[Live] Rock en Seine 2019

Comme un classique de l’été, Rock en Seine fête toujours la musique avant la rentrée. Nous n’avons pas dérogé à notre rituel estival et nous vous proposons une sélection de coups de cœur, surprises, et maîtres du genre venus confirmer pourquoi on les adorait. Récit en texte et en couleur.

The Cure
crédit : Cédric Oberlin

Le set weird-pop le plus cool est sans surprise à attribuer au génial duo Let’s Eat Grandma sur la scène Firestone. Nos nuques se laissent prendre aux rythmes de singles comme « Hot Pink », aux beats appuyés entre folies club et pop expérimentale, ou de l’indescriptible délire de « Falling to Me » : un titre schizophrène intégrant des séquences partant dans absolument tous les sens entre tonalité cristalline et flow RnB et pendant lequel les deux Anglaises se lancent dans une chorégraphie synchronisée sous acide. La scénographie plus aboutie quand il s’agit de reprendre les morceaux d’« I, Gemini », toujours joués dans une symbiose intrigante, notamment grâce à ces longs cheveux coulants sur leur visage et qui contribuent à une impression de mimétisme. Rencontre entre deux albums et donc deux mondes, la performance offre tous les éléments pour assister à un concert incohérent, bizarre qui laisse un sentiment de fascination. On aime se perdre dans leur dédale musical, que le tandem paraît toujours mieux maîtriser.

Avec son premier EP, Clairo avait créé un buzz fou. Elle était donc attendue au tournant de l’été 2019, et n’a pas fait le chemin pour rien : son premier album, produit par Rostam (ex-Vampire Weekend), a reçu un accueil pour le moins dithyrambique de la part des critiques. Pas totalement convaincu, on a voulu s’en rendre compte par nous-mêmes sur la Scène des 4 Vents. Certes l’Américaine y prend encore ses marques, détourne le regard, fuit un peu le public des yeux. Mais tout paraît se mettre en place pour la hisser au panthéon de la pop : plus sereine, plus expérimentée, il ne restera plus qu’à imposer sa pop minimaliste, délicate, parfois catchy, qui sollicite Danielle Haim à la batterie en studio. Elle émerge ainsi du registre bedroom-pop dans lequel on voulait l’enfermer un peu vite : sa mélancolie adolescente s’élève vers quelque chose de plus grand, mélodieux, ambitieux. Certes, les fans de la première heure regretteront les « instantanés » de ses débuts, mais pas de quoi faire la fine bouche : loin d’être surproduits, les morceaux d’« Immunity » témoignent parfaitement du talent tout en subtilité, à saisir avec des gants de velours de cette songwriteuse à la sensibilité déroutante.

Jungle adore Paris, et Paris adore Jungle. Il suffit de voir le nombre de concerts qu’ils y ont joué pour se rendre compte de cette évidence, en même temps que les salles comblent qui en découle. Et à raison : parmi les meilleurs groupes live des cinq dernières années, Jungle a une place particulière dans nos préférences. L’alchimie n’avait pas de raison de ne pas prendre à nouveau à Rock en Seine, où ils avaient en plus marqué les esprits en 2015, déjà à la Cascade. Rebelote, mais cette fois-ci en seconde affiche du samedi derrière la bande à Diplo, en mode prime time. En formation à sept, les Londoniens enflamment aisément le dancefloor avec leurs tubes nu-soul d’une fraîcheur bienvenue. « Happy Man » ou encore « House in LA » donnent vite le ton de leur second album, l’un délicieusement funky, l’autre plus onirique ; bref, du Jungle. Fidèle à la tradition, le groupe transcende ses sons sur scène avec des interprétations nickel redoublant d’intensité dansante pour chaque partition. Les nouveaux Bee Gees séduisent en renouvelant leur catalogue grâce à l’OVNI « Casio », vrai tube de « For Ever » dans lequel ils abandonnent les voix têtes pendant des couplets jouissifs.

Aphex Twin, si précieux et discret promettait autant une claque sonore que visuelle ; la Grande Scène qui lui était attribuée en clôture du festival devant l’inviter à mettre le paquet. Nous n’avons pas été déçus : le Britannique, qu’on attendait seul s’est fait épauler par une comparse aux machines, du haut de leur station de pilotage de prouesses électroniques. Effets lumineux et écrans psychédéliques accompagnent les sonorités aux couleurs froides et sombres du maître, mais qui sur une pente progressive, ont cherché à déclencher, dans un chaos délirant de longues tracks déstructurées, quelques étincelles aux vertus plus dansantes, accélérant le battement par minute, fixant temporairement un rythme voire une mélodie. Transe collective à couper le souffle, les yeux restent en même temps figés sur le puzzle d’images qui sur les écrans reforment l’histoire et l’actualité récente de la France à coup de mix de célébrités défigurées : musique, cinéma, football, télévision, tout y passe à rythme effréné. S’il n’a pas autant attiré les foules que les têtes d’affiche du vendredi et du samedi, Aphex Twin n’a laissé personne indifférent.

Avec un album applaudi, ses premiers Brit Awards et un statut de quasi-reine sur la BBC, Jorja Smith est déjà une diva soul et RnB outre-Manche, mais reste à découvrir en France. Elle a quand même droit à la Grande Scène, manière de donner une envergure à celle qui est déjà rêvée par beaucoup comme de nouvelles Amy Winehouse ou Lauryn Hill, grâce à son début de carrière en fanfare. Et il vrai que sa présence a un effet assez fou : la jeune Britannique a un charisme électrique, porté surtout par une voix rauque et grave à en donner des frissons et qui donne à ses titres une portée lyrique saisissante. Quant à ses étonnantes mimiques traduisant le flot d’émotions de ses textes et font le plaisir des photographes. La confiance et la classe qu’inspire sa prestation ne masquent néanmoins pas quelques lacunes dans la production qui gagnerait à être plus différenciée. Ce qui lui manque encore c’est une immense chanson qui mette tout le d’accord : mais avec ses 22 ans, personne ne pourrait douter que le meilleur reste à venir. Future boss ?

On avait laissé Silly Boy Blue à l’Avant-Garde Pitchfork 2017 pour une de ses toutes premières scènes. Un EP plus tard, celle qui a été la voix de Pégase s’affirme dans ce projet solo dont le nom est inspiré de l’univers de Bowie. Aux 4 Vents, elle assume seule sa prestation face au public avec comme seuls adjudants sa guitare et une boîte à rythmes : un choix de prendre tout l’espace par son énergie, sa présence et sa voix qui évoque les premières sorties séduisantes de Christine and the Queens ou de Fishbach au Printemps de Bourges, où comme Ana – de son vrai prénom – a comme elles décroché le prestigieux prix de révélation. Sauf que la Nantaise boxe dans une autre catégorie : avec ses cheveux noirs, son t-shirt The Cure, elle nous suggère une pop noire, mélancolique qui drape sa voix suave de partitions aux contours atmosphériques tout en faisant le choix de l’anglais. Tout le nécessaire pour vite prendre son envol.

On attendait Deerhunter parce que son dernier disque est l’un des tout meilleurs de l’année, mais pas forcément en tête de notre top. C’est pourtant peut-être le plus grand set du festival, tellement la mise sur scène de leur « Why Hasn’t Everything Already Disappeared? » conjuguée au best of du reste de leur catalogue a mis tout le monde d’accord à la Cascade. À l’image de ce huitième album, la performance du groupe de Bradford Cox était une nouvelle exploration sonique dans leur planète art-rock : tendu, provocateur, glam, bowiesque, angoissé, et délicieusement mélodique. « Death in Midsummer » et « No One’s Sleeping » sont en intro comme sur le LP, mais « Halcyon Digest » domine encore le set à l’image de la conclusion épique offerte par « He Would Have Laugh » qui emmène le public de Rock en Seine dans une frénésie rock de dix minutes. Une claque qui en appellera d’autres : les Américains nous attendent au Trabendo en novembre.

Comme chaque saison du festival, il ne restait plus qu’à avoir un concert culte. Pour cette année, on a confié nos espoirs en The Cure qui reste quelque chose d’assez exceptionnel à voir en 2019 : pour leur longévité d’abord, mais surtout parce que cela reste une occasion relativement rare. Le moment a dû être précieux pour les nostalgiques, ou les jeunes générations gothiques… et pour nous aussi. Si Robert Smith n’est plus le même au fil des décennies (malgré sa chevelure toujours reconnaissable) son timbre et sa présence n’ont rien perdu de leur éclat. Sur les deux heures et demie, évidemment tout n’a pas été parfait. Les sorts du groupe font effet sur la longueur. Le démarrage se fait sur moteur diesel, puis tout s’illumine une fois la nuit tombée, et le band joue des couleurs de sa riche palette, new-wave puis post-punk. Les classiques s’enchaînent : « Fascination Street », « Disintegration » (le disque le plus représenté) « Lullaby », « Close To Me »… Infatigable, le groupe a sa frénésie intacte et n’a plus qu’à dérouler un best of qui fait autorité.


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens