Le groupe rock clermontois Young Harts réunit en son sein quatre amis au sens noble du terme. Loin de n’être qu’un simple passe-temps, et même si Nicolas (basse), Bounce (guitare), Yohan (batterie) et Chris (chant) ont tous un boulot à côté, ils ne font pas les choses à moitié, et disque après disque, essaient à chaque fois de mettre la barre un peu plus haute. À quelques jours de la sortie de leur deuxième album, le bien nommé « All I Got », nous avons rencontré Bounce et Yohan, plus motivés que jamais par cette aventure musicale pas comme les autres, à la fois artistique et humaine. Retour avec eux sur la genèse un peu chaotique de cet album, mais aussi sur l’état d’esprit du groupe. Cerise sur le gâteau, le groupe vous permet de découvrir en avant-première sur indiemusic, leur nouvel album, avant sa sortie officielle.
- Vous allez sortir un disque de grande qualité, votre deuxième album après le génial « Truth Fades » en 2019, est ce que vous pouvez revenir sur sa création, son écriture, son enregistrement ?
Bounce : En fait, nous avons commencé à l’écrire pendant le confinement, tous les deux, sur une base de guitare. Nous allions répéter ensemble, guitare et batterie, dans un local que les Dragon Rapide nous prêtaient. Au final, cela a mis un peu de temps parce que nous avons besoin d’un deadline. Ce qui fait que nous avons mis très longtemps à écrire certaines chansons, et très peu de temps pour d’autres. Il y a même 3 ou 4 morceaux que nous n’avions jamais joués tous les quatre ensemble avant de les enregistrer. C’était un processus un peu bizarre. Nous devions l’enregistrer avec Pascal Mondaz (NDR à la manœuvre sur le premier EP, mais aussi sur le morceau « At The Bowery » sur l’album précédent), mais il n’était pas disponible. Du coup, nous avons été voir un pote à nous, Étienne (NDR ex-Guerilla Poubelle, ex-les Betteraves qui vit désormais à Clermont-Ferrand). Nous avons enregistré dans différents endroits comme Imago (NDR Pôle de création musique/image à Cébazat, à côté de Clermont-Ferrand) et pour Chris, les prises de voix avec pas mal de confort puisque c’était chez Denis Clavaizolle, qu’il connaît très bien. Mais pendant la période d’enregistrement, nous avons essayé de tenir la ligne : ça a été ultra compliqué quand un des nous chopé le Covid, fallait tout décaler. C’était un délire total, mais à la fin, il y avait quand même des prises convenables. Et enfin, pour le mix, nous nous sommes adressés à Guillaume Doussaud (NDR qui avec son studio Swan Sound Studio, il a mixé pas mal d’albums de groupes indés comme Portron Portron Lopez, Intenable, Bleakness, mais aussi le dernier Burning Heads, « Torches of Freedom », sorti cette année). J’aime vraiment son travail, j’en ai parlé aux gars, nous lui avons envoyé un message, il avait un créneau. Ça s’est fait ultra rapidement. Et pour le coup, nous sommes très contents du résultat.
Yohan : Après le confinement, avec toutes les règles, on pouvait pas vraiment se retrouver dans les lieux publics, les concerts c’était mort. Après ça s’est débloqué un peu, mais c’était des concerts assis, masqués et jaugés : nous n’avions absolument pas envie de faire ça. La première année du Covid, nous avons annulé beaucoup de dates qui devaient servir à défendre le premier album (NDR sorti fin 2019). Et voilà pendant la pandémie, du coup, nous n’avons pas vraiment répété, et nous nous sommes mis à composer direct, nous n’avons même fait que ça. Cela a pris du temps. L’enregistrement a été un gros puzzle, nous étions tous un peu stressés, mais tout le monde a joué le jeu à fond ; Étienne, Denis, Guillaume…
- Cet album sonne différemment ; même si forcément, tous les albums sont forcément distincts, qu’est-ce qui le différencie du premier EP et du premier album ?
Bounce : Je crois que nous voulions faire un truc un peu plus joyeux, un esprit « summer », avec des chansons plus ouvertes, peut-être un peu plus pop au final. D’ailleurs avec les pochettes, le premier EP, c’était plutôt l’hiver, le premier album plutôt l’automne, et donc plutôt là pour l’été. À voir pour une quatrième saison peut-être (rires).
- Est-ce qu’il y a des groupes, des albums qui vous ont accompagné au cours du processus très long de l’enregistrement ?
Yohan : Perso, pendant le confinement, j’ai poncé pas mal de trucs comme Tigers Jaw, The Hotelier… Title Fight, Modern Baseball aussi. Inconsciemment, je crois surtout que nous avons cherché une couleur, un son qui nous ressemble quelque chose de moins générique qu’avant.
Bounce : Cet album est plus aéré, produit sans l’être, tout en gardant ce côté live qui est super important pour nous. À l’image de son travail sur le dernier Burning Heads, Guillaume est capable de sortir un son très léché. En tout cas, nous voulions passer un cap par rapport à l’album précédent.
- Dans Young Harts, quels sont les groupes qui font l’unanimité et au contraire, ceux qui font débat ?
Bounce : Je ne suis même pas sûr de pouvoir te citer un groupe qu’on écoute tous.
Yohan : Il peut y en avoir, mais finalement ils ne ressemblent pas à ce qu’on joue. Des sorties de ces dernières années comme Shame, Fontaines D.C., Hot Snakes… En fait, au-delà du style, ce qui est important pour nous c’est de jouer ensemble.
Bounce : Notre groupe, c’est un peu une alchimie de tout ce que nous sommes. Par exemple, sur cet album, Chris (NDR, ex-chanteur des Elderberries) a passé un cap, il s’est détaché de ce qu’il pouvait faire avant.
Yohan : Nous avons essayé de l’amener vers autre chose, notamment sur « Shun It Down », le morceau qui clôt l’album. La musique a été son métier pendant longtemps. Avec Young Harts, il sort de sa zone de confort, il aime ce challenge.
- C’est Chris justement qui écrit toutes les paroles ? Comment vous l’avez poussé vers ce feeling très « summer » ?
Bounce : Nous n’avons rien eu besoin de dire. Je crois que nous avions tous les quatre envie de ça, après le confinement qui était un peu morose. Nous avions envie de nous enjailler, d’être heureux tout simplement, heureux de faire un album, heureux de jouer ensemble.
Yohan : Dans le processus, en fait, Chris est arrivé à la fin. Avec Nico, Bounce et moi, nous avons bossé pas mal de morceaux en studio. Chris aime bien avoir un truc presque fini, pour chantonner chez lui, essayer des choses et nous faire des propositions. C’est très agréable, car il est hyper ouvert à nos propositions. Il aime vraiment se donner du mal pour trouver des idées surprenantes et nouvelles.
Bounce : Techniquement, Chris, il est vraiment capable de le faire, il a pas trop de limites en fait. C’est ultra appréciable. Parce qu’avec Young Harts, niveau composition, c’est un peu l’autoroute, ça roule. On a eu quelques groupes avant, où on était un peu plus limité niveau chant, alors on essayait de faire des trucs plus élaborés pour compenser. Mais là, même si on a quatre accords, une bonne mélodie, franchement avec Chris, ça suffit à faire un bon morceau.
- Alors forcément, à l’écoute de vos albums et notamment le dernier, je pense en particulier au morceau « Climbing », il y a un côté presque philosophique dans le texte. Est-ce que Chris vous explique un peu ce qu’il veut dire dans ses paroles ?
Bounce : Non, pas vraiment. En fait, les textes sont tellement ouverts que chacun peut y trouver un sens. Et en fait, c’est vraiment ça qui est important.
Yohan : Maintenant que nous avons fait pas mal de routes ensemble en tournée : il y a aussi dans les paroles des bouts d’histoires, des allusions comme celle de ce micro de karaoké qui a commencé à fumer un soir parce qu’on avait chanté trop fort dedans (NDR, dans « Up In The Flammes »). En plus, sur cet album, Chris est arrivé un peu en fin de process, il n’avait jamais chanté avec nous certains morceaux par exemple.
- Vous êtes modestes alors que vous démontrez une vraie ambition artistique par ce que vous faîtes et comment vous le faîte ? Par exemple, pour lancer cet album, vous avez sorti un super clip pour le morceau « Climbing » qui n’a rien de banal, est vraiment très cool, très chouette. C’est quoi votre secret ?
Bounce : Nous avons la chance d’être très bien entourés, d’avoir pas mal de copains dans différents milieux artistiques, qui sont capables de nous proposer pleins de choses, avec une vraie envie de le faire, pas juste pour nous faire plaisir. Avec Tom, par exemple (NDR, qui a réalisé le clip « Climbing », mais aussi celui de « Rearranged » de l’album précédent), on est supers potes, on se marre, voilà c’est l’essentiel. Il est méga occupé, mais il a tout de suite dit oui, parce qu’il avait adoré faire le clip de « Rearranged ». Et plus généralement, les gars de Biscuit Productions, ils nous mettent à disposition des moyens que nous serions incapables de financer. On ne pourra jamais les remercier assez en fait. C’est l’amitié tout simplement. Et puis il y a l’Auvergne dans ce clip aussi, on n’est pas allé faire un clip à l’autre bout de la France, cela n’aurait eu aucun sens.
Yohan : C’est vraiment le meilleur moyen pour eux de nous soutenir, de répondre présent quand on a besoin d’eux.
- Dans votre manière de faire, il y a quelque part, quelque chose de l’ordre de l’éthique punk au sens américain du terme, dans votre manière de fonctionner.
Bounce : Punk, cela veut tout et rien dire en fait. Mais nous sommes punks sans le dire. C’est notre manière de faire tout simplement. Mais nous n’avons pas de paroles politiques. À l’inverse, quand tu sais où on joue, qui nous fait jouer, forcément oui, on fait partie de cet esprit punk. C’est plus important de le faire que de le dire en fait.
- Il y a tout un réseau de labels indés et artisanaux qui se mobilisent autour de la sortie de vos albums, et qui pour le coup, défendent aussi une certaine idée punk comme Crapoulet, Ganache Records, No Way Asso…
Bounce : C’est sûr que ce sont des labels qui n’ont pas trop de moyens, mais je peux te dire qu’ils y mettent tous du cœur. Et puis tout simplement, on a sorti le premier album avec eux, ça s’est bien passé, on est tout simplement devenus copains. On se connaissait pas, mais maintenant on se retrouve aux concerts, on se voit souvent. Pour la vente de vinyles, les délais de livraisons, c’est un peu le bordel. J’ai passé pas mal de nuits à trouver un système pour que ce soit équitable entre tous les labels ; en gros, on centralise tout du côté de Young Harts, et après on redistribuera auprès de chaque label. On a mis tout à plat niveau financier pour pas qu’un plus gros label récupère plus qu’un plus petit. Et tout le monde a trouvé ça cool. Mais c’est du participatif, du coopératif à fond, ils avancent l’argent, alors qu’avec les délais, les vinyles on les aura peut-être un jour. Normalement, mi-septembre, mais ils n’ont pas dit l’année, on verra (rires) !
Yohan : En fait, notre musique est à l’image des gens avec qui nous sommes, à l’image de notre mode de vie, de la manière avec laquelle nous vivons les choses entre nous, avec bienveillance, partage et solidarité. C’est une quête de bons moments ! Alors la manière dont nous travaillons avec ces labels, c’est aussi une manière de vivre de bons moments avec les personnes qui les font bouger, qui sont devenus des amis.
- Justement comment va ce réseau indépendant, autonome ?
Bounce : Il commence à sortir la tête de l’eau, il recommence à faire des concerts, à sortir des disques. Avec les reports successifs, ces labels se retrouvent à sortir plein d’albums en même temps. Mais j’ai l’impression que ces passionnés sont repartis de plus belle, ils sont ultra motivés. C’était un peu la déprime, avec le Covid, mais là on revit vraiment et du coup c’est trop cool. Au niveau des dates de concerts, en fait, c’est aussi galère qu’avant (rires), il y a pas trop de différence, c’est de la débrouille. Il y a peut-être un peu moins d’orgas, mais d’autres vont arriver, les remplacer, comme à Clermont, où toute une nouvelle génération de jeunes musiciens qui arrivent et se bougent : FoxHole, Sink Deeper…
Yohan : Forcément, c’est un réseau avec des hauts et des bas, mais le fait qu’il ne dépend en fait que de la volonté et de l’huile de coude de ses acteurs, il ne pourra jamais vraiment mourir.
- Qu’est ce qui est différent de Young Harts sur disque, de Young Harts sur scène ?
Bounce : Je ne crois pas qu’il y ait vraiment de différence, peut-être un peu plus de BPM.
Yohan : Les petits mots de Chris entre les morceaux (rires) !
Bounce : Ah c’est sûr que sur scène, il n’y a que ma guitare ! Sur disque, cela peut m’arriver d’en mettre deux différentes. En tout cas, le son de ce nouvel album correspond à ce que nous sommes en live en ce moment. C’est aussi toute l’ambivalence de surproduire un disque et puis sur scène, de ne pas vraiment sonner comme sur disque. Nous avons vraiment envie que ce qui est sur le disque, tu puisses le retrouver en live.
Yohan : En tout cas, nous avons essayé de caler une bonne dizaine de jours pour la Toussaint, pour partir en tournée. C’est pas facile à organiser avec nos boulots respectifs, mais pourquoi pas essayer d’aller faire un tour à l’étranger, faire un peu de tourisme, goûter quelques bières, en Italie, en Allemagne, en Belgique. Et ce sera l’occasion de proposer des disques sur le merch, puisque les vinyles n’arrivent qu’en septembre. Nous essayons de proposer des prix ultra cools, des tarifs abordables et sur lesquels nous n’aurions pas de souci à acheter un disque, un t-shirt, pour un groupe qu’on aurait kiffé sur scène.
Ce nouvel album de Young Harts est quelque part un disque de transition entre des résurgences lointaines de punk (« Ornica »), post-hardcore (comme sur le final de « Climbing »), de metal alternatif (Nicolas, le bassiste est réputé pour être le plus grand fan de Tool de tout le Massif central) et un horizon plus personnel et moins référencé tourné vers une musique plus mature, plus épurée, plus essentielle, dans une veine indie rock pleine d’esprit et de justesse. L’assise rythmique construite par Nicolas et Yohan est toujours autant la colonne vertébrale du groupe, et même si cette remarque a quelque chose de banal et d’évident, c’est aussi là que se joue la grande liberté du groupe. Dans le tracklisting, la bande ose le difficile exercice de la ballade (sans tomber dans le mièvre et la guimauve) sur « Still Shining », en mode acoustique et jeux de contrastes entre la voix principale de Chris et une voix grave en arrière-plan. C’est d’ailleurs étonnant de savoir comment la création des morceaux s’est opérée en plusieurs étapes bien distinctes, tant l’ensemble se signale par sa cohérence, sa continuité, en dépit des instincts stylistiques qui peuvent ressurgir ici et là. Ce que les membres du groupe qualifient d’esprit « summer » passe ainsi par un côté apaisé et nuancé, aussi bien dans le chant, dans les mots de Chris que dans la structure des morceaux. Young Harts peut-être moins percutant qu’avant, mais il se signale par un « songwriting » collectif étonnant. Le groupe n’a jamais autant assumé ses envies « pop », dans sa quête de vérité mélodique, sans pour autant renier son background rock. L’énergie est toujours là, mais elle trouve d’autres voies pour s’exprimer et se libérer. En ressort une impression de grande sincérité d’un groupe qui ne ment pas et ne joue pas un rôle. Et si les disques précédents étaient d’une certaine manière une façon de se voir (ou de refuser de) grandir, « All I Got » est à sa façon une belle manière de se regarder (et d’accepter de) vieillir.
« All I Got » de Young Harts, sortie le 17 juin 2022, date de lancement des commandes vinyles auprès du groupe et via les labels Opposite, Fireflies Fall, Eternalis Records, Inhumano, Asso Page Blanche, No Way Asso, Crapoulet Records, Bad Health Records pour une livraison prévue en octobre 2022, et même avec Ganache Records pour les K7.