Force est de constater que le deuxième EP « Dear Ghost » du duo dream pop lillois The Breakfast Club a trouvé sa place sur la platine depuis plus d’un an, sans qu’aucune lassitude ne vienne s’installer, avec même l’impression de le voir, jour après jour, mois après mois, comme un nouveau compagnon de route précieux et proche. Un morceau comme « Swim Deep » symbolise parfaitement la puissance émotionnelle exceptionnelle, qui émane de la musique aérienne et mélancolique du groupe. Le côté resserré de l’instrumentation ouvre une profondeur de champ impressionnante, pour un tandem qui laisse respirer sa musique, qui laisse aussi les notes, les mots, les silences prendre leur temps pour fixer les émotions en apesanteur. Il faut manifester beaucoup de maîtrise et de soin pour activer une musique aussi pure, aussi juste dans cette manière d’agencer les différentes strates sonores, sans rompre un fil narratif aussi mystérieux que captivant. Même si nous n’oublions évidemment pas que l’inspiration de cet EP est liée aux épreuves de la vie, le deuil, la disparition, le manque, l’absence… et que dans les premiers temps, il révélait surtout sa part d’ombre, de tristesse.
Aujourd’hui, c’est son côté vibrant, solaire qui ressurgit et rayonne. C’est ainsi avec un immense plaisir que nous pénétrons les coulisses de la « Création » avec Léonie Young et Julien Puyau.
« Swim deep in the water tell me what you see », le refrain du morceau, c’est une phrase qui m’était venue il y a quelques années à un concert à la Péniche à Lille. Je (Léonie) l’avais notée dans un carnet et elle est restée là longtemps avant de devenir un morceau. Je suis assez terrifiée par les eaux profondes et je suis contente que d’autres aillent s’y aventurer pour me dire ce qu’il s’y passe. En parallèle, une amie me parlait de ses sessions de piscine où l’eau devient un espace de liberté, de jeu, et le corps retrouve sa légèreté. Les profondeurs deviennent une bulle à soi, une exploration intime d’un espace inconnu.
On a composé ce morceau à Dunkerque pendant une résidence de création aux 4Écluses. Probablement que le temps passé si proche de la mer a fait apparaître ces paysages dans nos compositions et la phrase du carnet a refait surface. Il y a de la mélancolie dans le paysage des plages de la mer du nord et ça résonne fort avec notre musique.
Pendant cette résidence au 4Écluses, on a retravaillé une idée de gimmick à la guitare que Julien avait gardé sur un petit enregistreur. On composait et jouait beaucoup avec des loopers à ce moment-là ; ça se sent car le morceau évolue autour de ce gimmick qui est présent sur tout le morceau sauf sur le refrain, passage un peu rupture du morceau. Cette mélodie du refrain est arrivée rapidement et la phrase « Swim deep in the water tell me what you see » est revenue à la surface. Ensuite, on a eu envie d’un simple kick comme élément rythmique fort, quelque chose d’assez sourd capable d’évoquer les profondeurs ou le battement d’un cœur.
Juste avant d’entrer en studio pour enregistrer l’EP « Dear Ghost » avec Romain Delbi, on a trouvé sur Leboncoin un Moog Sub Phatty, ça faisait un moment qu’on cherchait ce synthé. Il était parfait pour « Swim Deep », c’est le son de basse qu’on voulait et cette nouvelle acquisition tombait à pic.
C’est un morceau qu’on aime particulièrement jouer en live, c’est peut être même notre morceau préféré de l’EP ! Et il nous a vite inspiré des images, des paysages et des décors, on avait très envie d’en faire un clip. On a commencé par réfléchir à des décors construits en studio, des espaces et des objets qui évoqueraient les fonds marins. C’est comme ça qu’on s’est retrouvés par exemple à acheter une collection de boules à neige dauphins sur Leboncoin. C’est nous qui avons conçu la scéno et les différents tableaux du clip. Étant aussi artiste plasticienne (Léonie), c’est un terrain de jeu qui me plaît. Puis on a lancé Nico et Anto du collectif de vidéastes Attic Addict. On avait notamment travaillé avec eux sur une vidéo live pour notre nouvel EP.
On aime beaucoup l’esthétique de leurs vidéos et photographies, leur travail de la lumière, ça collait parfaitement avec ce qu’on avait en tête pour ce projet. Séverine Cagnac, du groupe Accidente, a rejoint l’équipe sur le tournage qui s’est déroulé dans un studio lillois – le 34 rue Aristote – un chouette lieu d’espaces partagés par des artistes où j’ai (Léonie) un atelier.
Le clip « Swim Deep »
On voulait construire une histoire fragmentée avec des images un peu surréalistes, quelque chose d’assez onirique. L’idée était que le·la spectateur·rice soit un peu perdu dans des décors en trompe-l’œil, qu’il·elle ne soit pas tout à fait capable de savoir si les décors sont « réels » ou incrustés en post-production et qu’il·elle perde ses repères dans l’espace.
Le clip ne déroule pas tout à fait une histoire mais nous plonge dans un voyage énigmatique où des tableaux se succèdent. On passe d’un décor dans les nuages à une mer en tissu puis on plonge de plus en plus profondément dans des décors de fonds marins. Ces mondes aquatiques sont aussi une métaphore de nos paysages intérieurs, de nos propres profondeurs. Les paroles parlent d’un corps qui retrouve sa légèreté, de l’eau froide sur la peau qui réveille les sensations. Dans « Swim Deep », à partir du moment où l’on « entre » dans l’eau, le corps se met en mouvement, il y a cette danse des abysses qui se veut libre et fluide.
Le clip se termine sur la boule à neige, qui pourrait contenir tous ces décors rêvés. On garde une légère frustration : sur la collection complète de nos boules à neige, il n’y en a qu’une seule qui apparaisse dans le clip (rire).
Il est étonnant de percevoir comment les deux complices de The Breakfast Club cultivent humilité, retenue, pudeur, simplicité, générosité, intelligence, créativité dans ce numéro de création. Ils démontrent ô combien la musique en tant que médium, et plus généralement l’art, leur permet de jouer avec le réel, de le mettre à distance sans totalement le perdre de vue. Leur leitmotiv esthétique est un véritable appel aux sens tant ils jouent merveilleusement bien des contrastes, des intervalles et des illusions, que ce soit dans le son, dans le rythme, dans l’image, dans les symboles… Nous ne pouvons que vous inciter à repérer les prochaines dates de leur tournée, pour vérifier à votre tour, toutes ces impressions dans la vérité du live.
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