[Live] George Benson et Cory Wong à Jazz à Vienne

Après une soirée qui repoussait les limites de la programmation du festival, la nuit du 11 juillet 2022 opérait un retour aux fondamentaux pour Jazz à Vienne, avec un instrument particulièrement mis à l’honneur : la guitare.

Cory Wong © Arthur Viguier

Pour remplir le contrat, et permettre aux spectateurs du Théâtre Antique à guichets fermés de prendre leur envol, le festival isérois a eu la bonne idée d’inviter – pour la toute première fois – l’un des guitaristes les plus talentueux de sa génération en la personne de Cory Wong.

Boulimique de musique, lui qui a multiplié les sorties d’albums solos et les collaborations ces quatre dernières années à tel point qu’il est difficile de les compter, l’américain n’est autre que le guitariste qui officie aux côtés des membres du groupe Vulfpeck, capable lui aussi de brasser les foules.

Après une introduction sur le générique de la 20th Century Fox, joué en grande pompe par le large ensemble de cuivres, basse, batterie et clavier qui l’accompagne, Wong dégaine immédiatement sa guitare dont il frappe les cordes comme s’il s’agissait d’une percussion. Avec son visage transformé par l’intensité du tempo qu’il propose sur « Assassin », telle une puce bondissante aux articulations bien soudées et toujours prête à bondir, le guitariste réalise son obsession : celle d’amener la rythmique au premier rang.

Avec Cory Wong, la guitare ne joue plus le seul rôle de support, chargée de soutenir la voix ou d’autres instruments solistes, mais se hisse au premier rang. Tour à tour elle devient le chant – dans un set quasi intégralement instrumental – ou celle capable de lancer un motif directement imprimable dans l’esprit de chaque auditeur. Nombre de morceaux composés par Wong font appel à un imaginaire télévisuel ou sériel des années 1990. Ainsi, le jeu s’inverse, et ce sont bien les autres instruments, et en particulier les cuivres (saxophones, tuba, trompette, trombone) qui agissent en soutien, avec délicatesse, là où basse et batterie amènent rondeur et matière.

On se demande parfois si la guitare de Cory Wong n’est pas en réalité un prolongement de sa propre anatomie tant elle est fermement vissée à sa taille et tant il ne cesse de se mouvoir au gré du frottement – tantôt incessant, tantôt minutieux – des cordes.

Et pourtant, jamais cet instrument ni le jeu de celui qui la maîtrise n’écrasent la présence des autres musiciens. On soulignera la belle place laissée à Sonny T, bassiste au chant teinté de funk et de soul chez qui on semble entendre Bill Withers – comme un avant-goût de la seconde partie de la soirée. Il en va de même la présence scénique toujours extrêmement dense du batteur, Petar Jancic, dont le jeu entre puissance et précision l’oblige à tomber la veste au bout de seulement deux titres.

Dans cette lignée, le rythme effréné du début du set – fait de montées en puissance successives, tel un roller coaster qui jamais ne s’arrête – laisse progressivement place à un passage plus doux dans le cœur du live, ponctué par l’arrivée sur scène de Dave Koz. En collaborateur fidèle, le très expérimenté saxophoniste – pour qui c’était le premier concert en France après 32 ans de carrière et de nombreux succès – est venu accompagner son ami lors de trois titres qui ont fait montre de la précision et de la puissance de son jeu.

Chaque partie instrumentale de la bande n’a cessé de se répondre durant le concert, avec pour seul vainqueur le plaisir de voir ce large ensemble de musiciens interagir chacun au service de l’autre. En élève averti, Cory Wong n’oublie pas de remercier celui qui est l’un de ses héros, celui dont il a étudié la musique et pour qui il ouvrait ce soir, en lui dédiant « Airplane Mode », son avant-dernier titre, avec lequel il cherche justement à exprimer sa propre voix par le seul jeu de la guitare.

Bien loin de fouler la scène du Théâtre Antique pour la première fois et habitué à voir 7 500 personnes se dresser face à lui, George Benson fait son entrée, introduit au micro tel un boxeur débarquant sur le ring avec la nonchalance de la légende assurée qu’il est.

Le chanteur de 79 ans annonce d’emblée le ton de la soirée en délivrant sa reprise funk de « Feel Like Makin’ Love », titre interprété à l’origine par Roberta Flack, également connue pour « Killing Me Softly With His Song ». Nous étant habitué à une superbe section cuivre en ouverture, nos oreilles n’auraient pas été contre accueillir quelques ajouts du même acabit à la formation expérimentée qui l’entoure pour que l’ensemble des titres s’en retrouvent encore plus transcendés. Toutefois, jamais Benson n’aura à forcer son talent, largement soutenu par sa formation, et notamment Michael O’Neill à la guitare.

Avec un groove inné et un déhanché plein de sensualité, l’Américain – qui a débuté sa carrière à l’âge de 8 ans – déroule sa prestation avec l’élégance naturelle d’un homme sur qui le temps ne semble guère agir. Séducteur et joueur avec le public durant 1h30, sur les titres les plus mélos comme sur les plus dansants, il n’a eu de cesse de placer la nuit sous le signe de l’amour et des sensations, alternant les titres plus romantiques et ceux invitants aux déhanchés. Sur la douzaine de chansons interprétées ce soir-là, plus de la moitié d’entre elles comporte le mot « love » dans le titre.

Preuve, s’il le fallait, qu’avec son regard toujours alerte et son aura magnétique, George Benson ne s’arrêtera probablement jamais de cabotiner sur scène et de parler de sentiments en chanson. On retiendra particulièrement « Turn Your Love Around », « Love x Love » ou encore « Lady Love Me (One More Time) », et son refrain repris en chœur par les spectateurs, qui joueront eux aussi la carte rétro en faisant scintiller le flash de leurs téléphones lors des passages plus sentimentaux, où les corps se rapprochent et se meuvent à l’unisson.

Laissant sa percussionniste, Liliana de Los Reyes s’occuper d’un interlude efficace le long d’une reprise de « Ain’t Nobody » (Chaka Khan & Rufus), c’est la force tranquille que l’interprète dix fois récompensé aux Grammys reviendra sur scène faire un détour par son tube le plus connu et que tout le monde semblait attendre, « Give Me The Night ». Avec ses quelques accords aigus immédiatement identifiables, ce sommet du funk – produit par Quincy Jones sur ce qui reste à l’heure actuelle l’un des albums les plus complets de Benson – montre encore à quel point il porte la signature sonore de son créateur.

Mais pour définitivement clore le voyage dans le temps d’une nuit chargée de rendre hommage aux pointures de la soul et du funk, George n’oubliera pas de faire un détour, en rappel, par deux autres de ses tubes : « On Broadway », faisant montre son coffre vocal imposant, et « The Greatest Love of All ».

L’occasion de rappeler que ce titre, repris en 1986 par Whitney Houston, a précédé la première rencontre entre les deux virtuoses. Croisant un jour la route de George Benson à New York, la chanteuse – encore inconnue à l’époque et marquée ce doux air interprété par « son chanteur préféré » (sic) – avait promis d’en enregistrer un jour une reprise. Si sur le coup, la légende qu’était déjà Benson n’y accorda que peu de crédit, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il entendit à la radio sa chanson déclamée par la jeune femme qu’il avait croisée plus tôt. C’est d’ailleurs maintenant la version de Whitney Houston, qui amorcera notamment sa carrière par ce coup d’éclat, qui demeure comme une référence.

Jazz à Vienne 2022 s’est conclu ce mercredi 13 juillet autour d’une programmation riche, entre grands noms, habitués et nouveaux venus.

Après deux ans de grands chamboulements dus à la pandémie, le festival a retrouvé la quasi-plénitude de ses moyens, en rassemblant un total de 210 000 festivaliers durant 15 jours de musique portée lors 190 concerts – souvent gratuits – prenant place dans de nombreux lieux de la ville iséroise.


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Florian Fernandez

Florian Fernandez

"Just an analog guy in a digital world". Parfois rock, parfois funk, parfois électro, parfois folk, parfois soul, parfois tout à la fois.