C’est finalement une forme de contrepied que de se nommer Temps Calme pour un groupe de rock indépendant. Mais un contrepied qui n’a peut-être jamais aussi bien collé à leur identité esthétique, au moment de la découverte de leur nouveau morceau « Emie ».
Naviguant depuis leurs débuts, dans des espaces oniriques sinueux et étranges, entre naïveté baroque et déviance psychédélique, le trio ne s’était pas encore montré sous un jour aussi mélancolique. Il le fait aujourd’hui au travers de marqueurs émotionnels généralement associés à la cold wave, au shoegaze voire au post rock et plutôt étranger au krautrock, au jazz-rock et rock progressif, le territoire premier semble-t-il de ses influences, que nous pourrions représenter par des mythes aussi imposants que Soft Machine, Can et autre Faust. Ainsi ce titre ouvre aujourd’hui un nouveau chapitre de l’histoire du groupe, en route vers son premier album. Il n’est peut-être pas un indice significatif de l’évolution en cours à habiter la genèse de ce futur long format. En attendant, plongée en immersion dans un imaginaire « sci-fi » très spécialisé, à travers le montage subjectif réalisé par le passionné de cinéma de genre, Antoine Pouilly.
De leurs différentes expériences musicales passées ou actuelles (Ed Wood Jr, Black Bones, Roken is Dodelijk…), les trois musiciens aguerris de Temps Calme retiennent certainement ce rapport à l’espace, à l’évasion, à la verticalité. Très vite d’ailleurs, le contexte nous renvoie au travail du groupe Mogwai pour le film « Atomic », du réalisateur irlandais Mark Cousins. Bien sûr, les moyens et l’ambition ne sont pas comparables. Pourtant les points communs ne semblent pas manquer : l’esthétique vintage des extraits vidéo utilisés et ce rapport créatif à l’abstraction, entre autres. Sur l’introduction du morceau, puis sur le pont central, le côté aérien, presque spatial de l’instrumentation ouvre un chemin qui pourrait être celui du post rock.
Les choix d’enregistrements autonomes du groupe ne sont peut-être pas étrangers à cette sensation. Le développement est quant à lui le lieu d’une posture esthétique évanescente, qui verrait symboliquement le spleen exacerbé de Jessica93 (époque « Rise ») survoler les ambiances cotonneuses de La Battue. Dans un premier temps, c’est d’ailleurs le chant qui semble montrer la direction à prendre, qu’elle soit mélodique, rythmique et bien sûr visuelle, puis progressivement il se fait aspirer par les ascenseurs harmoniques développés par la complicité entre la guitare, la batterie et le clavier basse. Symboliquement, ces envolées vocales solitaires ressemblent à des appels dont les réponses semblent se perdre et s’éloigner de plus en plus profondément dans la matière sonore, et finalement ne jamais arriver. Si ce côté énigmatique peut nous laisser quelque peu sur notre faim, il a aussi l’énorme vertu de susciter un vif désir avec la perspective d’un développement au long court, et la révélation narrative de cette histoire mystérieuse qui s’est soudain ouverte devant nous.
« Emie » de Temps Calme est disponible depuis le 5 juin 2020 chez Differ-Ant / Chancy Publishing.