Un disque revenu de loin mais qui porte avec lui tous les espoirs que l’on fondait dans ce projet atypique ; ou comment réconcilier une voix moderne et passionnée avec de douces sonorités nostalgiques et bienvenues.
Le sentiment d’échanger des morceaux de nos existences avec celle de la Lilloise Lena Deluxe en écoutant ce premier album tant attendu est omniprésent tout au long de son écoute. D’une part, parce qu’elle n’hésite jamais à se mettre à nu, dans son chant habité et captivant ; d’autre part, parce que ses choix artistiques tout au long de ce premier effort sont aussi osés que parfaitement trouvés et maîtrisés.
À une époque où tout doit sonner de manière compressée et trop souvent hermétique, la musicienne a choisi de se pencher sur des choix de production alliant l’analogique à une pureté sonore admirable et spacieuse. On entend dire qu’elle nous ramène dans les années 60 et 70 grâce à ce bel effort ; on approuve, tout en émettant une certaine réserve. Car, avant tout, « Mirror For Heroes » est une œuvre d’art magnifique qui se suffit à elle-même. Qui ose et déstabilise, avant de faire l’unanimité.
De la simplicité innocente des accords profonds de « Reeperbahn » au rock sobre et dépouillé de « Kill The King », il n’y a en effet qu’un pas pour résumer le LP à un revival nostalgique et confortable. Mais les apparences sont souvent trompeuses ; car tout le talent de Lena Deluxe réside justement dans sa capacité à effacer les repères et apprivoiser les genres qui lui sont donnés pour livrer ce qu’elle a de plus ancré en elle, de plus passionnant et admirable. La soul devient alors cotonneuse (Burning City, Rainbow), le psyché se fait tribal et ethnique (Ladybird).
Elle hypnotise grâce à des choix rock minimalistes troublants (Nowhere To Go) pour mieux s’installer confortablement, un verre de vin à la main, dans des canapés de velours sur lesquels elle dévoile, en toute intimité, sa voix pure et vivante (Ink, D-Day). On voyage ainsi de la grâce à la fascination, sans temps mort, avec ce goût sucré et délicat sur la langue et dans l’âme. Grande dame inclinée devant l’autel d’une foi en son art qui laisse sans voix, elle se redresse et s’affirme, tourmentant l’auditeur bercé et troublé par le charme qui opère sans limite.
Bouffée d’oxygène incroyable et paisible, orné d’images aux couleurs à la fois chatoyantes et brumeuses, « Ink » demeure le moment le plus intense d’un album qui ne l’est pas moins. Marchant sur les traces de chanteuses affirmées et passionnantes (au hasard, l’inébranlable Joan Baez), Lena Deluxe respire, hume l’air de mélodies destinées à devenir éternelles et propulse délicatement son timbre sur des sentiers souvent battus mais jamais égalés. Elle va cependant plus loin, mariant à l’extrême sagesse et perfection dans des chansons à la fois paisibles et tourmentées, irréalistes et immédiatement tangibles.
La conclusion est simple et sans équivoque : « Mirror For Heroes » est un classique en puissance, un mètre-étalon de la musique moderne, tant chaque détail est ciselé, chaque instrument parfaitement amené pour accompagner ces complaintes intemporelles et tout simplement belles à en pleurer. Ni trop exagérés, ni trop sobres, les arrangements sont intelligents et sensibles, parcourant le corps et provoquant des frissons de plaisir qui nous étreignent et nous emmènent dans un ailleurs aux senteurs de patchouli et de cire. Une cérémonie à laquelle on assiste, les yeux bercés de fumées et de brumes lentes et vaporeuses, devant la déesse d’un autre temps qui, au fil des écoutes, ferme ses mains délicates sur nos visages. Nous rassure. Nous amène ailleurs, dans une dérive volontaire où l’on aime se noyer.
« Mirror For Heroes » est une pièce maîtresse de la musique hexagonale ; un disque échoué sur les plages du désir, une bouteille à la mer que l’on saisit et dont on lit les messages sans fin, tant ceux-ci nous vont droit au cœur.
« Mirror For Heroes » de Lena Deluxe, disponible le 18 mai 2015 chez Harmonie Records.
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