[Flash #43] We Hate You Please Die, Qoniak et Osees

Un nouveau numéro flash qui hurle son manque de rock indé, cette musique vivante, suintante, rituelle, rageuse, sauvage et libre. Un numéro flash animé par la frustration et donc par cette furieuse envie de guitares agitées, de distorsions bouillonnantes, de synthés cradingues, de caisse claire qui claque, de batteries hystériques, de basses pachydermiques, de voix qui s’arrachent, de riffs qui se répètent à en devenir fou… Un numéro flash autour de sessions épidermiques et actives de We Hate You Please Die, Qoniak, Osees, dégottées ici et là au cours d’une profonde insomnie.

[Session] We Hate You Please Die x Bruitalismes

Difficile de ne pas commencer ce numéro flash, autrement qu’à travers une session issue de Bruitalismes, pourvoyeur héroïque et gourmand de « live » en version garage depuis quelques mois (Jullius Spellman, Modern Men…) et belle réponse à la morosité ambiante. Dans une année étrange, maussade, quel meilleur groupe d’ailleurs que We Hate You Please Die, pour relancer la machine, et croire que tout est encore possible ! Leur mixture post punk garage n’a besoin d’aucun artifice pour faire exploser les vumètres, secouer le bananier, déclencher les passions. Fiers d’un nouvel EP détonnant sorti il y a quelques mois (« Waiting Room ») et de la réédition de leur déjà cultissime album « Kids Are Lo-Fi » (avec le label Howlin’ Banana), les quatre Rouennais démontrent à ceux qui pouvaient encore en douter qu’ils sont actuellement un des groupes les plus énergiques et décomplexés du circuit rock indé. Quatre titres balancés avec une envie palpable et communicative en l’espace de onze minutes ! Ils s’enchaînent à merveille, pied au plancher et le nez dans le guidon. Que dire ainsi de la version incendiaire et expressive de « Coca Collapse » (morceau emblématique et inaugural de l’EP « Waiting Room »), activant un brin de folie digne des Buttholes Surfers, et où ce cher frontman Raphaël Balzary donnerait l’impression qu’Armand Gonzalez (époque Sloy) aurait sauté les deux pieds joints dans un morceau bien punk des Beastie Boys. Sur « Melancholic Rain », c’est toute la complicité du groupe qui se révèle à travers ces chœurs haletants, à travers le groove insidieux et collectif déclenché par l’activité bouillonnante et précise de l’impeccable tandem basse-batterie (Chloé Barabé et Mathilde Rivet). Du côté de Joseph Levasseur, la guitare devient rapidement frénétique et inarrêtable, mais sans excès et toujours au service de la fraîcheur permanente du groupe. Le moment s’achève avec brio, dans une mise en scène particulièrement expressive de « Support Your Local Liars » (toujours extrait de « Waiting Room »), amplifiée par ces accords de guitares enlevés qui personnalisent avec délice ce morceau de bravoure ultra efficace. Avec la sortie récente du clip psyché et naïf du morceau « Figure It Out », si vous passez à côté de We Hate You Please Die, c’est que vous le faites vraiment exprès.

En plein bouclage de l’article, comme par magie, un clip est apparu du côté de WHYPD. Revenant sur le concert vivant et malin du groupe au 106, à Rouen, il y a seulement quelques jours, voici un nouvel exemple jubilatoire que pas grand-chose ne pourra décidément empêcher les We Hate You Please Die de vivre à fond leur musique et leur passion.

La réédition vinyle de l’album « Kids Are Lo-Fi » est toujours disponible via une collaboration entre Howlin’Banana et Kids Are Lo-Fi (le label des WHYPD).

L’EP « Waiting Room » est disponible en version physique et digital sur Bandcamp.


