[Live] Crossroads Festival 2019

Jeudi 12 septembre

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Le lendemain, rendez-vous est donné au théâtre Pierre de Roubaix, nouveau lieu de ce Crossroads Festival 2019, à 100 mètres de la Condition Publique. Difficile d’être à Roubaix pour les tous premiers concerts de la journée quand on travaille. Les embouteillages de la métropole font le reste et on arrive juste à temps pour voir un des concerts que l’on attendait le plus avant le festival, celui de Bartleby Délicate.

De prime abord, l’homme n’en impose pas vraiment avec son look grunge, sa casquette de travers et son accent luxembourgeois. Seul avec son clavier et sa guitare au milieu de l’énorme scène du théâtre, on doute un instant. Et puis la voix de Bartleby, douce, puissante, si particulière emplit soudain le lieu et on a immédiatement la chair de poule. L’homme fait preuve d’une grande sensibilité humaine qui se ressent dans sa musique comme dans ses prises de paroles. Il rendra ainsi un vibrant hommage à Daniel Johnston décédé la veille, et se risquera à descendre quelques marches de la scène vers le public pour l’inviter à chanter avec lui.

C’est Manu Louis qui prend la suite sur scène et l’ambiance est soudain radicalement différente. Excentrique jusque dans les images qu’il projette en fond de scène, ce personnage a installé son clavier sur une petite nappe à carreaux Vichy. On se croirait un peu à sa table dans une bonne brasserie bruxelloise après un repas trop riche qui vire en sieste psychédélique. Toujours au bord du too much mais au service d’une vraie démarche artistique, la prestation de ce Belge-là aura été tout à fait stimulante.

« Bonsoir messieurs dames ». Poliment, le Lillois Ali Danel fait son entrée en scène. Il revient tout juste du Québec et se verrait bien devenir prophète en son pays, « s’il y a un tourneur dans la salle » glisse-t-il habilement et « sans stratégie ». Pour convaincre, il nous emmène dans son univers insolite, délicieusement rétro, fait de guitare acoustique, d’harmonica, de grands espaces western (peuplés de « gentil cowboy » « à cheval ») et de chansons à texte. Sa voix nous fait penser inexorablement à celle de Joe Dassin, ça tombe bien il lui empruntera même un titre pour en livrer une joyeuse reprise personnelle.

Alors que le théâtre Pierre de Roubaix nous a offert quelques pépites, il est déjà temps de migrer vers la Condition Publique pour la suite de la programmation de ce Crossroads Festival 2019. Après un temps réservé aux échanges entre artistes et professionnels, on retrouve Isla, jeune compositrice nantaise accompagnée de deux musiciens. Elle nous propose un mélange subtil et harmonieux de pop, soul et électro. Les morceaux calmes et suspendus succèdent aux titres plus rythmés et dansants, le tout aussi bien en français qu’en anglais.

L’Amiénois Okala lui succède, tout en délicatesse et habit de lumière, à l’image de sa musique subtile et scintillante. Et c’est là que survient un drame tout personnel qui nécessite de passer pour quelques instants la suite du récit de ce Crossroads Festival 2019 à la première personne du singulier…

Alors qu’Okala déploie son univers en quelques titres, je me rends compte que la batterie de mon appareil photo est à 1%. Je plonge alors la main dans la poche de mon sac qui contient mes batteries de rechange. Problème : la poche en question est déjà entrouverte et s’avère désespérément vide. Une seule explication, mes batteries sont tombées quelque part entre mon départ et mes déambulations entre les scènes de la Condition Publique et du théâtre Pierre de Roubaix. Je me décide alors à faire un tour rapide de la salle, puis à refaire au moins le chemin inverse jusqu’à ma voiture, peut-être sont-elles tombées dans le coffre ? Mais là non plus, rien. Dès lors une seule solution, sauter dans la voiture et foncer à mon domicile (dans le respect des limitations de vitesse en vigueur dans la métropole lilloise bien entendu) pour récupérer une batterie de rechange.

C’est ainsi que je manquerai à mon grand regret les sets de Pollux et SCRTCH (alors que j’attendais beaucoup de ces derniers). À mon retour, durant le showcase de Bekar, je me pose quelques secondes à l’arrière de la salle pour me remettre de mes émotions, et aperçois soudain deux petites masses posées sur le rebord d’un pilier en béton qui soutient le toit de la Condition Publique. Ce sont bel et bien mes deux batteries qu’une âme délicate aura ramassées pour les mettre en évidence au cas où. Que j’aime les gens du Nord ! L’histoire ne dit pas si j’aurais mieux fait de mener une enquête minutieuse au ras du sol de la salle plutôt que de me précipiter chez moi. Je préfère ne pas savoir et me reconcentrer sur les showcases de ce Crossroads Festival 2019.

Ce qui marque durant le set de Bekar, c’est la foule massée devant la scène, bras en l’air pour répondre aux moindres sollicitations du jeune rappeur. Décidément en cette fin de décennie, c’est bien le rap qui fait le plus recette en festival. Bekar sera rejoint sur scène par Balao, autre sensation de l’édition précédente du Crossroads. Et quand Bekar lance à la foule « merci à la famille d’être venue », on se demande si c’est une image ou s’il a vraiment une famille très très nombreuse.

L’artiste suivant, Martin Mey, vient tout droit de Marseille et nous partage qu’il a fait le calcul qu’une minute de showcase correspond à 28 minutes de trajet. Serait-il frustré de n’avoir que 30 minutes pour s’exprimer ? Aurait-il des regrets ? Les réponses sont évidemment négatives et Martin Mey le prouvera de la plus belle des manières en livrant une performance qui annihilera tout notion d’espace et de temps pour nous laisser ivres de ses boucles électroniques planantes.

Difficile de redescendre sur terre pour le set de Dégage. C’est toutefois un autre genre de voyage que nous propose le quatuor rémois. Plongés dans la pénombre, le groupe va enchaîner pendant 30 minutes toute une palette de 50 nuances de rock, du plus mélodieux au plus énergique.

Quoi de mieux quand on s’appelle N U I T que de clôturer une soirée de festival avant de nous rendre à celle-ci (la nuit) ? Le quatuor normand semble en être parfaitement conscient et livre pied au plancher une prestation impeccable. Caché derrière d’étranges barres lumineuses qui passent de couleurs blafardes et aveuglantes à d’autres plus douces et apaisantes, le groupe alterne passe de morceaux durs et sombres à des moment d’introspection plus onirique. N U I T ne faillit pas et nous laisse aller faire de beaux rêves avant le dernier jour du festival.

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David Tabary

photographe de concert basé à Lille, rédacteur et blogueur à mes heures