[Interview] Ottis Cœur

Avec Ottis Cœur, le rock s’entend au féminin pluriel. La sororité en porte-étendard, les voix en résonnance et en harmonie chantent leurs vécus universels de jeunes femmes confrontées au patriarcat et à une société à deux vitesses. Révoltées et passionnées, Camille et Margaux partagent leurs échecs, leurs douleurs et leur rapport au corps faisant de leurs expériences, de cette réalité en commun une force vive et immuable. Ce sont ces histoires, ces chansons qu’elles sont parties enregistrer ensemble dans un garage familial improvisé en studio de musique, dans un bled coupé du monde durant le premier confinement. Plus qu’une complicité, c’est l’osmose entre deux univers, entre deux personnalités fortes qui s’affirment et m’aimantent sur ce premier disque authentique et viscéral. Le fuzz retentissant des guitares, amplifié par le chant en harmonie des deux frontwomen, rejointes sur scène par Amélie derrière les futs a tout pour emmener le power trio électrique, adeptes du français dans le texte sur les plus hautes scènes de la francophonie ces prochains mois. Et pour marquer le coup, après les iNOUïS et les Femmes s’en mêlent, elles se hissent à l’affiche des Trans Musicales samedi 4 décembre à l’Étage (et c’est gratuit). Avant la sortie de leur EP « Juste derrière toi » le 26 novembre et cette date clé, Camille et Margaux reviennent avec nous sur cette aventure presque naissante, mais déjà promise à un très bel avenir.

crédit : Luis Escudero Gimenez
  • Hello Camille et Margaux, votre première rencontre remonte au tout début de 2020, mais quelles sont les circonstances exactes de celle-ci ?

On s’est rencontrées fin 2019 lors d’une formation au Studio des Variétés. Au début on n’était pas forcément très proches, mais après quelques temps, on a appris à se connaître et on a vite sympathisé. La naissance d’Ottis Cœur s’est jouée à presque rien, la veille de l’annonce du confinement Camille a invité Margaux à se confiner avec elle chez ses parents en Loire-Atlantique (LA représente) dans le but de travailler et s’entraider sur leurs projets musicaux respectifs.

  • Votre premier EP « Juste derrière toi », vous l’avez enregistré toutes les deux en Loire-Atlantique lors du tout premier confinement. Parlez-nous de ce périple et de ce home studio que vous avez monté dans le garage des parents de Camille. Qui dit DIY dit débrouille : comment organisiez-vous vos journées entre l’enregistrement des pistes et l’apprentissage du home studio ?

Un jour, (le lendemain de notre arrivée) on s’est dit que nous allions essayer de composer ensemble. Et au moment où nos voix se sont harmonisées sur le refrain de « Dernière fois », on s’est regardées et on s’est dit « WOW, OK c’est parti ». Pendant deux mois, on ne s’est pas arrêtées de composer.

On a enregistré tout notre EP nous-mêmes, sous la contrainte, avec deux micros, une carte son, une guitare et une batterie. Tout a été produit dans une seule et même pièce qui nous servait aussi de chambre. On a beaucoup expérimenté et on s’est beaucoup amusées lors de l’enregistrement de l’EP. Les contraintes techniques et matérielles ne nous ont jamais freinées ; au contraire, ça nous a permis d’aller droit au but, d’innover et d’être créatives.

  • Vous êtes très attachées au terme de « filles » et non de « femmes » pour parler de qui vous êtes. Il y a derrière cette vision une quête d’indépendance, une envie de parler d’expériences nouvelles, de revendiquer une certaine immaturité aussi ?

On se reconnaît plus à travers le mot « Fille », car on est dans une quête d’apprentissage et d’émancipation. Dans l’image qu’on a de la « Femme », on voit une figure d’accomplissement, de mère aimante et protectrice, qui représente pour nous une puissance inatteignable à la différence de la « Fille » qui évolue sans cesse. C’est aussi un petit clin d’œil aux Riot Grrrl, qui font partie de nos inspirations.

  • Chez Ottis Cœur revient souvent la notion de sororité : témoigner de vos expériences personnelles en tant que jeunes femmes et prôner un féminisme décomplexé et inclusif sans mettre sur la touche celles et ceux qui n’ont pas vécu les mêmes expériences. C’est bien ça ? Comment s’exprime cette sororité au quotidien ?

La sororité est au centre du projet, car c’est grâce à notre rencontre qu’Ottis Cœur est né. Pour nous, c’est très important de s’entraider, s’écouter et de se tirer vers le haut. On cherche le plus souvent à mettre en avant le travail des femmes, ce pour quoi on a décidé de s’entourer d’une équipe majoritairement féminine : ingée son, ingée lumière, bookeuse, manageuse, batteuse et attachée de presse.

On a récemment monté une association qui s’appelle « Grrrande » avec laquelle on aimerait mettre en avant les femmes dans les différents domaines artistiques. On met en commun nos compétences, hors musique, pour organiser des événements. Margaux est illustratrice et Camille est chargée de production dans l’audiovisuel. Le premier est un marché de créatrices (illustration, graphisme, broderie, musique…) qui se tiendra en décembre au Pavillon des Canaux à Paris. C’est que le début, mais on aimerait monter d’autres événements courant 2022.

crédit : Margaux J. Rose
  • Au cœur de votre premier EP, il y a ce titre fort et flamboyant « Je marche derrière toi » qui parle, entre les lignes, d’une histoire d’amour-haine et d’émancipation envers l’autre. Pouvez-vous m’en dire plus sur ce titre central de votre premier EP ?

C’est le premier titre qu’on a vraiment composé à deux. C’est allé très vite, deux accords, un gimmick et on a enregistré dans la foulée. On a vraiment ressenti une libération en chantant et en criant le refrain. Ce titre porte le projet, car on dit « Ottis mon cœur je n’en peux plus… » et ce fameux prénom « Ottis » réunit pour nous tous les protagonistes de ces mauvaises histoires.

  • Quels sont les sujets qui vous font réagir en 2021 et qui démangent votre plume de musiciennes ?

On a beaucoup écrit sur nos histoires d’amour, nos ruptures et nos mauvaises rencontres. Maintenant on s’exprime de plus en plus sur des sujets sociétaux qui nous interpellent. Par exemple, les inégalités hommes-femmes, le patriarcat, la sexualité féminine. Et il y aura toujours des cons pour inspirer nos chansons.

  • Quels souvenirs gardez-vous de vos premières dates avec Ottis Cœur ? Et quels premiers retours vous ont particulièrement marqué ?

On a dû partir en urgence d’un concert, sans avoir pu jouer, à cause d’inondations.

On a dû faire une dizaine de concerts, et on a déjà listé plusieurs réflexions sexistes.

Lors de notre premier concert à Paris à la Boule Noire, premières notes : Margaux casse sa corde de mi grave et la change en chantant en deux minutes sous une montée d’adrénaline.

  • Vous avez pu bénéficier de l’accompagnement par File7 et FGO-Barbara, deux salles d’Île-de-France qui vous ont permis, entre autres, de conquérir l’espace scénique. Mais ça consiste en quoi cet accompagnement, concrètement ? Quels progrès le travail avec les équipes des deux salles vous a-t-il permis d’acquérir ?

Quand File7 nous a appelées pour nous proposer une date, nous n’avions jamais joué nos morceaux en live. Par la suite, on est devenues artistes associées, et pendant un an, on a pu faire des résidences pour travailler le son du live, les lumières, la set list…

À FGO Barbara, l’accompagnement Variations nous a permis d’approfondir notre direction artistique sous plusieurs angles : de la scène, image, structuration. Nous avons travaillé le coaching scénique avec Virginia, ce qui nous a donné confiance en nous. On recommande fortement aux jeunes artistes émergents qui souhaitent se professionnaliser de se renseigner sur les différents accompagnements que propose leur ville.

  • Il y a souvent des personnes qui sont déterminantes lors de ces temps de résidence de création : vous pensez à une personne en particulier ?

Toute l’équipe qui nous entoure est toujours très bienveillante et de bon conseil : Bénédicte notre manageuse, Elizabeth notre bookeuse, Diliana aux lumières, Johanne au son, Amélie à la batterie…

  • Sur scène, vous formez un trio avec Amélie Le Roux à la batterie. Est-elle aujourd’hui pleinement intégrée au processus de composition et avec elle à vos côtés, votre projet est-il amené à se construire désormais sur cette base ?

Tout le processus de composition se fait entre nous deux. Amélie participe aux arrangements car, en répète, on travaille vraiment à trois et qui sait ce que l’avenir nous réserve !

Amélie Le Roux, Camille Luca et Margaux J. Rose
  • Il apparaît très clairement que vous vivez le live comme un exutoire, une libération de vos messages et de vos expériences ? La scène, c’est d’abord un espace de partage ?

Oui, tout à fait, on est très soudées entre nous, à la vie comme à la scène.
Sur scène, nos chansons prennent une tout autre ampleur grâce au public qui nous donne beaucoup d’énergie et vice-versa. Par exemple, à la Boule Noire quand le public chantait nos refrains, l’osmose était incroyable.

  • C’est également un lieu de (ré)création ?

Oui, on adore laisser une part de spontanéité au live. On prend beaucoup de plaisir sur scène.

  • De transformation aussi ? Est-ce que l’on joue son propre rôle quand on monte sur scène ou celui d’une personnalité fantasmée dont on renvoie l’image et l’imaginaire à son auditoire ?

On cherche surtout à renvoyer une image sincère et authentique, en accentuant le meilleur de nous-mêmes. C’est une sorte de transformation qui part de nous et de nos personnalités. On veut rester accessibles et on ne veut pas être idéalisées.

  • Une signature chez Super en tant que tourneur, une participation aux iNOUïS et depuis une série de concerts marquants avec les Femmes s’en Mêlent et donc bientôt les Trans. 2021, c’est un peu votre année ?

C’est vrai qu’on s’est beaucoup données cette année, toutes ces étapes nous ont permis de nous sentir plus légitimes dans le milieu. On a hâte d’être l’année prochaine.

  • Après ce premier EP, préparez-vous déjà la suite ? De nouveaux titres sont-ils déjà prêts ou en chantier ?

Oui, on prépare la suite. On a plein de nouveaux morceaux qu’on joue déjà sur scène et qu’on va bientôt enregistrer en studio.

  • Pour finir, y a-t-il un groupe avec qui vous aimeriez partir en tournée, en France ou à l’étranger, ces prochains mois et pourquoi lui ?

On aime beaucoup Wet Leg en ce moment, un duo féminin aussi qui vient d’Angleterre. Elles ont l’air marrantes et leurs morceaux sont entêtants. Bisous.

« Juste derrière toi » d’Ottis Cœur, sortie le 26 novembre 2021.
En concert le 4 décembre à l’Étage dans le cadre des 43e Rencontres Trans Musicales.


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques