[Live] Pitchfork Music Festival Paris 2021

18 novembre : Sons of Kemet, Nubya Garcia et cktrl

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Pour investir le Bataclan, Pitchfork avait décidé de laisser la place à trois figures de l’avant-garde de la scène jazz londonienne.

Et c’était au multi-instrumentiste cktrl que revenait la tâche d’ouvrir la soirée tout en douceur. Une petite demi-heure durant, l’artiste a délivré un jazz envoutant majoritairement porté par son instrument de prédilection – le saxophone – oscillant entre classicisme et modernité pour offrir une bande-son tendre et rêveuse avant que la soirée ne bascule dans la fièvre.


Nubya Garcia

Armée de son massif saxophone qu’elle utilise comme un organe vocal, Nubya Garcia fait son entrée sur scène au fil des élégantes vibrations groovy de « Source ». Au-delà du charisme dégagé par la saxophoniste londonienne, la netteté de sa prestation fait d’emblée état de son aisance musicale. Influencée par tous les plus grands saxophonistes afro-américains (Dexter Gordon, Sonny Rollins, John Coltrane…), Garcia transpose – avec sa patte britannique moderne – les États-Unis en plein cœur de Paris.

Inarrêtable, l’artiste déroule son jazz mêlé de broken beat comme si elle était sur une piste de course, et le tout sans effort. Seule la serviette lui servant à s’éponger le visage demeure comme un indice de cette performance sportive. Portée par un trio de musiciens, Nubya Garcia s’appuie grandement sur la virtuosité de son batteur, Sam Jones, qui occupe l’espace. Toujours parfaitement en place dans sa vivacité, capable aussi bien de faire parler la douceur et la finesse de ses gestes que de fracasser sa caisse-claire – au sens le plus littéral du terme et qui sera changée en toute sérénité au milieu d’une transition entre deux morceaux. C’est au fil de cinq longs titres au tempo syncopé et d’une prestation bondissante passée à toute vitesse que la jazzwoman conclue son set autour de « Pace », titre qui synthétise précisément les différents styles qu’elle explore. Dans un discours rempli d’amour et de plaisir d’être là, Nubya Garcia semble ne plus vouloir quitter la scène et déjà bientôt retrouver une audience de connaisseurs bienveillants conquis par sa prestation.


Sons of Kemet

À la vue des deux batteries qui se font face sur l’arrière-scène, on ne pouvait que se douter de la puissance de la prestation que Sons of Kemet s’apprêtait à dégainer. C’est en saxophoniste charmeur de serpent que (King) Shabaka Hutchings mitraille sa partition et vient inviter le public à l’envoûtement. Envoûtement sans cesse rehaussé par la profondeur des basses du massif tuba porté par Theon Cross, infusant le jazz des Londoniens d’un esprit de fanfare. Le tuba remplace ici la basse et apporte, par sa matière sonore, un côté entêtant le rapprochant de l’électronique.
L’influence de la musique électronique n’est d’ailleurs pas anodine chez Sons of Kemet si l’on s’intéresse à l’un des projets parallèles de Shabaka nommé The Comet Is Coming, qui s’élabore dans un mélange de styles variés avec pour ligne directrice le caractère brut des mélodies et l’intensité du tempo.

De son côté, la section rythmique menée par les deux batteries – tantôt à l’unisson, tantôt en complément l’une de l’autre – fait montre de détails sonores tout juste perceptibles tant ils sont précis. Comme deux guitaristes qui agiraient d’un côté en soliste, de l’autre en rythmique, les deux instruments ici se répondent, s’additionnent et se complètent sans jamais se gêner. C’est d’une seule traite que Sons of Kemet déroule son set, sans jamais faire de pause, comme si le temps était compté, qu’il fallait s’exprimer et ne laisser aucun silence se faire, aucune parole contraire venir ternir le tableau. Installé et reconnu sur la scène jazz depuis une dizaine d’années, le groupe fait aussi bien bouger le corps que l’esprit, comme au sein de son dernier album manifeste au titre évocateur – « Black to the Future ». De la performance technique au dandinement de hanches, le groupe boucle son live dans une ambiance fiévreuse, au milieu d’un discours notable sur la diaspora, porté par un chanteur-prêcheur invité. À l’image de son saxophoniste frénétique au caractère empli de douceur, Sons of Kemet propose une transe jazz intense entre la colère et la joie, invitant tour à tour à l’extase, au poétique et à l’urgence.

Florian Fernandez

Florian Fernandez

"Just an analog guy in a digital world". Parfois rock, parfois funk, parfois électro, parfois folk, parfois soul, parfois tout à la fois.