[Session] Qoniak – Scoul (Live session à La Coupole)

Du côté de la Suisse, le duo Qoniak s’impose comme un phénomène percutant et minimaliste, avec une formation se résumant à une batterie et des claviers. Depuis un premier album en 2013, Lionel Friedli et Vincent Membrez s’amusent en effet à mélanger l’élasticité du funk avec la rigueur du math rock, l’énergie de la techno indus au foisonnement du jazz rock. Dans cette session ressemblant à s’y méprendre à une jam inspirée (et pourtant le morceau « Scoul » sera bien présent sur leur prochain album « Mutatio », dans une version au mix plus travaillé et au relief plus nuancé). Dans un face à face extrêmement appliqué, les deux musiciens se défient mutuellement dans la construction très vivante d’un groove vicieux. Par moment, on serait tenté de se projeter dans le décor, comme pour un véritable concert, siffler, hurler, vociférer pour pousser le groupe dans ses retranchements. Le moment est vraiment celui de l’instant, dans la lignée de certaines performances live en groupe de Squarepusher, pour un duo finalement très proche des emblématiques Zombi, mais sans leur obsession pour la synthwave et Carpenter. On oserait presque une comparaison délirante pour décrire cette session, comme un étonnant line check imaginaire entre Stevie Wonder sous LSD, provoqué dans le débat par John Marshall, l’un des batteurs historiques du groupe de rock progressif Soft Machine, et qui serait sonorisé par Steve Albini. Plus sèche, mais pas moins captivante que la version album de « Scoul », cette session symbolise l’humeur agitée  qui habite actuellement Qoniak, et par extension son futur LP, comme une sorte de catalyseur et d’accumulateur de grooves déviants, qui pourrait rendre jaloux et renvoyer à leurs chères études, Justice et Sebastian réunis, dans leurs envies de rock progressif, pour une démonstration réalisée sans ordinateur aucun ni aucune séquence, avec une science du placement rythmique absolument démoniaque.

« Mutatio » de Qoniak sortira le 16 octobre 2020 sur Hummus Records.


[Session] OSees – Chem Farmer / Nite Expo (Levitation Sessions)

Nous n’ouvrirons pas aujourd’hui au sein de notre rédaction, un débat stérile sur l’intérêt réel de la discographie pyramidale et prolifique des Américains de Thee Oh Sees, ni sur leur désagréable habitude de changer de nom à la marge. Parfois c’est sans conteste possible, la musique qui donne la meilleure des réponses face à ces mauvaises manies du « rock critique » de tout analyser et de tout mettre en perspective. La session qui suit est tout simplement l’une des plus jouissives qu’il nous ait été donné d’observer depuis quelque temps, dans ce passe-temps palliatif à parcourir les internet (avec certainement la session énorme du trio Slift enregistrée pour KEXP à l’occasion des dernières Trans Musicales de Rennes). La caution du festival Levitation d’Austin n’est certainement pas étrangère à cet emballement. Néanmoins, avec ses deux batteurs (Dan Ricon et Paul Quattrone) à l’unisson, remontés comme des pendules, cette joyeuse bande toujours emmenée par l’inébranlable John Dwyer, joue la carte du medley express en combinant « Nite Expo » (extrait de l’album « Orc » (2017)) avec « Chem Farmer » (extrait d’un EP de 2011). Et comme le déclare à juste titre, et spontanément, le boss en fin de gig, ils ont pris du bon temps. Si le registre est évidemment celui du garage, se déverse avec une envie folle dans cette version psycho, post-punk, synthwave, stoner, grunge… Beaucoup moins démonstratif et excessif qu’à l’accoutumée, OSees fait ici preuve d’une efficacité diabolique, sans rien enlever à son énergie légendaire. De quoi redonner sa chance à « Protean Threat » (disqualifié par principe et certainement un peu rapidement), dernier disque studio en date de l’année 2020 des Osees, à moins que nous n’ayons encore loupé un épisode. Enfin pas vraiment, puisque cette fameuse session, en intégralité, serait disponible très bientôt sur Bandcamp en digital. Notre rédac chef préféré a été missionné pour confirmer cette information de la plus haute importance puisqu’on annonce également un tracklisting à faire se damner les fans (et les moins fans) : « The Fizz », « Night Crawler », « Static God »…

« Levitation Sessions » de OSees, sortie le 9 octobre 2020 chez The Reverberation Appreciation Society.

Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.