[Interview] Séverin, photographe-portraitiste

En parallèle de son groupe, Parlor Snakes, où il officie en tant que bassiste, Séverin est également photographe. Avec un style bien à lui, cet amoureux de la photographie studio épurée s’attache à refléter le caractère, souvent singulier, parfois bien trempé, des musiciens venus poser devant son objectif. C’est ce rapport entre la musique et l’image que nous continuons d’explorer avec lui, après avoir donné la parole quelques jours plus tôt à un autre artisan de l’image, le Rennais Jérôme Sevrette. Entretien en cabine et sous les néons multicolores avec Séverin.

Laure Briard - crédit : Séverin
Laure Briard – crédit : Séverin
  • Salut Séverin ! Tu es photographe freelance depuis quelques années. À quand remontent tes débuts dans cette belle entreprise ?

J’ai commencé à appréhender la photo sérieusement depuis maintenant trois ans ; c’est encore tout jeune. Étant également musicien, j’ai naturellement fait de la photo de live, en capturant les groupes avec qui on partageait la scène. Déjà, en photo de concert, je faisais presque exclusivement des « portraits » : pas de photo d’ensemble, presque uniquement des photos des musiciens avec leur guitare, assez serrés côté cadrage. J’ai passé le pas avec mon groupe, dans lequel j’étais à l’époque un simple remplaçant du bassiste qui y jouait. Ils avaient besoin de nouvelles photos, on a fait une séance. J’ai bien aimé l’expérience, la recherche d’idées, de mise en scène ; et, surtout, le travail de la lumière. Je me suis donc lancé naturellement dans le portrait d’artiste musicien, c’est le cadre que je connais le mieux. C’était plus facile d’entrer en contact avec les artistes ; étant moi-même musicien, je connais les codes et le fonctionnement de ce milieu. Cette envie de faire de la photographie m’a semblé venir naturellement. Je crois qu’elle a toujours été en moi, ça a juste mis un peu de temps à venir, mais je trouve que c’est un bon timing.

Pamela Hute - crédit : Séverin
Pamela Hute – crédit : Séverin
  • Comment présenterais-tu, avec tes mots, ton travail et ton univers photographique ?

C’est toujours difficile pour moi de parler de mon travail avec précision, et je ne suis pas très doué pour discuter de ça avec de belles phrases remplies d’adjectifs compliqués. Je laisse ce travail aux gens compétents. Tout ce que je peux dire, c’est que mon univers est venu en alliant envie et contrainte ; à savoir, mon envie de travailler la lumière, et tout simplement les contraintes d’espace et de lieux.

Fiona Walden - crédit : Séverin
Fiona Walden – crédit : Séverin
  • En allant découvrir tes clichés exposés sur ton site Internet, j’ai pu constater que tu consacres des portraits exclusivement à des musiciens. Pourquoi ce choix ?

Ça a été un choix naturel au départ, du fait d’être suis également musicien, comme je le disais précédemment. J’aimerais, bien sûr, offrir mes compétences aux autres domaines artistiques et prendre des acteurs, des écrivains, des créateurs de tous horizons … Mais comme pour la vidéo, où les clips musicaux sont parfois très créatifs et où les réalisateurs peuvent laisser libre cours à leurs envies, il y a une certaine liberté dans les portraits de musiciens que j’apprécie énormément et qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. C’est donc un domaine dans lequel j’ai envie de rester le plus longtemps possible.

Dani Terreur - crédit : Séverin
Dani Terreur – crédit : Séverin
  • Tu es toi-même bassiste au sein du groupe rock parisien Parlor Snakes. As-tu l’impression, en tant que musicien, de mieux comprendre les attentes d’un groupe ou d’un artiste qu’une personne extérieure à ce milieu, pour capturer une ambiance ou traduire un caractère, une personnalité dans tes clichés ?

Je ne crois pas être plus apte à comprendre les attentes des artistes ; c’est juste que j’ai peut-être plus de choses à raconter côté musique. On peut parler d’instruments, de concerts, du business musical, d’influences, d’autres groupes et, parfois, ça peut aider à détendre l’atmosphère quand on se retrouve avec quelqu’un qui n’a pas l’habitude ou qui n’aime pas de se retrouver devant un objectif (rire). Je sais aussi ce que c’est de passer devant l’objectif. Du coup, j’essaye de prendre soin des artistes pour qu’ils se sentent bien et qu’on passe un bon moment. La séance photo avec un artiste est un peu comparable à un concert : il y a toujours un peu de tension, un peu de trac comme avant de monter sur scène. Sauf qu’en studio, il n’y aura pas une deuxième chance avec l’artiste si les photos ne lui conviennent pas. En concert, tu auras d’autres sets pour rétablir ça. En studio, il faut que ça marche et que ce soit réussi, autrement on ne reverra plus jamais l’artiste. J’aime bien cette contrainte, ça oblige à trouver de bonnes et nouvelles idées tout le temps et à ne pas rester sur ses acquis.

Zo - crédit : Séverin
Zo – crédit : Séverin
  • Ton travail sur les portraits réunit plus de femmes que d’hommes, plus d’artistes que de groupes également.

Oui, c’est vrai, il y a plus de femmes et plus d’artistes solo. Je pense avoir un univers plus féminin que masculin et, du coup, je suis rarement contacté par les groupes rock’n’roll, hip-hop ou metal. Je suis bassiste dans un groupe de rock, mais j’écoute plein de styles différents et cela me fait également plaisir de changer d’univers musical grâce à la photo. Le fait qu’il y ait plus d’artistes solo est purement un hasard, mais j’apprécie le tête-à-tête qu’il y a entre l’artiste solo et le photographe ; on est dans une ambiance complètement différente d’une photo de groupe.

Gatha - crédit : Séverin
Gatha – crédit : Séverin
  • Qui, de l’artiste ou de toi, fait le premier pas vers l’autre ? Qu’est-ce qui te plaît, te parle et t’inspire chez ces différents créateurs ?

Pour le premier pas, c’est variable. J’ai d’abord commencé par contacter les artistes puis, petit à petit, on est également venu vers moi. Le bouche-à-oreille commence à fonctionner ; le milieu de la musique est une petite famille, encore plus quand on entre dans « les chapelles » musicales. Une photo va forcément être vue par d’autres artistes qui vont venir ensuite vers moi.
L’inspiration vient bien évidemment, à la base, de leur musique ; c’est vraiment là que ça débute. Si je n’accroche pas à ce qu’ils font, j’aurai du mal à être inspiré.
J’aime shooter les personnes qui défendent quelque chose, un projet ; je ne suis pas un photographe de mode qui prend un mannequin portant des jolies fringues, ça ne m’inspire pas. Ce que je dis n’est pas à prendre au sens péjoratif, car je respecte la créativité qu’il y a dans le monde de la mode. Mais ça ne me convient pas, tout simplement. J’ai besoin, à la base, d’être stimulé par la personne en face et, pour l’instant, ce sont des artistes musiciens. Mais j’espère pouvoir réaliser, dans le futur, des portraits de personnalités venant d’autres domaines artistiques. L’idée est de traduire par l’image leur personnalité et leur univers. Si l’artiste se reconnaît dans la photo et que je suis satisfait du résultat, c’est-à-dire que les deux personnes de chaque côté de l’objectif se reconnaissent dans l’image, alors c’est réussi.

Maryvette - crédit : Séverin
Maryvette – crédit : Séverin
  • Pour moi, tu es avant tout un photographe de studio avant d’être un photographe de concert.

Oui, la photo de live, c’était vraiment au début. Je n’en fait plus maintenant, ou alors très très rarement. Je trouve ça un peu moins créatif à mon goût, et d’autres font ça bien mieux que moi. Il y a tellement de photographes aux concerts maintenant, ça permet de laisser bosser les autres (rire) !

  • L’identité de tes clichés trahit cette préférence, sinon ce goût, pour une lumière maîtrisée et des conditions (tons, éclairages) sur mesure. Es-tu de cet avis ?

Effectivement, j’essaye de transcrire mes idées au mieux. À la base de chaque idée, il y a une envie de lumière ; c’est souvent là que ça commence. Cela implique, derrière, une maîtrise de tous les éléments qui entrent en compte pour créer une image. J’accorde de l’importance à la lumière et je cherche toujours de nouveaux moyens de l’utiliser. J’essaye de trouver également de nouveaux effets à réaliser en direct et sans retouches numériques – car j’ai horreur de passer du temps sur du post-traitement – et je choisis les couleurs suivant les univers des artistes. Les effets sont plus aléatoires et peuvent amener des accidents qui sont parfois les bienvenus. Après, suivant l’inspiration, je peux très bien faire une photo en noir et blanc très sobre et très simple ; j’aime énormément le noir et blanc. Ensuite, tout est possible : je prépare mes séances, mes lumières ; et puis, pendant la séance, une idée surgit, rien n’a été préparé, mais j’essaye quand même et, parfois, ça fonctionne tout aussi bien comme ça. Ça reste ouvert. Je laisse place à l’inattendu quand il se présente.
Cette façon de travailler, qui a esquissé mon univers, je la dois à deux choses. D’abord, à une contrainte, car j’ai commencé à faire des photos dans mon salon, puisque j’ai la chance d’en avoir un grand. L’idée de faire des photos dans un simple appartement ne me convenait pas, donc je suis parti sur l’option des fonds papier photo blanc ou noir. À partir de là, comme le décor sur un fond est inexistant et que j’apprécie le travail de la lumière, j’ai commencé à la travailler, ainsi que les effets, pour compenser cette absence.

Theodora - crédit : Séverin
Theodora – crédit : Séverin
  • Pour poursuivre, d’ailleurs, sur tes shootings studio : si je devais décrire ton travail, je dirais lumineux et coloré, aux premiers abords. Dépouillé également, car tu utilises un fond uni. Le décrirais-tu différemment ? As-tu une autre vision à partager ?

Oui, c’est assez dépouillé, effectivement. J’apprécie particulièrement cela. J’adore les premiers portraits photo du début du siècle, très statiques, ou ceux en peinture. Mon but est avant tout de réussir à faire ressortir la personnalité de l’artiste et son univers de la manière la plus simple et la plus naturelle, de les montrer tel qu’ils sont. Pour ça, je ne me lance pas dans des grandes mises en scène, je préfère rester sobre et me concentrer sur la personne.

  • Une question que je pense difficile : en tant que photographe, quand tu mets ton talent, ta vision, ton style au service d’un projet, comment parviens-tu à concilier ta patte singulière à l’identité propre de l’artiste ou du groupe que tu immortalises ?

C’est bien simple : je suis libre à 100%, je ne fais pas de compromis, les artistes me font confiance et me laissent faire comme je l’entends. Après, ça leur plaît ou non, ils utilisent les images ou pas ; mais ça, c’est une autre histoire. Jusque-là, j’ai eu de la chance, les photos conviennent la plupart du temps (sourire).

Noemi - crédit : Séverin
Noemi – crédit : Séverin
  • On trouve également sur ton site un publireportage en Afrique intitulé « Holy Cab », des photos abstraites et des clichés de paysages et de lieux d’un voyage en Amérique. Les voyages, c’est une autre passion ?

Le voyage n’est pas une passion, c’est plutôt un besoin. Aller voir ailleurs, changer d’ambiance, d’habitude, se sentir moins en « sécurité » sans ces repères et, surtout, faire de la route. J’adore les road trips ; j’en ai fait au Sénégal, aux USA, en Norvège, en Thaïlande, en bus ou en voiture. En France, je voyage aussi pas mal comme ça. On a un super pays pour ça et, même s’il n’est pas très grand, on peut réussir à s’y perdre et se sentir un peu dépaysé. Le road trip est toujours un bon moyen de découvrir le pays, car on va à son propre rythme. On est toujours en mouvement et on s’arrête quand on veut ; on peut prendre le petit chemin de terre sur le côté de la route si on en a envie. En tout cas, en voyage, je fais toujours des photos, mais dans un autre genre. Ça me permet d’explorer d’autres facettes de la photographie, de capturer les instants différemment. En portrait, j’essaye de tout maîtriser. En voyage, je me laisse plus porter par ce qui m’arrive.

Thousand - crédit : Séverin
Thousand – crédit : Séverin
  • Sortir du studio pour photographier des artistes à l’air libre, c’est quelque chose que tu envisages à l’avenir ?

Je ne suis pas fermé à la photo en extérieur. Pour mon travail de portraitiste, je l’ai fait pour trois ou quatre artistes et j’en ferai d’autres selon mes envies et les futurs artistes. Mais j’apprécie l’univers du studio, où il y a un mélange d’intimité, de tension, de concentration qui ne sont pas les mêmes qu’en extérieur. On est dans un endroit sombre et sans fenêtre, un peu coupé du monde ; et, forcément, avec de la bonne musique, ça donne une bonne ambiance de travail (rires) !


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques