[Clip] Temps Calme – Ice Floe

La musique libre et évocatrice de Temps Calme aime les digressions, les développements, les parenthèses, les détours, les soulèvements, les envolées… Les Lillois réinventent le rock progressif et la pop psychédélique dans le temps présent, dans une période où la technologie s’insinue toujours plus dans nos modes de vie, dans la création musicale, dans les relations humaines, dans nos imaginaires… Mais à trop vouloir inspecter la forme avec Temps Calme, nous pourrions en oublier le fond. Le fond qui se manifeste avec intelligence dans le clip conscient d’« Ice Floe » qui isole, par la superposition des images autoroutières urbaines, le symbole de la voiture omniprésente : objet fétiche de la modernité et exemple ultime de l’exploitation carnivore des ressources de la planète.

 La société de consommation, les grandes industries, la technologie, le progrès… autant de thématiques qui ont nourri de grands disques de l’histoire du rock et des musiques électroniques : Kraftwerk, CAN, Depeche Mode, Cabaret Voltaire, Einstürzende Neubauten… et plus proche de nous, Dopplereffekt, Mogwai, Fragments… Du côté de Temps Calme, cette conscience s’exprime dans une poésie de l’implicite, à l’image du texte mystérieux de « Ice Floe », qui pourrait ramener aux confessions d’un ours polaire qui voit la banquise fondre. Mettre en résonance ce désespoir du vivant avec les dédales d’autoroutes et d’échangeurs, irrigués par le flux ininterrompu des voitures, est un principe aussi intrigant que parlant.

Ce ballet incessant des automobiles donne le tournis. Les lignes qu’il dessine forment des courbes à la géométrie fascinante, en particulier la nuit. D’une certaine manière, toutes ces voitures se dirigent irrémédiablement vers la casse, dans une forme d’aberration intellectuelle du progrès, qui tend vers une forme de folie et de déraison. Et par moments, nous pouvons nous demander s’il n’y a pas (plus) que l’art, en particulier, la musique, pour ramener un peu de raison et d’humanité, dans cette course folle de la croissance infinie. Le processus créatif et instrumental de Temps Calme est lui-même imprégné par cette réflexion. Le groupe construit sa musique autour d’un instrumentarium volontairement resserré, qui les pousse vers plus d’inventivité. Sa musique ne souffre d’ailleurs pas du tout de cette forme de sobriété, bien au contraire. Elle marque de son sceau l’identité sonore et instrumentale de Temps Calme, où la voix prend d’ailleurs une dimension centrale, comme sur « Ice Floe ».

Le trio lillois fait vivre cette conscience au cœur de sa démarche artistique plus globale : c’est ainsi que dans une coopération en circuit court avec le fidèle Antoine Pouilly (lui-même musicien, déjà à l’œuvre sur « Emie » en 2020), s’est construit ce patchwork cinématique du monde post-industriel. Il ouvre un nouveau niveau de lecture du sublime album « Vox III » sorti l’an dernier, et qui n’a certainement pas eu toute l’attention qu’il mérite, à commencer par celle de la rédaction du Chantier. Mais il n’est jamais trop tard pour réparer cette « injustice », surtout pour un disque, qui s’inscrit musicalement aussi naturellement dans le temps long.

« Vox III » de Temps Calme est disponible depuis le 7 octobre 2022 chez Synesthesic Experience, Chancy Publishing et Kuroneko.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.