[LP] The Apartments – Fête Foraine

L’histoire des musiques populaires fourmille de rendez-vous ratés avec le public, et parfois en dépit d’un talent exceptionnel et de chansons magnifiques. C’est le cas du groupe australien The Apartments. Heureusement, depuis quelques années, sous l’impulsion de grands amoureux du groupe, ainsi que des labels Microcultures et Talitres, de très belles rééditions rendent hommage au groupe de Peter Walsh, en parallèle à la sortie de nouveaux disques, comme le très lumineux « No Song, No Spell, no Madrigal » sorti en 2015.

L’histoire de The Apartments se confond évidemment avec celle de son fondateur et leader, Peter Walsh : une succession de désillusions, de dépressions et d’incompréhensions, mais aussi de disques bouleversants comme « The Evening visits …and stays for years » (1985 / Rough Trade) ou le très intense « Drift » sorti en 1993. Depuis quelques années, pour notre plus grand plaisir, nous assistons à une résurrection de ce joyau, né à la fin des années 70 du côté de Sydney.

La genèse et la motivation de « Fête Foraine » est singulière à bien des égards. La France a toujours été là ; ou, en tout cas, les « Frenchies », amateurs de musiques pop raffinées, ont toujours eu un faible pour ce groupe pas comme les autres. Ainsi, quelque part, notre objet du jour est un disque apaisé, où Peter avait semble-t-il renoncé à l’appel du succès et aux sirènes de l’industrie musicale pour se concentrer sur ce qu’il sait faire de mieux : mettre en musique toutes les nuances du sentiment humain. En 1996, cette œuvre précieuse est ainsi uniquement envoyée, par correspondance, à quelques heureux passionnés. La musique de The Apartments n’a certainement jamais aussi bien libéré ses belles émotions que dans ce trésor à l’esthétique volontairement dénudée.

Modeste et pourtant ambitieux, « Fête Foraine » est, ainsi, un bonheur simple, parfois léger telle une belle brise d’été, comme saisissant tel un grand froid d’hiver pénétrant et glaçant. La volonté acoustique de ce LP, pour ne pas employer le terme « unplugged » alors à la mode, le fameux enregistrement de Nirvana ayant laissé des traces dans l’imaginaire de l’époque, lui confère une dimension intemporelle et tout simplement imparable. En même temps, se réunir avec une bande de musiciens pour une session et enregistrer le tout sans artifice n’a rien d’exceptionnel en soi. Pourtant, Peter Walsh réinterprète ici la matière de son groupe avec beaucoup de retenue et d’humilité ; de façon assez chronologique, d’ailleurs. Le disque s’ouvre sur « What’s The Morning For », qui se débarrasse ainsi de son habit, symptomatique des sonorités typiques des années 1980 (et, en premier lieu, le son de la batterie, pour ne citer que lui…). Dès ce premier morceau, c’est bien sûr toute l’élégance de la plume de notre homme qui se révèle à travers un minimalisme de circonstance, tendrement souligné par un piano discret et agile. Formation inédite et réunie pour l’occasion, elle fait la part belle à de fins instrumentistes comme Chris Abrahams au piano  et Miroslav Bukovski à la trompette et au Bugle.

Près de vingt ans se sont écoulés, les versions de « Not every clown can be in the circus » et « Sunset Hotel » dessinent un univers tourmenté, poétique et sensible, marqué par une indéniable écriture lettrée et élégante. Pourtant, il n’y a rien d’impressionnant ou d’exceptionnel dans cette œuvre libérée et organique, même si elle respire l’expression d’une profonde humanité et d’une sensibilité à fleur de peau, rare en ce bas monde. Bien sûr, un débat de puristes pourrait s’ouvrir sur les meilleures réinterprétations de la setlist. Par effet de miroir, ce sont bien les morceaux de « A life full of farewells » qui prennent ici leur revanche pour cet album quelque peu méprisé par la critique à sa sortie un an plus tôt. Ainsi, « Paint the days white », qui clôt ce disque, impose sa beauté fragile et sa mélancolie hivernale comme le témoignage troublant des tourments de l’âme de notre poète.

The Apartments symbolise la pertinence d’une approche australienne de la musique pop et, plus largement, rock (assez inexplicable d’ailleurs, si ce n’est en raison de la distance !), ayant attiré les regards et la convoitise du monde entier, mais avec une hauteur, pour ne pas dire un mépris, parfois totalement détestable. Le groupe n’atteindra jamais la popularité de ses contemporains The Go-Betweens et, bien plus encore, de l’imposant Nick Cave et de ses Bad Seeds. Obsédé par sa vision romantique de la musique, Peter Walsh aura certainement sacrifié la carrière de son groupe par absence d’opportunisme et par sa soif de liberté artistique, judicieusement célébrée avec beaucoup de justesse dans cette somptueuse réédition.

crédit : Bleddyn Butcher

« Fête Foraine » de The Apartments est disponible depuis le 17 novembre 2017 chez Riley Records / Differ-Ant / Microcultures.


Retrouvez The Apartments sur :
Site officielFacebookBandcamp

Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.