[Interview] Livia

Il faut bien admettre que « Le blaireau riche », premier EP de la chanteuse et créatrice française Livia, nous avait profondément retourné les méninges. En effet, le mélange immédiat et direct d’un lyrisme humain, qui ressemble à s’y méprendre à des harmonies instrumentales totalement dévouées au langage, racontait des tranches de vie qui pouvaient être les nôtres, mais qui n’avaient encore jamais trouvé de porte-parole. Livia est honnête et ne s’encombre pas d’images qui nuiraient à ses pensées ou à son sens de la composition. Elle est une femme dans un monde où ces dernières sont plus fortes que l’on voudrait nous le faire croire, certaine de ses ambitions et de ses opinions. Lire les mots de Livia, ses réponses à nos questions, est une révélation que l’on n’oubliera pas de sitôt. Bienvenue dans le monde tendre, sensible et visionnaire d’une artiste dont l’humanité nous fascine de plus en plus.

crédit : Alain Leroy / L’Œil du spectacle
  • Bonjour Livia et merci de bien vouloir répondre à nos questions ! Tout d’abord, quand et comment t’es tu décidée à franchir le pas et à prendre en mains ton écriture et ton sens de la composition pour en faire un objectif professionnel ? En d’autres termes, quelle est l’histoire de Livia ?

Bonjour et un un grand merci pour cette proposition d’échange ! Vraiment ravie de pouvoir parler un peu avec toi de mon compagnon de route, la musique.

Il y avait un vieux piano droit à la maison sur lequel ma mère a pris quelques cours quand j’étais alors encore dans son ventre. Coïncidence que je fasse de la musique mon métier ? Je ne saurais te dire. En tout cas, ce dont je me souviens, c’est que déjà toute gamine, cet instrument aiguisait ma curiosité. Mes doigts se baladaient souvent avec joie sur le clavier et je poussais la chansonnette pour amuser mes trois frangines.

Je ne me suis jamais dit : « Ça y est ! C’est décidé. Je franchis le pas et je vais faire de la musique un objectif professionnel. » Je n’ai jamais pensé comme ça. J’ai juste suivi un élan, un mouvement naturel, sans aucunes réflexions d’ordre matériel ou concrète. Le Bac en poche, c’est naturellement que j’ai suivi des études de musique. D’abord l’American School Of Modern Music, puis la Bill Evans Piano Academy. Ah oui, j’ai oublié de te dire qu’à 18 ans, je n’ai pas quitté ma province mais je suis tombée folle amoureuse du jazz. Une vraie passion pour cette musique si riche, ces harmoniques complexes et profondes, ce qui explique mon parcours pianistique orienté « jazz ». C’est au cours de ces années d’études que j’ai créé mon premier groupe, un quartet « pop-jazz ». Mes compositions avaient des couleurs clairement jazzy, mes textes écrits en français avaient déjà une écriture franche et directe.

Je vais sauter quelques années. Allez, hop, on arrive en 2014. J’assiste à un concert aux Trois Baudets, à Paris, et je tombe sous le charme de la performance vocale et rythmique de la « boîte à rythmes humaine » qui joue ce soir sur scène : Sam, alias Waxybox, beatboxer. C’est le déclic ! Je décide de mettre de côté la batterie qui m’accompagne depuis des années sur scène et j’oriente mon projet musical vers un univers aux couleurs beaucoup plus urbaines et trip-hop. Sam et moi commençons à travailler ensemble. C’est quelques mois plus tard que je rencontre Jean-Roland M’Barga, bassiste de talent qui vient compléter la formation.

Je réalise que j’ai plus parlé de la musique et moins de l’écriture. Ça va être assez simple : j’ai la tête bourrée à craquer ! C’est infernal, tu sais. J’ai le mental trop actif : j’analyse tout, j’observe tout… Les mimiques des gens, leurs sourires, leurs yeux qui pleurent, leurs mains ouvertes, leurs gestes retenus qui en disent long, leurs peurs qui sont les mêmes que les miennes, leur vulnérabilité que je retrouve identitque en moi mais que je ne veux surtout pas qu’on voit ! Bref, tout ça, j’ai besoin de le faire sortir de mon crâne et de le chanter pour que ça sorte. Alors j’écris. D’abord, je crois, pour me libérer. Ensuite, évidemment, pour procurer de l’émotion chez l’autre. C’est ça qui est bon : procurer de l’émotion. C’est tout.

  • Ton premier EP, « Le blaireau riche », regorge de chansons à la fois humoristiques et tout simplement belles, car sincères dans leur propos et dans les sujets qu’elles exposent. Comment sens-tu, à un moment donné, qu’un sujet, une attitude, une bonne ou mauvaise habitude vont te permettre de trouver l’inspiration ?

