[Live] Pitchfork Music Festival Paris 2014

JOUR 3 – Samedi 1er novembre 2014

JOUR 3 – Samedi 1er novembre 2014

Dernier jour du Festival, celui qui commence le plus tôt et finit le plus tard. De la musique non stop ou presque de 16h30 à 6h du matin. On commence en douceur avec Jessy Lanza, charmante demoiselle qui officie dans un registre désormais bien connu des festivaliers, une sorte de PBR&B qui fait décidément fureur en ce moment. Le concert est court, calme, mignon, mais pas transcendant. Lanza est très sympathique et visiblement heureuse d’être là et d’avoir un public qui est venu aussi tôt pour la voir, mais son set ne décolle presque jamais. On la recroisera pourtant plus tard dans la soirée, lors d’un show bien plus marquant. Vient ensuite une magnifique découverte et une petite claque musicale. Charlotte OC, jeune Londonienne quasiment inconnue et ayant sorti deux EPs ces dernières années, débarque sur la grande scène toute enveloppée d’un immense châle noire, baignée de pénombre. Ambiance feutrée et mystique. Sa voix est grave, puissante, mais la musique s’obstine un temps dans ce même PBR&B qui menace de nous lasser, mes amis et moi. Pourtant, au bout de quelques chansons assez jolies et portées par la voix surprenante de la jeune chanteuse métissée, cette dernière se retrouve seule sur scène avec une guitare et entonne une reprise de Ruy da Silva, « Touch Me ». Le morceau, d’une sobriété exemplaire, fait immédiatement mouche et le public est conquis. Démonstration vocale sans en faire trop, le moment est juste parfait. La suite du concert se poursuit dans cet état d’esprit, avec notamment un très joli « Cut the Rope » fantomatique et émouvant.

Tobias Jesso Jr. - crédit : Vincent Arbelet
Tobias Jesso Jr. – crédit : Vincent Arbelet

On enchaîne avec une autre découverte, encore plus atypique. Tobias Jesso Jr, jeune gringalet dégingandé, s’installe au piano et nous explique timidement que c’est tout simplement le premier vrai concert de sa vie et qu’il est profondément reconnaissant de l’honneur que lui fait Pitchfork. Le jeune homme n’a pas enregistré d’album ou d’EP, il a juste posté 3 démos sur son Soundcloud qui ont été notamment repérées par Christopher Owens, l’ex-leader de Girls. Ce débutant, qui apprend le piano depuis deux ans, va pourtant jouer un concert très solide et bouleversant d’environ quarante minutes – et donc en grande partie composé de chansons encore totalement inédites, comme le sublime « Hollywood ». Le dénuement le plus total est de mise : piano, voix. On opère alors un retour rêveur en arrière, droit dans les années 60 et 70, et l’on songe à quelques grands noms du genre : Joni Mitchell, Elton John, Simon et Garfunkel, Cat Stevens… Le timbre particulier de Jesso Jr, son jeu sensible et simple et la sincérité vibrante qui suinte de ses ballades romantiques et nostalgiques séduisent instantanément. Le chanteur récolte l’approbation respectueuse du public et semble particulièrement ému. Un très joli moment.

Foxygen - crédit : Vincent Arbelet
Foxygen – crédit : Vincent Arbelet

Les deux concerts suivant retournent malheureusement vers une musique un peu tiède et peu animée, très proche de ce PBR&B qui cette fois nous a un peu saoulés. Nous zappons donc Kwamie Liv et MOVEMENT, que nous entendons de loin et avec un désintérêt croissant. Pause bière, sustentation et visite des lieux encore peu explorés du site. Nous jouons un peu à Pong, au babyfoot ou à Pacman, nous flânons. Côté scène, vraiment rien de mémorable. C’est l’heure de faire la queue afin d’être le mieux placé possible pour l’un des événements de la soirée, à savoir le show de Foxygen, groupe trop rare en France, et ce en partie à cause de l’annulation l’an dernier de leur tournée européenne qui devait défendre un excellent deuxième album. Désormais c’est un troisième disque, le non moins très bon « ..And Star Power » que le groupe vient mettre en valeur. Dire que le concert de Foxygen est LE concert du Festival est sans doute pour moi un euphémisme. Cinquante minutes durant, c’est à un déchaînement d’énergie pure et de sensualité débridée que nous assistons. Le volume sonore est assourdissant, le mixage sans doute un peu brouillon mais tout ce qui compte, c’est l’énergie, rien qu’elle. Sam France finit très rapidement à moitié nu et se déhanche dans tous les sens, sautant et criant un peu partout. L’illusion avec un Jagger ou un Iggy Pop jeune est saisissante. Le groupe entame avec quelques singles du dernier album et du précédent, qui ressortent tous grandis de l’expérience, puis enchaîne pour une jam complètement furieuse où l’on peine à reconnaître parfois les morceaux joués. Peu importe, ce qui se passe sous nos yeux est grand, très grand. L’alchimie est totale, les choristes vêtues comme Tina Turner en 1969 sont en transe, les musiciens font le plus de bruit possible et Sam France est phénoménal. Le show apocalyptique se termine en grande pompe sur une des dernières chansons de « …And Star Power », la ballade « Hang on to Love » qui devient pour l’occasion une sorte de monstre chimérique de rock, de pop et de soul mélangés, décidément très seventies et à l’efficacité redoutable. On en sort lessivé, mais heureux.

Seul problème, c’est pas n’importe quel groupe qui enchaîne en face, mais tUnE-yArDs. On se presse, on joue des coudes et on parvient in extremis à proximité du devant de la scène pour un autre concert d’anthologie. Ca y est, on peut désormais le dire, le troisième jour est le meilleur et le festival tient ses promesses. Le groupe emmené par Merrill Garbus délivre, avec le son le plus propre pour la petite scène depuis le début du Festival, un concert endiablé et inventif, absolument irréprochable, exceptée sa durée un peu courte. « Nikki Knack », troisième album du groupe, est particulièrement représenté dans la setlist, mais les morceaux incontournables du précédent album le sont aussi. On danse comme des fous sur les rythmiques imparables de « Bizness », « Gangsta » ou « Stop That Man », on admire les prouesses vocales hallucinantes de Garbus sur « Powa », on se félicite de l’intelligence musicale des compositions qui mêlent rythmes et chants aux intonations africaines, afrobeat, indie pop et folk urbaine. Le show est de haute voltige, le public qui nous entoure très réceptif et le groupe interagit sans cesse avec lui. Musiciens costumés en squelettes, petites chorégraphies amusantes, et enfin, le merveilleux single du dernier album, le virevoltant « Water Fountain », qui clôt le tout en beauté. Je reverrai tUnE-yArDs quelques jours plus tard à Lyon pour un concert encore supérieur car plus intime ; c’est vraiment un groupe qui prend une dimension passionnante en live, et Garbus est d’une gentillesse et d’une accessibilité confondantes.

tUnE-yArDs - crédit : Vincent Arbelet
tUnE-yArDs – crédit : Vincent Arbelet

La soirée est loin d’être finie. Sur la grande scène, le folkeux suédois José Gonzalez entame un concert d’une heure vingt entièrement acoustique. Le bonhomme est vraisemblablement une tête d’affiche attendue comme le Messie. Il faut dire que sa carrière est atypique, entre folk en solo et punk hardcore en groupe. Il joue un très joli set de ballades agrémenté de quelques reprises bien senties, comme « Heartbeats » de ses compatriotes de The Knife ou encore « Teardrop » de Massive Attack. Un beau moment qui suspend le temps et apaise émotionnellement tout le monde. Nous faisons ensuite l’impasse sur Jungle pour aller manger ; nous n’en apercevrons que la fin qui témoignait d’un show apparemment assez dynamique et endiablé, et nous nous mêlons à une foule très compacte qui se presse pour les très attendus Caribou. Caribou ne joue pas de DJ set sur cette tournée mais de vrais concerts. Plus tôt dans la soirée, on avait déjà remarqué les centaines de ballons aux couleurs de la pochette de « Our Love » qui attendaient un prometteur lâcher au dessus du public. Le concert de Caribou voit la drogue débarquer massivement au sein du public (il n’y a guère que pour James Blake que j’en avais vu précédemment dans le festival) qui prévoit sans doute la suite des événements. Le concert est long – le groupe est en tête d’affiche pour le soir – et la musique hypnotique. Les morceaux s’étirent sur de lentes boucles planantes et assez dansantes. Jessy Lanza les rejoint sur scène pour jouer « Second Chance », sur lequel elle participait déjà pour le dernier album du groupe. Certains morceaux sortent particulièrement du lot, comme la version démesurée en ouverture de « Our Love » ou les classiques « Jamelia », « Odessa » et bien sûr « Can’t Do Without You » et « Sun », qui clôturent en beauté le concert après un lâcher de ballon ayant eu pour effet de changer 10000 personnes en gamins hystériques. C’est simple, les vingt dernières minutes ont transformé la Grande Halle en terrain de jeu immense où tout le monde se faisait la passe, éclatait les petits ballons ou bien jouait avec les plus gros d’entre eux, increvables. La musique ne devenant en quelque sorte qu’un agréable compagnon de jeu psychédélique.

Caribou - crédit : Vincent Arbelet
Caribou – crédit : Vincent Arbelet

Après ce sommet ludique du Festival, et à une heure déjà avancée de la nuit, la place fut laissée aux traditionnels DJ sets qui achèvent les festivités jusqu’au bout de la nuit. Je suis personnellement moins fan de ce genre musical, mais j’ai écouté avec intérêt – et tout en mangeant ou en jouant à Pong et à Pacman – les différents sets qui se sont succédés. Le très house et acid Four Tet a d’abord bien électrisé un public venu spécialement ce troisième jour, complet depuis des lustres, et visiblement en grande partie sous l’emprise de stupéfiants. Regarder en étant sobre une foule se faire et se défaire sous l’effet de psychotropes est toujours un spectacle fascinant. J’aime moins le style de Jamie xx, qui était pourtant la star de la nuit avec près de deux heures de show. C’était très binaire et le volume sonore était beaucoup trop élevé. Mais certains passages se sont montrés vraiment irrésistibles. Enfin Kaytranada, moins connu mais prisé de certains adeptes du genre qui en vantaient les mérites depuis des heures, ne m’a pas du tout convaincu avec un set plutôt bancal et plein de petits crashes techniques. A près de six heures du matin, complètement épuisés après une nuit riche en événements et en concerts grandioses, il était temps pour moi et mes amis de tourner la page de ces trois belles soirées au fond d’un lit accueillant. Le soleil se levait quand mes paupières se refermèrent, ma mémoire rejouant sans cesse les meilleurs moments des jours passés et mes oreilles toujours vrombissantes des basses ravageuses de Jamie xx et de ses acolytes nocturnes.


Retrouvez le Pitchfork Music Festival Paris sur :
Site officiel FacebookTumblr

Photographies par Vincent Arlebet :
Site officiel

Photo of author

Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique