[Play #5] Preoccupations, Hangman’s Chair, JC Satàn, The Skull Defekts, Kuranes etc.

Chaque semaine, nous vous concoctons une sélection de dix albums sortis récemment et qui ont (pour l’instant) échappé au radar des chroniqueurs d’indiemusic. Au programme de cette semaine : pas mal de post-punk très inventif, un court et très joli EP, un zeste de post rock, une louche de psyché, quelques onces de metal et un twist folktronica.

Preoccupations – New Material

23 mars 2018 (Jagjaguwar)

DISQUE DU MOIS DE MARS (et de l’année, so far)
Le troisième album des ex-Viet Cong et deuxième sous le nom de Preoccupations (on commence à s’y faire à ce nom) ne se résume absolument pas à sa superbe pochette géométrique (top 3 de l’année direct). « New Material », astucieusement nommé, condense en 36 minutes tout ce qu’on adorait déjà dans les deux précédents. Plus de piste à la durée épique cette fois, le titre le plus long atteignant à peine les six minutes, et au final ce n’est pas plus mal tant le disque est redoutablement bien troussé. On y retrouve des baffes post punk / cold wave bien glaciales où l’ombre de Joy Division plane toujours autant (ce chant sépulcral et détaché, les guitares froides comme de l’aluminium), mais aussi les petites touches arty typiques du groupe (les arpèges pentatoniques ou qui y ressemblent sur « Decompose »), mais également des morceaux plus feutrés, la rage entre les dents, comme « Manipulation » et un final en forme de phase ambient-drone-noise « Compliance ». Tout est d’une justesse incroyable dans le timing, l’ordre, les variations, le choix des titres, toujours laconiques. Moins marquant que le premier album car on perd l’effet de surprise, mais d’un raffinement qui garantit une excellente durée de vie.


Hangman’s Chair – Banlieue triste

9 mars 2018 (Musicfearsatan)

L’album de la résurrection pour le groupe parisien que nous suivons depuis une petite dizaine d’années. « Leaving Paris » était un chef d’œuvre, mais « This is not supposed to be positive » une audacieuse déception, et leur concert au Hellfest une petite catastrophe extrêmement frustrante. Sur « Banlieue triste », on retrouve tous les ingrédients d’autrefois, depuis la pochette, qui évoque une solitude urbaine et un spleen contemporain crade, à la durée du disque et de ses pistes, qui dépassent volontiers les dix minutes. Plus que jamais, une influence américaine souffle sur cet album, dont les riffs précis et le chant plaintif, mais couillu rappellent un certain Type O Negative. Malgré sa durée, cet album se révèle passionnant de bout en bout, avec de jolies variations de rythme, de structure voire de style qui ramènent un peu de blues, un peu de heavy metal voire une power ballade bien lente juste au bon moment.


The Skull Defekts – The Skull Defekts

23 février 2018 (Thrill Jockey)

On les avait découverts par hasard avant un concert au Sonic parce que le programmateur passait leur album « Peer Amyd », et les Suédois de The Skull Defekts sont de retour. Cet album-ci est diablement efficace et sombre, juste ce qu’il faut d’expérimental pour que leur version du post-punk un peu indus ne sombre jamais dans la sinistrose répétitive. Nerveux à souhait, l’album s’ouvre sur une tuerie monumentale qui mêle punk, noise, indus et rock expérimental. Magistral.


Green Druid – Ashen Blood

16 mars 2018 (Earache Records)

Premier album du groupe américain qui sort en physique ce mois-ci, mais semblait disponible (illégalement ?) depuis juin dernier sur internet. Il se compose de trois morceaux inédits (les premiers) et des quatre titres de son EP de 2015. Le tout est très convaincant, avec des compositions longues et tordues qui envoient des riffs puissants et bien dosés entre la lenteur et l’agressivité. Le seul défaut du disque étant qu’il décolle réellement à partir du monumental « Cursed Blood », qui durant dix-huit prodigieuses minutes vient tutoyer les géants Sleep ou Electric Wizard. Dès ce morceau (et même dès la fin du précédent, pour être honnête), le disque est sans faille et le groupe fait mouche à chaque riff assassin et enfumé.


Kuranes – Ukiyo

5 février 2018 (Kush Gong Vinyl)

Très bref EP – moins d’un quart d’heure, mais vraiment réussi, dans le genre trip-hop, électro mâtinée de jazz. Des morceaux courts qui arrivent à instaurer en très peu de temps de jolies atmosphères. On pense pas mal au regretté Nujabes.


Atom Rhumba – Cosmic Lexicon

12 janvier 2018 (El Segell del Primavera)

Un disque furieux et bordélique, qui mélange espagnol, anglais et basque, et qui rappelle Wire, les Stooges et plein d’autres groupes assez dingues et passionnants d’hier et d’aujourd’hui. Surtout, l’album est très varié et tout le temps surprenant, voire drôle. Quelques morceaux sont carrément dissonants et bourrins, d’autres plus subtils. Les plus attentifs remarqueront une citation de CAN (le riff de « Mother Sky » est repris à un moment) entre quelques cris de chiens et hurlements du chanteur. D’ailleurs, cette dimension pourrait aussi évoquer un disque « criard » des Allemands, « Ege Bamyasi », très réussi dans son genre un peu fourre-tout, de la part d’un groupe largement méconnu, mais auteur de nombreux autres disques.


JC Satàn – Centaur Desire

2 mars 2018 (Born Bad Records)

Joli début d’année pour Born Bad Records qui sort plusieurs albums marquants coup sur coup. Pour les Bordelais de JC Satàn, ce « Centaur Desire » est peut-être le meilleur opus du groupe avec le précédent, en tout cas un des plus directs. Les deux premiers morceaux sont des tueries monumentales qui rappellent le « Rated R » de QOTSA (cité d’ailleurs dans le clip de « Dragons » en 2014), le reste du disque montre plus de finesse et de diversité. L’album fonctionne un peu à l’inverse de son prédécesseur, puisqu’à la première écoute, on est surtout marqué par le début. Mais tout l’album est de haut niveau et tournera probablement un moment sur nos platines.


ION – A Path Unknown

28 janvier 2018 (autoproduction)

Trois morceaux et plus d’une heure au compteur, autant vous dire qu’il faudra vous armer de patience et de volonté pour aborder ce grand disque de black metal aventureux, libre et fou. La première piste est une odyssée de trente minutes qui part dans toutes les directions, mais gravite autour de sections méditatives et malsaines, la seconde est la plus courte (seulement dix-sept minutes) et ménage un joli plan avec des chants clairs en litanie sur lesquels viennent peu à peu se greffer des vociférations, et le dernier morceau, un peu en deçà des précédents, est aussi le plus violent et le plus traditionnel malgré sa durée. Énorme et finalement très complet puisqu’on passe du black metal psychédélique à quelque chose de plus classique.


Efrim Manuel Menuck – Pissing Stars

2 février 2018 (Constellation Records)

Projet solo d’un musicien de Godspeed You! Black Emperor et Silver Mt Zion, dont on retrouve le style jusque dans la pochette granuleuse et grise de l’album. Une différence majeure : la musique est ici particulièrement malsaine, limite maladive ou oppressante (le premier titre est terrifiant), et les morceaux sont généralement plus courts et chantés (ou plutôt gémis). Très sombre et perturbant, mais grand disque dont l’écoute, difficile, vaut le détour.


Loma – Loma

16 février 2018 (Sub Pop Records)

Trio composé de membres de Shearwater et Cross Record, qui ont travaillé avec Xiu XIu ou Sharon Von Etten, dont ce disque est le premier album sous ce nom. Très belle surprise qui commence comme du folk dépouillé et montre rapidement une dimension électronique et aventureuse qui transforme plusieurs chansons en grands moments de musique, complexes et méditatifs. « Dark Oscillations » en est le parfait exemple, mais des titres comme « I Don’t Want Children » apportent un focus sur les paroles, et la qualité est constante sur l’album, jusqu’à un final très émouvant. Du bon folktronica très original.

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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique