[LP] Lomostatic – Lomostatic

Lomostatic est parallèle. Stop. Détournement de mixtapes rap sous le manteau Machiavel. Stop. Flagrant délit de manipulation. Stop. La langue et des mots en action. Stop. Pour le reste, à toi de faire l’effort, tu es grand maintenant.

L’aventure Lomostatic est donc née dans le cerveau hyperactif de Ray Bornéo, musicien touche-à-tout et technicien du son renommé, avec, dsur son CV, des lignes consacrées à Tara King Th et au label Petrol Chips. Les premiers pas de Lomostatic ouvraient la porte à l’immense Olivier Depardon, certainement la plus belle plume actuelle de la scène française indépendante et une des voix rock les plus saisissantes depuis ses envolées majeures au sein des mythiques Virago. Mais, voilà : Ray a décidé de voir plus grand et de réunir autour de lui une bande de cinq trublions, naviguant dans les espaces contagieux du slam, de la chanson, du rock, du punk et du rap. Parmi eux, l’énigmatique Ginger Man, le rappeur agité et caméléon Bleu Russe, le dénommé Gontard, cousin éloigné de Fuzati en beaucoup moins agaçant, le chanteur et poète Jull – à ne pas confondre avec l’idole des jeunes marseillaise – et, toujours, l’ami Depardon. Comme dans « Les sept mercenaires », chacun déploie une spécialité, un talent, un vice. Le tableau est dressé, les héros sont prêts : appuyons sur Play.

Pif paf pouf : bordélique et borderline, brute et presque brutale, cette œuvre se réceptionne comme un jet de pavés dans la mare, une mare où croupit l’uniformité de la création contemporaine et où stationnent à quai les grands navires de l’industrie musicale. La matière s’entasse et frotte dans tous les coins, les finitions sont sommaires, et pourtant une atmosphère s’impose. Pas seulement rap et pas simplement punk, Lomostatic rallume la poésie incendiaire de l’après-Diabologum, et donc du projet Programme (« Mon cerveau dans ma bouche », ça ne vous rappelle rien ?). L’insolence du rap ne se livre pas ici dans la démonstration performante. Mais elle se révèle dans la mise en mots et en sons de l’expression du dégoût : un dégoût cynique, violent et propice à la libération créative d’une rage sourde et lancinante.

Tu prends déjà peur ? Écoute « Résilience », et après nous verrons si tu peux la ramener ! Une lente litanie aux allures de spoken word collectif te saisit à la gorge, te parle dans les yeux, à quelques centimètres de ta bouche. Les voix se superposent et ne veulent jamais s’arrêter. Tour à tour, et dans le désordre, les protagonistes se succèdent, se complètent et se rendent la monnaie. Chacun s’empare du mot « résilience », médiatiquement à la mode, qui définirait cette propriété du matériau étrange qu’est l’être humain à résister aux chocs. Résister par le verbe, par la poésie, par la puissance de l’écriture. Des sentences résonnent, « Mon seul pays c’est ma chambre…… Des phrases verticales, des rafales verbales……Mon urne est dans mes burnes. ».

Ray Bornéo n’a rien d’un beatmaker classique ; il est avant tout un musicien pour qui la machine n’est qu’un instrument de plus. Son univers combine la science musicale des grands compositeurs français, Jean-Claude Vannier et François de Roubaix en tête (« C’était qui ») à celle d’un activiste ingénieux de la musique alternative. Le tracklisting s’articule et s’enroule ainsi autour d’instrus au minimalisme obsédant, stimulés par l’inventivité de la bidouille sonore. Et même lorsque Bleu Russe impose son flow rappé, le beat affiche un groove pervers, pas si loin des meilleurs breakbeats issus de la discographie du grand Serge (« Polar »).

Plusieurs clins d’œil nourrissent l’imaginaire de ce disque, comme les allusions aux films de Dupontel (« Saoul ») ou au film indé du cinéaste américain Harmony Korine, « Gummo », sur le titre du même nom : des œuvres décalées qui proposent un regard de biais sur le monde et combattent, comme Lomostatic, le pouvoir asphyxiant du conformisme. C’est sûr, ces morceaux ne rentreront ni dans les playlists des radios de services publics, ni dans celle des réseaux commerciaux ; tant mieux, tant ce disque est une réelle bouffée d’oxygène au milieu du politiquement correct.

« Lomostatic » de Lomostatic est disponible depuis le 16 octobre 2017 chez Petrol Chips.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.