Je fonctionne à l’émotion. Il faut que j’ai envie de chialer, de tout casser autour de moi ou de rire du ridicule de la vie pour me mettre à écrire. De toute façon, quand c’est tiède, ça ne marche pas. Il m’est souvent arrivé d’écrire un morceau avec le cœur qui bat à mille à l’heure sous le coup de l’excitation, ou de pleurer sur mon papier à musique.

  • De même, sur le disque, l’un de tes traits de caractère transparaît de chaque titre : ta curiosité. Tu sembles à l’affût de l’humain, de ses tics, de ses passions et de ses manques. Quel regard portes-tu, justement, sur l’évolution de l’homme, de ses principes et de ses ambitions ? Qu’est-ce qui te passionne dans cette diversité ?

Je suis partagée. D’un côté, je porte un regard bienveillant, et même admiratif, sur l’homme. La vie n’est pas toujours facile… Le simple fait d’exister, d’être là sur cette planète et de gérer sa barque tout seul, du mieux qu’on peut, est pour moi admirable. En même temps, j’ai le sentiment que l’homme peut se perdre dans le superficiel, les apparences. Il y a une banalisation du sexe et de la séduction, une « javellisation » des échanges due à la communication virtuelle. On passe vite sur les choses, on est curieux mais, en surface, on se lasse vite, on est moins passionné. Je parle de tout ça dans le morceau « L’Histoire de ».

  • La chanson « Le blaireau riche » est une formidable interprétation de la femme peu scrupuleuse de se donner corps et âme à un homme ayant des moyens plus que conséquents pour lui accorder le confort idéal de sa vie. Mais, en même temps, la femme qui parle dans la chanson cherche des moments de liberté, pour respirer. Comment interprètes-tu cette attitude de certains membres de la gente féminine, de même que de la certitude d’être un playboy chez certains hommes, sous prétexte que leur compte en banque est bien rempli ?

C’est un sujet complexe qu’il faut manier avec précaution. Je ne voudrais surtout pas que l’on pense que je sois une fille vénale et intéressée. J’ai pris le parti, dans le titre du « Blaireau riche », de faire un « pied de nez » à cet état d’esprit macho, misogyne, à cet « homme alpha» qui considère la femme comme un objet, un jouet, un accessoire utile à son bien-être, pratique pour flatter un égo. J’ai voulu inverser les rôles ! (rires) Je ne valide aucunement ces attitudes d’hommes ou de femmes peu scrupuleux. J’en fais ici la satire d’un regard amusé. Car, même si beaucoup de choses évoluent, il est encore assez rare de voir une femme patron d’une grande entreprise, pilote de ligne ou chef d’orchestre ! (rires)

  • « La mastication » parle de la conception, dans l’un de ses aspects les plus crus et directs à travers le baiser qui entraîne l’acte.Pourtant, il y a une véritable poésie dans le fait de résumer le rapport physique à cet élément primordial. Comment as-tu décidé de partir de ce moment précis ?

D’abord, j’ai toujours parlé facilement de sexe. Ça ne me gêne aucunement. J’en parle librement avec mes amis, ma famille, mes sœurs, mes partenaires. J’y porte un ton et un œil bienveillants. Ensuite, je me pose énormément de questions existentielles. Qui suis-je ? D’où est ce que je viens ? Pourquoi je vis, pourquoi je meurs ? (Merci Starmania !) En alliant ces deux sujets, « La mastication » a vu le jour. J’ai voulu mettre en mots, le récit de mon arrivée sur cette planète du point de vue de la petite fille qui découvre la réalité crue et primitive. Elle est à la fois dégoûtée et fascinée.

  • Tu parles beaucoup, au fil de l’EP, de la communication entre les individus, qu’elle soit virtuelle dans « L’histoire de » ou familiale sur le bouleversant « Papa ». Comment vis-tu la déshumanisation des rapports du fait de l’évolution des nouvelles technologies, et favorises-tu le contact humain pour apprendre à connaître ?

Je trouve cette déshumanisation des rapports un peu triste. Le virtuel a, pour moi, cassé en parti la spontanéité des échanges. Il travestit la communication, déguise la séduction, prostitue les désirs, salit la sincérité et pervertit les besoins.

Je suis la première à être prise dans les filets du virtuel. Le chant des sirènes est très enivrant (rires). Mais ça sonne creux et vide. En pensant combler un manque, on se retrouve face à une solitude froide. Après, il y a des avantages, aussi. Ces échanges virtuels peuvent en désinhiber certains. On ose peut-être en dire plus, en étant planqué derrière son écran. M’enfin, pour moi, ça ne remplacera jamais la chaleur d’un échange réel.

  • Cela se sent aussi dans « Bah t’es pas beau », où l’aspect physique ne vient en aucun cas faire obstacle à l’attirance et à l’amour. Dans une époque où l’esthétique passe avant tout, te rends-tu compte de l’importance d’une telle opinion et de cette chanson ?

