser la glace dès les premiers beats de ses claviers. Ils ferment leurs yeux, on ouvre nos cœurs pour recevoir cette hostie qui est tout sauf ostentatoire. Son efficacité n’est pas une fugacité, et cela fait – le plus grand bien nous fasse – plus de 25 ans que cela dure. Le band de Reykjavik a la mission presque risquée de clore une journée rollercoaster. À 1h50, avec un light show et des titres revisités, il invite avec une extrême efficacité les teufeurs encore debout à martyriser les brins d’herbe encore intacts tandis que les autres repartiront prudemment pour une dernière journée à braver quelques heures après.

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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans