[Interview] The Struts

Nouvelles du front : si vous gardez un œil attentif sur la planète rock, vous n’avez certainement pas pu passer à côté des quatre Britanniques de The Struts. Cette bande de joyeux lurons propose depuis bientôt dix ans un rock’n’roll musclé, mais aussi élégant et déluré. Puis trempé autant dans le glam rock que dans la pop 60’s. Ils ont su drainer une audience de plus en plus large à chacun de leur passage dans l’Hexagone, et ce avec uniquement deux albums. Pour la simple et bonne raison que ces deux œuvres ont été patiemment muries sur la route et regorgent de tubes imparables et incandescents. Avec la voix du chanteur et la guitare comme métal en fusion, puis la section rythmique comme marteau-pilon venu sculpter l’ensemble. Mais trêve de métaphore hasardeuse et métallurgique ! À l’occasion de leur tournée marathon, nous rencontrons The Struts, souriants et décontractés, dans le faste d’un salon des backstages du Trianon.  

crédit : Catie Laffoon
  • On vous a vu sur scène au Download en 2018, super show. Vous disiez à ce moment-là que vous aviez une relation spéciale avec le public français. Pourriez-vous développer à ce propos ?

Luke : D’abord, il faut préciser qu’après que la première version de « Everybody Wants » ait été enregistrée (NDLR : Leur premier long format) au Royaume-Uni, notre label de l’époque l’a bien présentée aux stations de radio et à la presse. Mais personne n’en a diffusé aucune chanson, personne n’a écrit à son propos. Nous n’arrivions pas à obtenir de vraies réponses. On est quand même parti en tournée. Ce qui a été bien. Génial en fait ! On a bien profité. Bref, soudain OÜI FM s’est mis à diffuser « It Could Have Been Me ». La première radio à le faire. Et ensuite, la chanson a commencé à être diffusée et partagée partout en France. Et on s’est mis à y repenser régulièrement, genre : « Il y a cette radio parisienne qui joue « Could Have Been Me » en boucle » (il rit) on était là : « Quoi… C’est vraiment étrange et inattendu ! »

Quasi directement, on prend notre van, juste nous cinq (avec le cousin d’Adam en plus), on traverse la Manche et on se retrouve à faire ces shows, en France. Un peu partout en réalité ; on a joué dans des lieux un peu moins connus du circuit (bien sûr, on a fait Paris qui était génial). Et c’était la première fois qu’on vivait ça, avoir des demandes d’interview, des diffusions radio.

Adam : Un vrai public (il rit).

Luke : Oui, un vrai public, une vraie audience, et nos chansons écoutées avec une passion qu’on n’avait jamais vue avant. Donc c’est comme ce moment unique dans ta vie quand tu rencontres cette fille spéciale. Peut-être que vous avez tous les deux assez de chance pour perdre votre virginité ensemble. Et vous avez cette connexion d’âme qui ne sera jamais brisée. Notre relation avec la France et avec Paris en particulier est très proche de ça. Tu n’oublies jamais le vrai amour que tu as reçu grâce à ta musique.

  • Étant des musiciens de rock, que pensez-vous de l’état de la culture rock ces jours-ci ?

Luke : Ce qu’il y a d’amusant c’est… le rock n’a pas disparu, c’est juste qu’il a… (il réfléchit). Il y a tellement d’autres genres de musiques intéressants et le rock a produit des classiques intemporels.  Ce qui fait que même si plus personne ne jouait de musique rock, on aurait toujours de quoi écouter. Il y a tellement de belles créations déjà existantes. Donc le concept et l’idéologie du rock, ce qu’il est, etc. Grâce à toutes les plateformes comme Spotify, YouTube, etc., tu peux écouter cette musique. Tu peux créer et vivre dans ton propre univers musical. Ce qui est génial. Mais c’est vrai qu’il y a un manque de gens qui la joue, cette musique. Pourquoi ?! Je ne suis pas sûr, je pense juste que c’est un cycle naturel.

Il me semble que le hip-hop actuellement est dans sa phase « hair-metal » (NDLR : un sous-genre de heavy metal extrêmement exubérant et outrancier), Motley Crüe dernière période, ou encore Cinderella, Whitesnake. Il en est au point où il est extrêmement populaire et génère des quantités astronomiques d’argent. Et je pense qu’en conséquence la qualité de la musique n’est plus ce qu’elle était, même il y a dix ans.  Et ça vient de quelqu’un qui apprécie le hip-hop, qui a assez de connaissances pour voir quand les choses ont été tellement commercialisées qu’elles vont arriver à un point naturel ou tu vas avoir un Nirvana qui va arriver (NDLR : son équivalent dans l’univers hip-hop) et les gens vont être genre : Waouh, un artiste qui revient à l’essentiel. Mais il y a clairement assez peu de groupes qui font ce truc rock, à part nous et Greta Van Fleet. Mais je sais qu’on a déjà commencé à inspirer les plus jeunes générations à regarder en arrière, écouter, apprendre la guitare, rejoindre un groupe et tout ça. Ils nous taguent sur des vidéos d’eux en train de jouer dans leur putain de garage ! Nos chansons ! Et ces gamins ont à peine 12 ans.

  • Vous voyez le groupe The New York Dolls ? Sont-ils une influence pour vous ?

Luke : Comment dire… oui et non ! je n’aime pas vraiment leur musique dans son ensemble. Mais j’adore « Personality Crisis » par exemple.

Adam : Elle était dans Guitar Hero (rire).

Luke : J’aime beaucoup l’attitude, le look ; pour ça ils sont excellents ! Mais étant allé aux États-Unis, quand on parle de glam rock, comprendre maquillage, platform shoes et ce genre de trucs… c’est amusant de voir comment les Américains perçoivent le glam. Pour eux, c’est genre Mötley Crüe, New York Dolls, Kiss. Mais pour moi c’est… T-Rex, Mott the Hoople, Bowie, Abba.

  • Des anciens mods en fait ?

Luke : Oui ! Pour moi, c’est un style plus sophistiqué. Il a plus de mystère. Il est plus cool.

  • Tu as écrit une chanson, « Who Am I? » qui parle de l’équivoque du genre, un sujet important en ce moment. Est-ce important pour toi d’écrire sur des sujets de société ?

Adam : Je ne crois pas que c’était le but de cette chanson en fait.

Luke : Oui. Je brossais plus un portrait de mon expérience personnelle. Ayant grandi dans une ville de bord de mer au Royaume-Uni, il y a quinze ans, une ville pleine d’imbéciles intolérants. Les gens me tiraient les cheveux dans les toilettes et m’insultaient par rapport à mon look. Et il y a ce truc dans ma personnalité : si quelqu’un est agacé par quelque chose chez moi et me le fait remarquer, je vais avoir tendance à l’exagérer. Et dans cette chanson, je parlais de ce truc d’être entre les deux genres. Pour moi, ça a toujours été important que la sexualité et les vêtements que tu portes soient plutôt séparés. Je me considère très hétérosexuel, mais mes goûts vestimentaires, la façon dont j’aime me présenter n’a pas de frontières liées à la notion de genre.  Et je pense que c’est comme ça que ce devrait être.

Gethin : Je pense que le rock’n’roll a toujours eu cette liberté. Alors qu’aujourd’hui, n’importe qui (et c’est une bonne chose) que tu ais un job classique ou que tu sois dans un groupe, tu peux porter ce que tu veux.

Luke : Avec cette chanson en fait, je voulais juste être sûr que toute personne qui l’écoute sache que c’est amusant de faire ça (NDLR : jouer sur l’équivoque des genres) et ce n’est pas mal, ce n’est pas étrange, c’est cool ! Et les gens que ça gêne, je voulais que ça les gêne encore plus ! En chantant : « I can be your Harley Quinn or Doctor Strange, Woman or a man… », je voulais obtenir une réaction de ces gens.

  • Ce sera ma seule question politique, vous êtes tous de Grande-Bretagne, que pensez-vous de la situation avec le Brexit ?

Gethin : On a voyagé à travers l’Europe, fait des tournées pendant des années et notre opinion c’est que toutes idées qui divisent les gens, on les refuse et nous n’y adhérons pas. Je préfèrerais qu’on soit tous unis justement.

Luke : J’ai vu un super tweet qui disait : « Année 2180, le Premier ministre britannique va chaque novembre à Bruxelles et demande une extension à la conclusion du Brexit » (rire général).

Jed : On se dit que c’est vraiment dommage quand les gens rendent leur monde plus petit. Mais concernant notre groupe – on était aux États-Unis quand il y a eu l’élection de Trump -, notre but est de divertir les gens, de leur faire oublier justement ce genre de choses par notre musique. Donner l’opportunité à n’importe qui, quel que soit son parcours, de venir à notre show et lâcher du lest, profiter.

Luke : Oui, on ferait même un concert pour Donald Trump et Bernie Sanders.

Jed : Ils seraient sur les épaules l’un de l’autre toute la soirée (rire).

Luke : On n’est pas un groupe très politique. On croit dans l’acceptation, dans l’amour, le sexe et la liberté. Dans la musique (Adam rit copieusement) et sans déconner, c’est ce dont le monde a besoin ces temps-ci.

crédit : Anna Lee
  • Un nouvel album en route ?

Luke : Oui, il s’appellera « Liberty Love Sex and Magic » (rire général).

Adam : Pas de date, mais on est en train de l’écrire. Probablement l’année prochaine.

Luke : Oui carrément ! 2020, de nouveaux sons, sûr !

  • Quel artiste est votre légende du rock ultime ?

Adam : Qu’est-ce que tu veux dire ?

Luke : Vivant ou mort ?

  • Comme tu préfères, par exemple pour moi ce serait Elvis.

Luke : Oui ! Après Jésus, il y a eu Elvis direct.

  • Ou non plutôt David Ruffin des Temptations ?

(Moue approbatrice du groupe)

Luke : Hum, beaucoup de gens sont divisés entre les Beatles et les Stones. Et ne te méprends pas, j’adore les Beatles ; mais quand j’écoute les Stones, ça me donne envie de sexe, ça me donne envie de prendre du bon temps. La sexualité qui est intrinsèque aux Stones, le groove, le travail des guitares, le chant est très cool.

C’est incroyable à quel point tu peux avoir deux groupes au même niveau de notoriété, qui joue grosso modo le même style, mais te font vivre une expérience si différente. Si tu veux apprendre à écrire de super chansons, comprendre les harmonies vocales, c’est vers les Beatles qu’il faut te diriger.

  • Vous avez les deux vous, en réalité ?

Luke : Oui, on est influencés par les deux en tout cas.

crédit : Anna Lee
  • Et pour les harmonies vocales, quelles sont vos influences ?

Luke : Pour ma part, je ne sais pas vraiment harmoniser. C’est plus Jed (NDLR : le bassiste) qui est un de ces mecs… Tu es en train de chanter un truc et, sans réfléchir, il te rejoint avec une deuxième voix qui sonne !

Jed : Oui, j’adore plein de choses en musique irlandaise, du folk que j’écoutais étant gamin. Mon père adorait Van Morisson. Mais, en termes d’influences pour les harmonies, je dirais les Beach Boys que j’ai toujours beaucoup écoutés.

  • Comment ça fonctionne ? Tu harmonises sur sa ligne de chant principale ?

Jed : C’est ça ! C’est une chose que j’aime amener au groupe. Les arrangements vocaux quand on est en studio.

Luke : (rire) Oui, moi je ne suis pas très calé là-dessus.

Jed : Si, quand même, je trouve que tu te débrouilles (rire général et brouhaha autour de ce sujet).

Luke : Il y a eu plein de fois où Adam et moi étions au studio avec une chanson de prête. Et on passe 45 minutes à essayer de trouver « LA » bonne harmonie vocale. Et on se dit : « Laisse tomber, viens, on appelle Jed ».

Jed : Et je leur réponds : « OK, je suis libre le mois prochain ! » (rire général).

Luke : On était au studio 606 à Los Angeles. On pose six idées de morceaux sur bandes. J’ai chanté six morceaux en trois jours : ce que je ne recommande pas. Et c’était dingue de nous voir travailler sur les voix et Jed gérer la partie des harmonies, tu vois. Je pense que tu as le truc ou tu ne l’as pas. Il faut être dans une bonne disposition pour être sensible à ça je veux dire, et pourvoir le travailler. Et Jed a ce truc.

  • J’ai vu sur votre Instagram que vous avez joué avec Yarol Poupaud, le guitariste français…

Adam : C’est lui notre icône rock ultime ! (Rire général)

  • Vous pouvez m’en dire plus à propos de votre rencontre ?

Luke : Il était super ! Il a amené son fils avec lui. Un mec vraiment cool. J’adore la pochette pour cet album qu’il nous a donné, celui qui s’appelle « Yarol ». Et la musique est bonne.

  • Vous avez fait une reprise de Bowie, c’est ça ?

Luke : Oui c’est ça. Je lui ai demandé : « On fait quoi alors ? » et il m’a répondu : (il prend un accent français et imite la voix de Yarol Poupaud) « Je sais pas, tu m’as l’air d’être un peu un rebelle toi ».

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  • D’autres collaborations de prévues avec lui ?

Luke : En fait, on ne lui a pas parlé depuis ce concert ?

Jed : Faudrait qu’on lui propose un truc !

Luke : Oui grave ! Il faudrait qu’on se voie, pour un projet, n’importe lequel.

  • Vous savez, il y a des gens qui disent que le rock français c’est de la merde, en bossant avec lui vous montrez que c’est une connerie.

Luke : Oui ! Yarol jouait pour Johnny Hallyday ! Le Elvis français, tu ne peux pas être si mauvais quand tu as un Elvis Presley français.

  • Vous aviez Vince Taylor au Royaume-Uni ?

Luke : Oui ou… Cliff Richard ! (rire général) L’autre jour, quelqu’un m’a dit un truc sur le rock français … (il réfléchit).

  • Le rock français, c’est comme le vin anglais ?

Luke : Oui c’est ça ! qui a dit ça à l’origine ?!

  • Je pense que c’était Lennon.

Luke : Oui ! Ça ne m’étonne pas. C’est marrant, les Beatles donnaient la direction et étaient toujours en avance jusqu’à « Exile on Main St. », les Stones étaient là : « On fait quoi ?! viens on suit Lennon et McCartney ». Comme « Their Satanic Majesties Request », cet album est bien barré. En fait, c’est juste une tentative de faire « Sgt. Pepper’s » de façon un peu foireuse. Bon, il y a deux ou trois bonnes chansons dedans.

Gethin: Comme « She’s a rainbow ».

Luke : Oui, clairement.

  • Une de nos contributrices vous avait rencontrés en 2016. J’ai relu l’interview et vous faisiez un peu votrebusiness plan. En visant les États-Unis et le Japon par exemple…

Adam : (Il intervient l’air goguenard) Mission accomplie ! (rire général)

  • Oui, c’était ma question, comment évaluez-vous votre business plan alors ?

Luke : Écoute plutôt de façon très positive. Contre toute attente. Si on prend en considération la charge de travail et le niveau d’implication nécessaire d’un groupe pour espérer réussir avec le public américain. Je crois qu’on a vraiment réussi ça et même plus. Je suis très fière de nous par rapport à ça. On a eu la force, la patience, l’éthique de travail, pour y arriver. Et j’inclus le Japon dans cette constatation.

Beaucoup d’Occidentaux font la grossière erreur de penser que le Japon recherche l’inspiration vers l’ouest. Mais ils n’ont pas besoin de nous pour ça ! Sérieusement ! Va là-bas pendant une semaine et dis-moi combien de posters de Drake ou Justin Bieber tu vois. Ils ont leurs propres trucs. Tu vas dans leurs magasins, c’est leur univers aussi. À la rigueur, c’est plus moi qui vais regarder vers eux pour de l’inspiration.

Donc oui, mettre du temps et des efforts pour se faire connaître là-bas a été super pour nous. Car si tu ne penses pas à eux, ils vont vite t’oublier. Donc c’est pour ça qu’on a toujours été là-bas. Parfois ça n’avait pas vraiment de sens financièrement, mais on a insisté parce que… (il réfléchit) Mick Fleetwood par exemple (NDLR : batteur de Fleetwood Mac), on s’est vu à Hawaï il y a deux ans, j’étais là pour chanter avec lui.  Il me disait qu’avec son groupe, ils ne leur avaient jamais donné le temps qu’ils méritaient (NDLR : au public japonais), mais qu’il avait beaucoup d’amis, qui eux avaient pris en compte ce pays. Et il était très envieux de leur situation que ce soit il y a plusieurs décennies ou aujourd’hui. Ils ont toujours une base de fans au Japon. Et une fois que tu les as conquis, ils sont très fidèles, probablement plus que n’importe où autour du monde. Donc pour finir oui, Japon et Amérique : check !


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Henri Masson

Henri Masson

Auditeur avide d’indie rock au sens large. En quête de pop songs exaltées.