C’est terrible de n’être jugée que sur sa tronche, la taille de ses nichons, la forme galbée de son cul… C’est si cruel. Surtout quand on sait que tout cela est éphémère. Je ne suis pas une fille chez qui la belle gueule bronzée, l’odeur de monoï, le biscoto rebondi et la chevelure à la Jean-Louis David vont me séduire. Je vais être attirée par le mec qui a de l’humour, celui qui ne se prend pas au sérieux, avec qui je peux parler de tout, sans jugement, même si ses pompes ne sont pas à la dernière mode. « Le blond » de Gad Elmaleh peut passer son chemin.

  • « Le blaireau riche » oscille entre mélodies populaires et un aspect se rapprochant de la comédie musicale. Chaque chanson raconte une histoire, un chapitre de ce qui pourrait être un journal intime. Que penses-tu de cette interprétation ?

Oui, on peut tout à fait le voir comme ça. J’ai écrit dans beaucoup de journaux intimes quand j’étais enfant et adolescente. Mais vraiment, vraiment beaucoup ! Je dois en avoir plus d’une dizaine… Ça me faisait un bien fou d’y noter toutes mes pensées, mes histoires de cœur, mes joies, mes déceptions, mes fantasmes, mes colères, mes délires, mon envie de dire « je t’aime » sans y arriver, mes désirs d’une autre vie, mes hurlements de joie de vivre. Je ressens la même chose derrière mon piano. Je lui parle sans retenue. Journal intime et piano sont, pour moi, des confidents parfaits, car ils sont détachés de tout jugement. C’est peut-être le seul endroit où je peux faire enfin tomber mon masque et être authentique.

  • Peux-tu nous présenter les deux musiciens qui t’entourent, aussi bien sur le disque que sur scène ?

Bien sûr ! Jean-Roland M’Barga est à la basse. Il porte également la casquette de réalisateur de l’EP. C’est un excellent bassiste que vous avez pu voir entre autre dans le groupe The Latitud’Z… JR ne le dit pas, mais il est également un super ingénieur du son et compositeur. Il écrit des morceaux pour la télé, des dessins animés ou des courts-métrages dans son petit studio parisien…

Samuel Populo, alias waxybox, est beatboxer. Il joue dans plusieurs groupes (Col en Fleurs) et dirige des ateliers de beatbox.

  • Avant ton concert aux Trois Baudets, tu as avoué être stressée et sujette à un trac immense ; or, ta performance était parfaite et vivante, communicative et littéralement admirable. Il était impossible de ne pas pénétrer dans ton univers, que tu portais à bout de bras, avec toute ton énergie. Quel regard portes-tu sur cet événement, après quelques semaines ?

Je suis très fière d’avoir mené jusqu’au bout cette aventure. Ça a été énormément de travail en amont et le défi a été relevé. La salle était complète, les retours que nous avons eus ont été très positifs et j’ai pris mon pied sur scène ! C’était une vraiment très belle soirée.

  • Dans une interview, tu as dit que tu t’intéressais beaucoup à la psychologie humaine, à nos névroses et à nos faiblesses. Quelle est ta vision de ces traits de caractère qui, au final, font les individus tels qu’ils sont ? Et, de même, penses-tu être quelqu’un qui a également ces faiblesses et ces névroses, quelles qu’elles soient ?

C’est justement ce qui rend un être humain si beau : sa vulnérabilité. Je trouve tellement touchant d’entr’apercevoir chez l’autre ses failles, ses doutes, ses blessures enfantines, ses masques, ses « techniques » pour dissimuler un mal-être, ses jeux pour cacher sa peur de vivre, ses mensonges pour être quelqu’un d’autre dans le but d’être aimé… Si je m’intéresse autant à nos névroses et faiblesses, c’est parce je suis la première à les vivre. Heureusement que j’ai la musique pour me soulager de ces prises de tête psychologiques !

  • Quels sont tes projets pour les mois à venir ?

Continuer à défendre l’EP « Le blaireau riche » sorti en novembre. Jouer, et jouer encore ! Aller à la rencontre du public dans Paris et en dehors de Paris, poursuivre la professionnalisation du projet en m’entourant d’un tourneur, d’un éditeur, d’un label. Préparer la sortie d’un second clip courant 2018, d’un album pour 2019 …et vivre l’instant présent sans trop de pensées. Sacré programme, non ?

Tiens, je te donne nos prochaines dates de concert : le 22/02 à la Bellevilloise, le 16/04 auxTrois Baudets, le 04/05 au Festival Agla’scène à Egly, (dans l’Essonne), et le 31/05 Dame de Canton à Paris.


Retrouvez Livia sur :
Site officielFacebookTwitter

Photo of author

Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.