[LP] The Dead Mantra – Saudade Forever

The Dead Mantra fait partie de cette catégorie de groupes assez étranges dont l’estime qui leur est portée n’a d’égale que leur relatif anonymat. L’injustice est totale. Peut-être étaient-ils arrivés un peu trop en avance, balisant les sentiers d’un revival qui tourne à l’indigestion.

Ayant débuté vers 2008 en suivant les traces établies par un Brian Jonestown Massacre ou un Black Rebel Motorcycle Club, le groupe s’éprend rapidement pour l’ensemble du vivier shoegaze pour progressivement déconstruire le genre, leur premier album « Nemure » posant les bases d’une identité à la fois sombre et gothique. Ce nouvel et possible dernier opus, « Saudade Forever », est l’aboutissement de cette démarche. Ou peut-être les a-t-on catégoriser « shoegaze » un peu à la hâte ?

Commençons par ici : « Saudade Forever » est une œuvre totale. La tristesse absolue des textes résonne tel le cri du cœur du chanteur Paul Boumendil sur le morceau titre « Saudade Forever », hurlé encore et encore dans le vacarme d’une gorge douloureuse, comme pour arrêter une fin du monde déjà proche. « Le Festin Des Dieux » de Paulus Willemsz, choisi pour la pochette du disque, peut d’ailleurs faire écho à cette mort imminente avec la symbolique mythologique de Saturne, dieu du temps et de la mort, un sablier à la main, prêt à dévorer ses enfants (maîtres du monde souterrain, du ciel et des mers). Toutes religions confondues, le sacré est une thématique inhérente à The Dead Mantra, « Nemure » et sa sublime pochette dessinant les contours d’une nef dorée. C’est la beauté qui émerge du chaos.

The Dead Mantra s’affranchit des codes relatifs au genre. Peut-être l’amitié qu’a lié le groupe avec ses confrères d’outre-Manche Spectres n’est pas sans rapport avec la liberté assumée de sa musique. Alors qu’il est si facile de joindre le saint triptyque « chorus/reverb/delay » des guitares à des chansons neurasthéniques pour être qualifié de shoegaze ou dreampop, les Manceaux jettent l’idée au placard et se concentrent sur la destruction du son. Le travail avait déjà été bien entamé avec « Nemure », qui donnait une dimension physique à leur son. Cependant, « Saudade Forever » va plus loin. Les larsens sont laissés en liberté aussi bien sur la voix que sur les guitares, et ceux-ci se révèlent être finalement une sorte d’instrument supplémentaire joué par un musicien invisible. On oublie la mollesse quasi systématique de beaucoup de leurs anciens confrères ; le groupe assume désormais son amour du metal.

En effet, « Saudade Forever » est un album noir, très noir et dont la palette d’influences est large. On reconnaît celle de groupes black metal de la dernière vague, eux-mêmes influencés par le mouvement shoegaze comme les Français d’Alcest (qui avaient d’ailleurs invité Neil Halstead de Slowdive sur leur album « Shelter ») ou Deafheaven, dont les blast beats et les ambiances vaporeuses poussent les murs de la maison-mère metal au même titre que Liturgy, leur affection poussée du sacré et du transcendantalisme rappelant la démarche de The Dead Mantra. Je me souviens avoir entendu, il y a des année,s Paul Boumendil dire que Burzum, d’une certaine manière, était un groupe shoegaze ; ce qu’est The Dead Mantra, précisément marqué par ce trait d’esprit. Au-delà du fait de créer de la musique comme d’autres font du sport, les membres de The Dead Mantra ont clairement un propos qui se traduit par la dureté de leur son, une réflexion sur la musique atmosphérique qu’on peut peut-être désigner comme étant spirituelle dans leur tête. Rien de neuf sous le soleil, diront certains ; pourtant, ils ne sont la copie de personne.

Si l’on en croit le groupe, The Dead Mantra signe, avec « Saudade Forever », son dernier album provocant ainsi sa mort clinique. Quel gaspillage ! Comment est-il possible qu’un tel groupe, qui aurait pu prétendre à une résonance si large, s’éteigne si subitement dans un silence lourd ? Il faut espérer que ceci ne soit qu’une mauvaise blague et que « Saudade Forever » ne devienne que le second d’une série encore longue à vivre.

« Saudade Forever » de The Dead Mantra, sortie le 23 février 2018 chez Cranes Records.


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Maxime Dobosz

chroniqueur attaché aux expériences sensorielles inédites procurées par la musique